Un retour sur 2 ans de lutte syndicale contre le gouvernement fédéral et sa politique d'austérité. Cet article est un extrait d'un document de Perspectives Belges approuvé lors de notre récent congrès.
Ce gouvernement s’inscrit dans la continuité des gouvernements d’austérité qui l’ont précédé, mais constitue également une rupture d’avec eux. Après le dernier scrutin fédéral, certains caressaient l’idée qu’une tentative de former un gouvernement homogène de droite serait de courte durée et ferait place à un nouveau gouvernement Di Rupo. Nous n’y avons jamais cru et nous avions raison.
La profondeur de la crise capitaliste est telle que les patrons exigent des interventions bien plus profondes que dans un passé récent. Ils envisagent une sorte de changement de régime. Un tel bouleversement n’est pas réalisable avec le PS au gouvernement, malgré ses nombreux gages de ‘bonne volonté’.
Selon Marc Leemans, président de la CSC, en deux ans, ce gouvernement a volé 8 milliards d’euros des poches des travailleurs et des allocataires sociaux. A lui seul, le saut d’index nous aura coûté 2 milliards d’euros. Ce gouvernement a des ambitions thatchériennes. On parle ici surtout de la N-VA et des partis libéraux. Le CD&V, qui n’a jamais été aussi à droite, suit cet objectif, mais traîne un peu des pieds. Malgré tout, le parti maintient encore un lien avec l’ACV et ne veut pas totalement rompre avec celui-ci.
Qu’entendons-nous par ‘ambitions thatchériennes’ ? Tout d’abord une tentative de modifier fondamentalement les rapports de force entre travail et capital, une modification structurelle en faveur du capital. En Belgique, cela signifie ne plus tenir compte des syndicats et de leurs avis, et réduire fortement, voire casser, leur pouvoir. À plusieurs reprises ces deux dernières années, le gouvernement a connu des ‘moments thatchériens’ comme lors des grèves de l’automne 2014, ou lors des grèves de la SNCB et de la longue grève des gardiens de prison francophones. Casser le mouvement social dans ces cas de figure ne s’est pas avéré aisé.
Après la grève générale du 15 décembre 2014, la ligne de la N-VA visant à l’affrontement direct avec les syndicats était menacée. Les autres partis et surtout le patronat craignaient une escalade incontrôlable dans ce bras de fer avec les syndicats. Le gouvernement se divisa sur la tactique à adopter (pas sur le fond évidemment). Il choisit alors de s’appuyer sur les dirigeants syndicaux en leur promettant… une concertation afin de calmer leurs ardeurs. La dynamique ascendante de la mobilisation se cassa. Au lieu d’annoncer une nouvelle grève générale en janvier, les dirigeants syndicaux se sont engouffrés dans la concertation qui s’est vite avérée bidon.
Problèmes avec notre direction syndicale
Qu’est-ce qui explique cette attitude des chefs syndicaux ? Tout d’abord, un manque de confiance dans la force de leur propre mouvement ; puis la position sociale du syndicat, amortisseur des chocs entre les classes, sa fusion avec l’appareil d’Etat et le patronat, et son absence d’alternative à ce système. Aujourd’hui certains responsables de la FGTB regrettent d’avoir misé sur la concertation après le 15 décembre : le soutien le plus fiable de ce gouvernement demeure bien l’attitude molle et couarde de la direction syndicale.
Un autre exemple de la difficulté de l’affrontement direct est la longue grève des gardiens de prison. À plusieurs reprises, le gouvernement a cru casser le mouvement en faisant appel à la police pour remplacer les gardiens en grève. Ces mêmes policiers sont alors partis en grève, obligeant l’armée peu enthousiaste à les remplacer sans beaucoup d’impact. Mais le pouvoir de la classe ouvrière n’a pas été cassé ou affaibli comme cela a été le cas en Grande-Bretagne après la défaite de la grève des mineurs en 1984-85. Cet échec avait poussé le mouvement ouvrier britannique dans une position défensive pour un long moment. Les effets démoralisants de cette déroute commencent à peine à s’estomper.
Force encore intacte
Le mouvement syndical belge reste encore très fort malgré des reculs et quelques défaites au cours de ces deux dernières années. La faiblesse majeure n’est pas sociologique (une supposée diminution du poids ou de la cohésion des salariés dans la société) comme le prétendent certains, ni l’absence de combativité et de conscience de classe des travailleurs ; elle réside dans l’attitude réformiste de la direction du mouvement ouvrier, son acceptation du capitalisme comme étant le seul système possible. Le salariat en tant que classe reste toujours un groupe socialement décisif. Il y a 4,2 millions de salariés en Belgique, dont 3,5 millions sont occupés dans le secteur privé. 54 % des salariés travaillent dans une des 1782 entreprises de plus de 250 personnes. Le reste est occupé dans une des 10.000 PME. Mais ce sont les grandes entreprises qui déterminent le rythme et le poids politique de l’action du mouvement ouvrier, pas les petites entreprises.
L’agitation sociale a été très forte depuis la formation du nouveau gouvernement. En avril, on comptait déjà 21 actions nationales des syndicats contre la politique d’austérité : des journées de grève nationale et des manifestations à Bruxelles, dont une grande grève générale le 15 décembre 2014, la plus grande depuis au moins 30 ans. Le nombre de journées de grève en 2015 était trois fois plus élevé que l’année précédente. Selon le journal l’Écho, les grèves en 2014 se sont surtout concentrées en Flandre avec 100.000 journées de grève de plus qu’en Wallonie ; en 2015, les grèves étaient plus fortes en Wallonie, deux fois plus qu’en Flandre, et à Bruxelles.
La plupart des grèves étaient de caractère ‘politique’, c’est-à-dire dirigé contre la politique gouvernementale. Au début de 2016, les services publics se sont mobilisés sous la forme d’une vague de grèves spontanées des gardiens de prison francophones, du TEC, de la SNCB, des éboueurs, etc. Ces grèves spontanées ‘au finish’ sont un phénomène nouveau et important. Elles témoignent d’une grande combativité de la part d’une partie des travailleurs et montrent qu’il existe une frustration croissante liées aux conditions de travail, renforcée par le sentiment d’être à chaque fois leurré par les patrons. Ce n’est pas un hasard si la Belgique était championne dans la consommation d’antidépresseurs en Europe. Ces grèves spontanées montrent que les travailleurs ne dirigent plus leur colère contre eux-mêmes et réussissent à l’extérioriser contre le système.
Parfois, cela se manifeste dans des actions violentes comme dans la petite aciérie ESB à Seraing. C’est cette situation de plus en plus intolérable sur le lieu de travail qui explique les actes désespérés des travailleurs égyptiens qui montent dans les grues pour protester contre le non-paiement de leurs salaires ou les arrêts-surprises des aiguilleurs du ciel à Bruxelles-National. Tout indique que la lutte des classes dans la prochaine période sera caractérisée par plus de grèves ‘sauvages’ ou spontanées, qui éclateront à l’initiative de la base sans, et parfois contre, l’avis des dirigeants syndicaux.
Ces grèves révèlent aussi une méfiance grandissante par rapport aux directions syndicales et à ses plans d’action. Les deux dernières années ont été parmi les plus combatives. Mais la combativité en soi est insuffisante pour gagner.
Faiblesses
Dans ses hauts et ses bas, où le mouvement s’est-il fourvoyé ? La lutte a connu un moment charnière le 15 décembre 2014 : les patrons et le gouvernement étaient alors dans les cordes et nous, en position de force.
D’un côté, des patrons inquiets, des partis du gouvernement divisés ; de l’autre, un appui massif à la grève, un moral élevé, et une forte volonté de continuer avec des actions. La direction syndicale avait la main, mais n’en a pas fait usage. Elle a accepté de s’asseoir à la table de concertation et a annulé les actions futures : un bel exemple de ‘crétinisme concertatif’.
La concertation est la ‘raison d’être’ des responsables syndicaux. L’institutionnalisation, c’est-à-dire la fusion partielle de la structure et de la fonction syndicale avec l’appareil d’Etat, fait de la direction syndicale une force ‘conservatrice’ et un des piliers du statu quo social et politique. Cela peut paraître paradoxal, mais, par son attitude, la direction syndicale est un grand point d’appui des manœuvres de démobilisation du gouvernement. La dynamique de la lutte n’a plus jamais atteint le niveau de l’automne 2014.
Les manifestations nationales ont certes à chaque fois montré la grande disposition au combat des travailleurs, mais celle-ci a été gaspillée, alors qu’elle aurait pu nourrir une grève générale ‘au finish’, c’est-à-dire jusqu’à la chute du gouvernement. Les plans d’action ont été interrompus, avec ou sans l’excuse du terrorisme. La vision politique réformiste des dirigeants est la cause principale de l’impasse de la lutte aujourd’hui. Elle se caractérise par les points suivants :
1) L’absence de confiance dans la combativité de la base
2) L’absence d’alternative à la politique menée et le choix de miser sur des corrections sociales à l’aide d’une concertation bidon
3) La peur de ‘l’opinion publique’ et de la domination de la droite en Flandre
4) La crainte des mesures antisyndicales que le gouvernement envisage de prendre comme le service minimum, la personnalité juridique, des astreintes contre les grévistes, etc.
5) L’espoir placé dans les nouvelles élections fédérales de 2018, avec un possible retour du PS et du sp.a au gouvernement.
6) Pour la CSC, l’espoir d’obtenir des corrections sociales via les cabinets du CD&V
7) Pour certains secteurs, le repli sur leur pré carré et un désintérêt pour l’action interprofessionnelle.
8) La carte communautaire jouée par une partie de l’appareil syndical, qui espère pouvoir arracher des miettes aux gouvernements régionaux. On a ainsi vu des tensions entre responsables syndicaux flamands et francophones ; rappelons-nous aussi la critique publique de Chris Reniers, secrétaire général de la CGSP, à l’encontre de son aile wallonne.
Malgré ces obstacles internes (et en partie à cause d’eux), de nouveaux mouvements de grèves sont inévitables. À l’intérieur des syndicats, nous assistons à une différenciation grandissante entre une aile gauche et une aile droite. Les contours de ces groupes ne sont pas nettement délimités et peuvent aussi changer rapidement sous la pression de la base ou des coups portés par le patronat et le gouvernement. Prenons, par exemple, la décision de la CSC Metea de refuser des actions symboliques le 7 octobre et de déposer un préavis de grève, non pas avec l’ABVV Metaal, mais avec les métallos rouges du MWB. Des secteurs comme les banques et les assurances, qui traditionnellement ne constituent pas l’avant-garde des travailleurs, sont propulsés sur le devant de la lutte syndicale sous la pression des restructurations.
Une délégation syndicale comme celle de Caterpillar, pourtant parmi les plus combatives, se trouve au contraire paralysée par l’annonce de la fermeture de l’usine. La discussion sur la nécessité ou non de lutter pour la chute du gouvernement divise aussi les syndicats et leurs appareils. La CGSP wallonne et la CNE ont fait le choix de lutter pour ; d’autres ne s’expriment pas. On remarque aussi, lors des manifestations et des piquets, la présence de jeunes gens qui n’ont jamais participé à de telles mobilisations auparavant. Certains délégués syndicaux s’engagent aussi sur la voie de la radicalisation politique et cherchent au-delà du slogan radical du moment, une explication en profondeur de la crise du capitalisme. Le PTB, et les syndicats mettent en avant toute une série de mesures pour améliorer le sort des travailleurs et leurs familles. Elles ont notre soutien. Mais ces réformes progressistes ne pourront être mises en œuvre que dans le cadre d’une révolution, c’est-à-dire l’expropriation des banques et des grandes entreprises du pays, jusqu’à la conquête du pouvoir par les travailleurs eux-mêmes – jusqu’au socialisme. Il n’y a pas d’autres moyens de faire échec à l’austérité.