Le 7 octobre dernier, nous étions plus de 100.000 syndicalistes, membres d’organisations sociales et d’associations (Hart boven Hard et Tout autre chose, parmi les plus remarqués), ainsi que des personnes non organisées, à manifester dans les rues de Bruxelles.  Dans la capitale, tout comme dans les grandes villes wallonnes et flamandes, les transports publics étaient fortement perturbés suite à la grève de nombreux chauffeurs. A l’aéroport national, une grande partie des bagagistes ne s’était pas présentée au travail ce matin-là.  C’est la 17e ou la 18e fois en un an que les syndicats ont mobilisé contre le gouvernement, avec un résultat d’une densité rare, preuve flagrante que la disposition à la lutte des travailleurs est grande.

R030609 620x411Le mécontentement au sein de la population face à la politique de destruction sociale de ce gouvernement reste large et profond, quoi qu’en disent certains sondages.  Il ne fait aucun doute que le 16 rue de la Loi misait sur un essoufflement de la protestation sociale. Les faits lui ont donné tort.  Des milliers de travailleurs du secteur privé et public, de petites et de grandes entreprises, jeunes et vieux, flamands et francophones, avec ou sans papiers, affiliés à un syndicat on non, se sont rassemblés, un bel échantillon de « ceux d’en bas » qui battaient le pavé contre la politique asociale.

Une stratégie d’action pour gagner, pas pour « corriger »

Cette forte participation à la manifestation est une bonne nouvelle pour nombre de militants syndicaux. Pas que les travailleurs aient semblé s’être résignés ou qu’ils aient gobé la propagande sur le « caractère social » du gouvernement :  le mécontentement est aujourd’hui plus grand qu’il y a un an, surtout depuis que chacun a pu se rendre compte plus concrètement de l’impact des mesures. Et elles font mal, parfois très mal.

Le problème se situe autre part : en une année de lutte, très peu ou rien n’a été obtenu. Toutes les mesures principales ont été votées majorité contre minorité au parlement. Quelques modalités d’application ont certes été « corrigées » ou « modulées » – et cela reste marginal-, mais la pilule est simplement impossible à faire avaler.  

Nous sommes nombreux à penser qu’une occasion majeure a été perdu  juste après la grève générale du 15 décembre l’année passée. Le gouvernement se trouvait alors en difficulté et le patronat était prêt à faire des concessions. Les travailleurs eux, en plein élan, avaient pris conscience de leur force. Mais les dirigeants des syndicats ont décidé de miser sur la concertation et non sur la continuation de la lutte. Alors qu’un nouveau plan d’action déposé à ce moment-là aurait pu faire basculer le gouvernement, les dirigeants syndicaux ont marché les yeux grands ouverts dans le piège d’une concertation bidon avec le patronat et le gouvernement (pour en lire plus à ce sujet : http://unitesocialiste.be/joomla16/index.php/syndicats-mainmenu-32/430-bilan-de-6-mois-de-lutte-syndicale-contre-le-gouvernement-de-michel-i ).  Au sein de la CSC une très grosse minorité a alors rejeté l’accord interprofessionnel ; jamais dans l’histoire de ce syndicat un accord n’a fini par être adopté avec une majorité aussi juste. A la FGTB, bien que tous aient refusé l’accord, seules certaines centrales ont annoncé ne plus  vouloir poursuivre des actions de grève (Setca, ABVV Metaal). Les actions qui suivront n’auront pas comme objectif de rejeter les mesures du gouvernement, mais ne viseront qu’à accompagner les négociations bidon.  A défaut d’un débat ouvert et franc au sein du mouvement syndical sur les enseignements des premiers mois de lutte, la direction syndicale perd la confiance de nombreux délégués.

La ligne syndicale face au gouvernement reste inchangée.  Le repli sur les secteurs et sur les entreprises prend petit à petit le dessus sur la lutte interprofessionnelle. On nous invite même à un moment à participer à des manifestations « à thème » (jeunes, femmes, dumping social et autres). Ou comment mieux se diviser…

En réaction aux nombreuses critiques,  le front commun syndical se met enfin d’accord pour organiser une nouvelle manifestation le 7 octobre à l’occasion du premier anniversaire du gouvernement.  Cette manifestation n’a pas lieu dans le cadre d’un nouveau plan d’action, ni ne s’inscrit dans une stratégie à moyen terme. L’objectif est de susciter une nouvelle mobilisation pour renforcer la position de des dirigeants à la table de négociation. Toute discussion à ce sujet est écartée lors des assemblées interprofessionnelles de la FGTB en Flandre et à Bruxelles.  La situation n’est pas nécessairement meilleure à la CSC. 

C’est dans ce contexte-là, qu’avec peu d’enthousiasme les militants syndicaux se sont lancés dans la mobilisation pour le 7 octobre. Les affiliés étaient d’abord sceptiques. Puis l’indignation suite au putsch d’été a contribué à remobiliser les gens. « Mais tout a basculé il y une semaine, raconte un responsable du secteur « commerce ». D'un côté, les gens ressentaient plus concrètement les mesures. De l’autre, il y avait aussi l’idée qu’on ne pouvait pas abandonner le syndicat et faire ainsi plaisir au gouvernement et au patronat. A cela se sont ajoutées les images de la manifestation houleuse chez Air France et le déchaînement des médias contre les travailleurs. C’est à ce moment que les délégués nous ont informés de dizaines d’inscriptions  pour la manif. »

Autre fait frappant : la manifestation du 7 octobre paraissait moins festive que celle du 6 novembre de l’année passée. L’ambiance était plus morose, plus sérieuse. Moins de personnes semblaient avoir apporté leurs propres pancartes ou banderoles.  « L’atmosphère était plus sombre, analyse un autre délégué de l’enseignement. C’était comme si les manifestants portaient un message à notre direction syndicale ; nous voici, nous sommes la base, nous sommes votre force, utilisez la ».  Il ne fait aucun doute que l’ampleur de la manifestation du 7 octobre nous renforce face au gouvernement et face aux patrons dans les entreprises. Mais est-ce suffisant pour les faire plier ? Non, évidemment. Penser ou espérer que le gouvernement va revoir ses plans ou reculer sur l’essentiel de sa politique est une chimère.  Certains après la manifestation se sont dit : voici un signal que le gouvernement ne peut pas nier, voilà une démonstration de force qui fera réfléchir l’équipe au pouvoir. Au risque d’en décevoir quelques-uns, nous ne croyons pas que les 100.000 manifestants ont provoqué la moindre émotion à la rue de la Loi, sauf le mépris. « Les syndicats aboient, la caravane du gouvernement passe ». Ce titre de l’article de De Standaard, journal flamand de droite résume bien la morgue de Michel I. D'autres, plus malins, comme l’éditorialiste du Soir, appellent à « inclure la rue » dans l’élaboration des mesures d’application de cette austérité « tellement nécessaire ». Une sorte de cogestion de l’austérité qui est déjà en grande partie à l’œuvre, par exemple quand les négociateurs syndicaux acceptent le cadre de la retraite à 67 ans pour discuter ensuite de possibles aménagements.

La veille de la manifestation, l’ancien président de la puissante Centrale Générale de la FGTB, Paul Lootens, répondait ainsi à une journaliste de la RTBF : « Sans grève ce gouvernement ne reculera pas. » (1) Après cette manifestation, nos dirigeants syndicaux n’ont plus d’excuses pour ne pas proposer un nouveau plan d’action en front commun commençant avec une grève de 24 heures. Ensemble, flamands, wallons et bruxellois, Belges et non Belges, avec ou sans papiers, FGTB, CSC et CGSLB peuvent faire mordre  la poussière à ce gouvernement.  Le secrétaire général de la FGTB, Marc Goblet, a de son côté déjà annoncé des journées d’action provinciales, commençant avec une grève générale à Liège le 19 octobre. Très bien. Mais la CSC se refuse d’y participer. Et qu’en est-il des autres provinces ?  Le président de la CSC, Marc Leemans, espère corriger certaines mesures via les négociations, “en combinant intelligemment l’action et la concertation”. Mais cela fait un an que les négociateurs syndicaux ont « exploré » cette piste, qui s’est révélée être un cul-de-sac. Pourquoi marcherait-elle maintenant ? D’aucuns sont d’avis qu’il faut faire le gros dos pendant 3 ans et tout miser sur les élections de… 2018. Une nouvelle équipe, toute hypothétique, pourra alors refaire ce qui a été défait (ce qui est tout aussi hypothétique d’ailleurs). D’autres encore veulent  qu’on s’inscrive dans la durée : une accumulation d’actions et de manifestations fera tôt ou tard fléchir le gouvernement. 

Ce sont là de mauvaises stratégies. Plus ce gouvernement restera en place, plus il minera notre sécurité sociale, la législation du travail et d’autres droits, dont nos droits démocratiques. Voyez ce qui s’est passé à la SNCB lors de la grève des cheminots rouges à Bruxelles, le 9 octobre dernier : pour la première fois, un huissier a essayé d’interdire l’occupation de la cabine de signalisation avec l’appui de policiers, dont certains armés d’une mitraillette ! De la même façon, le service minimum, s’il est voté et imposé par la force aux prochaines grèves de la SNCB, risque de nous affaiblir.

La répression policière à la fin de la manifestation du 7 octobre était aussi sans égale. Cette opération de grande envergure autour de la gare du Midi avait quelque chose d’une revanche sur l’humiliation subie par la police l’année passée lors de la manifestation du 6 novembre 2014. C’était comme un avertissement adressé au mouvement syndical : « Ne nous défiez plus, car sinon… »

Récession et nouvelles attaques

Le nouveau « virage fiscal » du gouvernement annonce la couleur des prochains mois : plus de cadeaux pour ceux qui ont déjà beaucoup trop et de nouvelles taxes pour les autres. Les 100 euros de bénéfice fiscal pour la moitié des contribuables (en 2018) est une escroquerie qui ne convainc que très peu de monde.

En plus de cela, les perspectives économiques pour la Belgique ne sont pas bonnes du tout.  L’Allemagne, notre principal partenaire commercial, connaît un crash de ses exportations. Depuis quelques mois la plus grande économie européenne est vulnérable au ralentissement de la croissance en Chine et dans les pays émergents. Rien qu’au mois d’août, les exportations allemandes ont chuté de 5,2% : c’est la contraction la plus forte en six ans. Une bien mauvaise nouvelle pour notre industrie, surtout pour la chimie et les matériaux de transport : rien que l’année passée, 17 % (soit quasiment un cinquième des exportations belges) avaient l’Allemagne comme destination.  La nouvelle récession mondiale, dans le sillage de la Chine, augmentera la tendance vers des coupes budgétaires et une austérité encore plus violentes.

Face à cette pression, nous n’avons qu’une seule réponse possible : la contre-pression de la part du mouvement ouvrier, du monde associatif et socioculturel.  Un plan d’action à la hauteur des enjeux s’impose, comme un plan de grève crescendo de 24h, 48h, 72h puis à durée indéfinie, pour renverser le gouvernement. A cela il faut ajouter une alternative anticapitaliste. L’austérité n’est pas un phénomène de la nature comme la chaleur du soleil ou la lueur des étoiles. L’austérité est de fabrication humaine et peut donc être déconstruite.  La situation en Grèce nous enseigne quelque chose de précieux à ce sujet : il n’est pas possible de négocier une sortie de l’austérité avec ceux qui nous l’imposent. Aucun compromis n’est envisageable avec eux.  Aussi longtemps que nous continuerons à penser et agir à l’intérieur du capitalisme nous nous ferons piéger. Mettre fin à l’austérité signifie donc aussi rompre avec le capitalisme.

1) http://www.rtbf.be/info/belgique/detail_sans-greve-ce-gouvernement-ne-reculera-pas?id=9101060

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