Longtemps présenté comme « un moyen de mettre un peu d’argent de côté durant ses études », les jobs étudiants jouent visiblement aujourd’hui un tout autre rôle que par le passé. La crise du capitalisme s’approfondissant, ce travail est devenu structurel et surtout un poids mort conséquent pour les jeunes contraints de s’y soumettre pour arrondir leurs fins de mois (ou même celles de leur famille) ainsi qu’une nouvelle source de profit pour les employeurs.
En chiffres
Depuis des années maintenant, on assiste à une vraie flexibilisation du marché du travail. L’emploi étudiant n’y échappe pas, bien au contraire. À chaque réforme qui passe, les possibilités de prester sans que les patrons aient à payer l’entièreté des cotisations sociales augementent. Ce n’est pas anodin, la classe capitaliste cherche tous les moyens de s’enrichir quitte à attaquer encore un peu plus la sécurité sociale et nos conditions de vie et de travail.
« Dans ma petite classe d’une dizaine d’étudiants la majorité à un job durant la période scolaire et la presque totalité travaille au moins pendant les vacances. »
(Témoignage d’une étudiante recueilli lors d’un tractage à l’UMons).
En 10 ans, les jeunes ont été 41% de plus à travailler, l’évolution du nombre d’étudiants qui travaillant tout long de l’année est encore plus inquiétante : en 2022, 166.917 jeunes ont travaillé les 4 trimestres, contre 109.461 qui travaillaient uniquement en été. Cette situation témoigne de la précarisation croissante d’une partie de cette population.
Le nombre d’étudiants travaillant plus de 475 heures/an a explosé entre 2022 et 2023, passant de 49.420 jobistes dépassant le plafond en 2022, à 71.447 en 2023. Plus inquiétant encore : 9440 jeunes ont travaillé plus de 600 heures en 2023 alors qu’ils n’étaient que 7374 en 2016 (Source ONSS). La majorité d’entre eux se retrouvent dans l’Horeca l’intérim, ou les deux.
- Lire notre article sur le travail dans l'Horeca ici. -
Inégalités et reproduction sociale s’intensifient
La hausse du recours au travail étudiant n’est pas sans conséquences pour les étudiants. Selon l’Observatoire de la vie étudiante, près de 80% des jeunes qui galèrent financièrement sont obligés de rater des cours durant leurs études.
Même si les étudiants peuvent théoriquement bénéficier de l’aide du CPAS, le fait de travailler, impacte leurs chances de réussite scolaire. De plus, les bénéficiaires sont souvent poussés sur le marché du travail malgré tout.
« Le rythme de travail qui m’était imposé m’a souvent empêché d’étudier comme j’aurais voulu le faire car je rentrais tard. Je devais donc choisir entre mordre sur mon temps de sommeil ou ne pas étudier. De plus, mon employeur a fini par interdire aux étudiants de prendre congé pendant les examens et le blocus, période où il est encore plus difficile de gérer travail et étude. »
(Tim, étudiant à l’UMons)
Pourtant l’argent existe pour mettre en place aussi bien des aides que de vrais salaires pour les étudiants. Chaque année rien que les 20 plus grandes entreprises de Belgique déclarent des bénéfices nets incommensurables tandis que leur fraude fiscale et l’argent qu’elles stockent dans des paradis fiscaux se comptent en centaines de milliards.
Pendant que les couches les plus aisées de Belgique envoient leurs enfants étudier dans les meilleures universités avec des filets de protection à foison en cas d’échec, les plus pauvres sont de plus en plus à se voir forcés d’une façon ou d’une autre d’abandonner leurs études. Renforçant ainsi le bon vieux phénomène sociologique de la reproduction où chaque classe sociale transmet de génération en génération son lot de souffrance ou ses privilèges de classes, et égratignant encore un peu plus au passage le mensonge bourgeois de la « méritocratie » du capitalisme.
Luttons pour des salaires étudiants !
Quand ils partent étudier à l’étranger, les jeunes Danois sont souvent interloqués de découvrir qu’à part dans les pays nordiques, la plupart des étudiants ne bénéficient pas des mêmes conditions qu’eux. Leurs congénères doivent se débrouiller sans le « Statens Uddannelsesstotte » (SU) : le système de « soutien à l’éducation par l’Etat », établi en 1970, est tellement institutionnalisé au Danemark qu’il est vécu comme une évidence par les jeunes et leurs parents.
Ce simple fait à de quoi calmer les merles moqueurs qui chantent à tue-tête la propagande capitaliste selon laquelle il est « impossible » de mettre en place un salaire étudiant en Belgique ou ailleurs dans le monde.
Un salaire étudiant, indexé sur le coût de la vie, doit permettre de couvrir les frais liés à l’étude : nourriture, logement, déplacement, syllabus, impressions… Il devrait donc au moins s’élever au salaire minimum.
Ici comme ailleurs, de telles choses sont largement possibles si l’on se donne la peine d’aller chercher l’argent là où il est pour investir dans l’éducation et dans des services publics de qualité pour tous. Cela serait en réalité tellement facile à mettre en place qu’il est légitime de se demander à quel point l’absence de salaire étudiant en Belgique ou ailleurs est une volonté de la classe dirigeante de maintenir les enfants d’ouvriers dans ce marasme centenaire qu’est l’exploitation du travail.
Sources :
https://syndicatsmagazine.be/le-travail-des-etudiants-est-devenu-structurel/?fbclid=IwZXh0bgNhZW0CMTEAAR0oWwoK48IplCtruUY31fDV65PVi0aZ70Cs1HhbFhaCEo7Y2nWdCwvu6h0_aem_lOz55Kytl1_RZvY5_SL_dQ
https://www.lemonde.fr/societe/article/2022/08/29/au-danemark-un-salaire-universel-pour-les-etudiants_6139405_3224.html#:~:text=Les%20jeunes%20Danois%20ont%20droit,emprunt%20garanti%20par%20l'Etat.&text=Lecture%203%20min.
https://www.rtbf.be/article/la-belgique-lutte-t-elle-suffisamment-contre-la-fraude-fiscale-11200380