Coup de tonnerre dans le ciel belge, le 5 septembre 2016 AXA Belgique annonçait un plan de licenciement collectif de 650 personnes. Témoignage d'un homme militant, politiquement engagé et délégué syndical permanent chez AXA.
ALR : Pourrais-tu te présenter et nous expliquer comment tu es devenu délégué syndical ?
MD : J'ai commencé à travailler en 1986, en tant qu'électricien, dans une compagnie d'assurances: la Royale belge. Deux semaines après mon engagement, je me suis directement syndiqué. Trois ans plus tard, je suis devenu délégué syndical mais je n'étais pas actif car j'évoluais dans un monde que je connaissais très peu, celui des employés et des cadres. En 1999, il y a eu la reprise de la Royale Belge par AXA, à ce moment je suis devenu permanent.
ALR: Peux-tu présenter l'entreprise AXA ?
MD : C'est une très grosse compagnie d'assurances française qui compte environ 100 000 travailleurs à travers le monde. En Belgique cela représente 4000 travailleurs et 60 délégués tous syndicats confondus.
ALR : En quoi consiste ton travail de délégué syndical ?
MD : Assister à toutes les réunions ainsi que celles des instances officielles : CPPT (Comité de Prévention et de Protection des Travailleurs), conseil d'entreprise et délégation syndicale . Ceci prend beaucoup de temps. Sans compter les cas individuels : du conflit avec des managers au conflit entre collègues. Il faut dire aussi que notre charge de travail syndical a augmenté proportionnellement par rapport à la diminution de l'effectif au niveau des ressources humaines. En clair, l'employeur réduit de plus en plus le personnel pour «optimaliser» comme il dit. La conséquence c'est que les ressources humaines n'ont plus le temps et ne peuvent plus répondre aux questions des travailleurs qui viennent chez nous pour obtenir des réponses. Et par conséquent, sans aucune formation, nous sommes devenus juriste, actuaire, comptable, assistant social amateurs.
ALR : Quels sont les problèmes que rencontrent les travailleurs de chez AXA?
MD : Les problèmes évoluent avec le temps. Ce que l'on gérait il y a 15,ans n'a plus rien avoir avec ce que l'on gère aujourd’hui. Actuellement c'est essentiellement liés aux conditions de travail: la charge de travail, la pression, le stress, le respect du bien-être au travail ... Et c'est directement lié au fait qu'il y a 8 ans AXA a implémenté l'e-management. C'est un système qui enlève un maximum d'autonomie aux travailleurs. Ils reçoivent un travail à l'objectif et avec énormément de stress pour conséquence.
ALR : Peux-tu nous développer ce dernier point ?
MD : Dans le domaine de la gestion de dossiers, l'employeur va regarder la personne la plus performante : comment il gère ses dossiers, répond au téléphone le plus efficacement et le plus rapidement possible, ... Et sur base du travailleur le plus performant, il va créer un modèle qu'il demandera aux autres de suivre. Ce système mis en place permet à l'employeur de virer ceux qui n'y arrivent pas. La pression est donc permanente pour que les travailleurs augmentent leur productivité.
ALR : Quelle est la situation aujourd'hui chez AXA et le reste du secteur ?
MD : C'est un peu compliqué parce que AXA est un des leaders sur le marché belge. L'employeur nous dit que la décision de licenciement collectif de 650 travailleurs a pour seul but la réduction des coûts. Le but avoué, qui est vraiment absurde, est de dire que le marché est saturé. Pour gagner de nouveaux clients il faut être meilleur marché. Et donc moi j'estime que c'est une solution très facile! Plutôt que d’être inventif , attrayant sur les produits on va au plus facile c'est-à-dire à dire vendre moins cher. C'est clairement du dumping, ce que j'appelle du dumping entre les entreprises assurance parce que les autres entreprises assurances vont faire la même chose .
L'annonce d'ING est aussi une annonce catastrophique. Pourquoi font-ils ces annonces en septembre? C'est parce qu'ils veulent encore profiter du système de prépension qui est encore cette année à 56 ans et qui passera en janvier 2017 à 57 ans. Le but non avoué est de faire des agences concernées par le licenciement collectif des agences franchisées.
ALR: Comment expliques-tu cette crise que traverse le secteur?
MD : Comme je l'ai déjà expliqué chez AXA c'est la réduction des coûts pour pouvoir prendre des parts de marché aux concurrents. A côté de cela, il y a les problèmes liés aux taux d’intérêts qui sont trop importants par rapport aux investissements et cela pose réellement un problème pour les employeurs. Mais c'est aussi , l'offshoring qui consiste dans le transfert de certaines activités dans des pays, comme l'Inde ou le Pakistan où la main d'oeuvre est moins chère, notamment pour tout ce qui est informatique et comptabilité. Les travailleurs de ces services se retrouvent avec beaucoup moins de travail. Il y a aussi l'outsourcing qui consiste à sous-traiter tout ce qui n'est pas du ressort du métier de l'assurance pure comme par exemple la téléphonie, le restaurant d'entreprise, le leasing des voitures, ... Et donc en résumé l'ensemble de ces politiques fait que l'employeur déclare 650 licenciements.
ALR : Peux-tu développer ton explication?
MD : Par exemple, une assurance-vie. L'employeur, donc l'assureur te garantit un taux de 3,75% . Avec l'argent que tu vas lui donner, il va investir pour essayer d'avoir plus de 3,75%. Lui quand il veut investir il n'a même pas ces 3,75% et donc il doit pratiquement mettre de sa poche pour payer le client. Cela pose un réel problème et c'est pour cela qu'il veut se débarrasser de tous les «produits vie» qui ne rapportent plus.
ALR : Quelles sont les réactions des travailleurs de chez AXA face à cette annonce de licenciements?
MD : Avant peut être de parler des réactions des travailleurs, il me semble important de parler du chantage qu'exerce l'employeur. Voici le message patronal: «Si vous acceptez de réduire la rémunération de l'ensemble des travailleurs aussi bien ceux qui vont partir que ceux qui restent de 20% en moyenne, les 650 licenciements deviendront des départs en RCC c'est-à-dire en prépension. Mais si vous refusez de diminuer la rémunération, ça sera le licenciement sec de 650 personnes». Ce qui est totalement absurde parce que dans le cadre de la loi Renault si l'employeur licencie 650 personnes de manière sèche il doit leur payer leur préavis légal ce qui lui coûtera une fortune.
Pour en revenir aux travailleurs, nous avons organisés une série d'assemblées générales. Nous avons expliqué la situation, les travailleurs étaient furieux! Mais grâce à cette menace, nous avons pu conscientiser aussi bien ceux qui avaient peur de perdre leur job que ceux qui disaient: «Mais moi je m'en fous». Ils se rendent compte maintenant qu'ils risquent de perdre 20% de leur rémunération.
Lors de la grève du 7 octobre 2016,il y a des travailleurs que je n'avais jamais vus ou qui n'avaient jamais dit du bien des syndicats qui étaient présents avec nous. 50% de nos affiliés étaient en grève , du jamais vu! Nous étions vraiment surpris!
ALR : Comment vois-tu l'avenir à moyen terme ?
MD : C'est un combat! C'est dire à l'employeur qu'il n'est pas question qu'il touche à la rémunération! L'entreprise AXA entre 2012 et 2016 a fait 2 milliards 600 millions d'euros de bénéfice! Et donc, on créerait un précédent, tous secteurs confondus, si en tant que syndicat nous acceptions une diminution de salaire alors que l'entreprise fait de plantureux bénéfices. Il n'en est pas question!
La digitalisation va faire pas mal de ravage dans le secteur financier, ça c'est une évidence. Il va falloir trouver, en tant que syndicalistes, nos propres solutions parce que si l'employeur vient avec les siennes, il va encore réduire le personnel. Il faut réfléchir et anticiper! Notamment à la réduction du temps de travail qui permettrait de stopper l'hémorragie mais aussi de créer de l'emploi. Pour moi cette réflexion est essentielle, nous ne pourrons pas en faire l'économie. En conclusion, je dirais qu'il faut, dès maintenant, se préparer pour 2019 et affronter les répercussions de la digitalisation. Nous devons absolument trouver nos solutions!