Le 1er avril 2021, le personnel des milieux d’accueil collectifs de la petite enfance, notamment les crèches, des administrations communales de la région Bruxelles-Capitale, était en grève en Front Commun Syndical CGSP et CSC SP. Cette grève s’inscrivait dans un large mouvement qui touchait l’ensemble des institutions wallonnes et bruxelloises du secteur privé.

La petite enfance est un des grands secteurs oubliés de la crise que nous traversons. Il subit de plein fouet les problèmes structurels et les revers de la crise économique et sanitaire. La Covid-19 a expédié « au front » les puéricultrices mettant ainsi en danger leur santé physique et psychologique. En effet, comment tenir les distances de 1,5 m préconisées par les experts du monde médical avec des enfants en bas âge ? Impossible ! Conséquences : beaucoup d’entre elles sont contaminées ! Travailleuses essentielles, elles permettent à l’économie de tourner en s’occupant des enfants des travailleurs.

A l’origine de la grève du personnel des crèches du secteur public de la région Bruxelles-Capitale un groupe de puéricultrices. Voici l’interview de Carine l’une d’entre elles.

Depuis de nombreuses années, elle exerce son métier dans une crèche du secteur public. Au fil du temps, elle a vu les conditions de travail se détériorer, le sous financement du secteur de la petite enfance augmenter, le ras le bol et le burn-out s’installer chez ses jeunes consœurs. Aussi a-t-elle eu l’idée de créer un groupe en ligne pour échanger avec ses collègues sur les « petites tracasseries », les dysfonctionnements, les problèmes au quotidien liés au travail.

NS : Peux-tu nous parler de la naissance de ce groupe ?

Carine : Je l’ai conçu il y a 5 ans. Mon désir était de savoir si partout au sein des crèches il y avait les mêmes méthodes de travail, le même engouement, les mêmes révoltes… Cette idée trottait dans ma tête depuis un certain laps de temps, mais je ne savais pas comment créer un groupe. Si certains y arrivaient, pourquoi pas moi ! Je me suis renseignée et lancée dans l’aventure. Très vite, je me suis retrouvée avec 1000 membres provenant de toute la Belgique tous secteurs confondus. Après environ un an et demi, je me suis rendu compte que ce groupe ne rencontrait pas l’objectif que je m’étais fixé c’est-à-dire comprendre ce qui ne fonctionnait pas au sein des crèches. Je l’ai donc arrêté et je l’ai rouvert il y a tout juste 2 ans. Le nombre de membres a vite augmenté pour arriver à 1500 en très peu de temps.

Je lançais des débats constructifs sur tout ce qui concernait notre métier : les activités, la méthode de travail ainsi que les conditions. Pas des râleries, mais plutôt… par ex j’envoyais une image d’un enfant qui mange et je demandais : « Dites-moi comment ça se passe chez vous ! ». L’objectif était déjà bien clair pour moi, je voulais les amener à une révolte. C’est-à-dire qu’on parle de notre métier et qu’on améliore nos conditions de travail, entre autres. Je trouvais que c’était une solution « de facilité » de râler tout le temps. A un moment, il faut se jeter à l’eau, agir ! Donc je voulais pousser les puéricultrices et le personnel des crèches dans leur dernier retranchement pour qu’ils réagissent et passent enfin à l’action plutôt que de rester chacun dans leur coin à bougonner !

NS : Arrive la période Covid, que s’est-il passé ?

Carine : L’énervement était à son paroxysme. Nous étions fidèles au poste depuis le début de la crise et ce n’était pas du tout évident. Nous nous sentions peu entendues. Beaucoup d’entre nous étaient soit malades ou placées en quarantaine. Il y avait beaucoup d’absentéisme et nous étions épuisées. Aucune reconnaissance de ce que nous accomplissions au quotidien de la part de nos responsables politiques.

Que faire ? Une idée me vint : j’ai demandé aux membres du groupe de réaliser des pancartes qui exprimaient ce qu’elles ressentaient et de les prendre en photos. En moi-même je me disais si j’en ai quelques-unes c’est déjà bien. Le lendemain, des dizaines et des dizaines de photos m’attendaient sur le groupe ! Suite à cette demande, j’ai eu 800 nouvelles demandes d’adhésions en 5 jours. C’était des travailleuses hyper motivées qui voulaient que ça bouge. Il me restait à agir. Nous avons discuté plus sérieusement sur que faire et comment s’y prendre.

Nous avons décidé d’interpeller la ministre Bénédicte Linard – qui a dans ses compétences la petite enfance –, Pierre-Yves Jeholet ministre et président de la Fédération Wallonie-Bruxelles et l’ONE. Et là, c’est la douche froide, déception totale ! Les réponses étaient à côté de la plaque. Nous avons ressenti un mépris total pour la situation dans laquelle nous nous trouvions. Notre colère était de plus en plus grande. Nous avons décidé de partir en grève. Pour cela nous avons établi un cahier de revendications et nous avons demandé à la CGSP ALR de déposer un préavis de grève pour le 1er avril. Nous pouvons déjà dire que cette grève a été un franc succès.

NS : Quelles sont vos principales revendications ?

Carine : Être prises en considération. Reconnaissance de notre travail qui est essentiel pour le bon fonctionnement de la société.

  • Rendre le secteur prioritaire pour la vaccination pour le personnel,
  • Organiser un testing régulier pour le personnel,
  • Prise en charge totale en cas de cas positif au Covid-19,
  • Masques chirurgicaux et/ou FFP2 fournis par les employeurs en suffisance.
  • Les crèches ne devraient rester ouvertes que pour s’occuper des enfants dont les 2 parents travaillent dans un métier essentiel, pendant la période Covid-19 (comme dans les garderies dans les écoles) afin d’éviter les risques de contamination
  • Après maladie, retour en crèche possible de l’enfant qu’avec attestation d’un test négatif.
  • Refus d’office d’entrée en crèche pour les enfants qui ont des symptômes.
  • Règles claires et obligatoires de l’ONE et non des recommandations qui peuvent ne pas être appliquées.
  • Octroi d’une prime de risque en tant que travailleuses de première ligne
  • Être reconnues comme métier pénible avec possibilité d’allègements de fin de carrière, retraite anticipée.

En guise de conclusion, quels enseignements en tirer ? Cette mobilisation montre que non seulement la lutte est possible encore aujourd’hui, mais qu’elle est d’une actualité brûlante. Elle doit pouvoir être extensible à d’autres groupes de travailleurs du secteur public. Fusionnons nos luttes – privé et public confondus – pour reconquérir nos droits : meilleures conditions de travail, augmentation des salaires, diminution du temps de travail, une sécurité sociale fort. Abolissons cette société capitaliste qui ne cherche que le profit pour son élite ! Ensemble nous sommes plus forts et nous vaincrons cette société capitaliste. Oui c’est possible !

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