Salle quasi comble un dimanche matin à Manifiesta pour entendre les échanges du meeting de solidarité avec les travailleurs de Caterpillar. L’émotion de Patricia Van Walle, déléguée d’Axa, et la rage de Michael Wamen, délégué français de Goodyear condamné à 9 mois de prison ferme, ont emporté un auditoire qui bouillait de sortir du marasme provoqué par les annonces des fermetures de Caterpillar (au bas mot, 6000 emplois en tout) et de la vague de licenciements d’Axa (650 emplois pour 2018).

caterpillardJudicieux choix des intervenants : on a pu assister à une sorte de ballet où se sont succédé les retours d’expérience, convergents, et la palette de réactions possibles en cas de licenciement, très variée, elle…

Des indemnités… mais pas d’avenir

On a ainsi vu Gaby Colebunders (ancien délégué syndical et travailleur chez Ford Genk) et Frédéric Gillot (député PTB et ancien travailleur d’ArcelorMittal à Liège) déconstruire à l’unisson le mythe des reconversions et de la négociation pour un licenciement « à l’amiable ». Le message est clair : « On aimerait bien rendre notre prime pour avoir un emploi ».

Colebunders a rappelé à l’auditoire les 20% d’enfants à Genk vivant actuellement sous le seuil de la pauvreté et l’extrême gravité de la situation économique et sociale d’anciennes régions industrielles comme celle de Seraing (25% de chômage) ou de Liège (26% de chômage) : une indemnité peut aider à survivre pendant un an, deux dans le meilleur des cas, mais quelles perspectives y a-t-il ensuite ? Aucune.

Gillot, quant à lui, est allé plus loin dans l’analyse du cynisme patronal, du miracle de la « reconversion » liégeoise d’ArcelorMittal : minimiser le nombre des travailleurs licenciés (1 500) en ne parlant que des prépensions ou en mettant en avant des « groupements d’employeurs » qui permettent aux employeurs de réembaucher d’anciens CDI  en CDD ou en intérim ; ou encore, continuer à faire payer la région Wallonne pour le droit de passage des trains du futur Trilogiport sur les terrains d’ArcelorMittal…

Ces paroles ont sonné comme un avertissement lancé aux délégués de Caterpillar présents : à Genk aussi, Kris Peeters avait conseillé aux délégués de « travailler avec [leurs] gens » pour éviter des débordements et faire passer la pilule sous forme de prime.

Si les délégués Caterpillar ont donné l’impression d’hésiter sur la marche à suivre, de nombreuses voix se sont élevées dans le public pour refuser d’avaler toute pilule-indemnité, l’instar de ce travailleur qui souhaiterait réquisitionner et mettre des scellés sur les pièces arrivant à Zeebrugge, ou de cet autre, licencié en 2013 lors de la première restructuration, qui a témoigné de sa course quotidienne aux entretiens d’embauche et visites au FOREM, sans emploi stable depuis trois ans….

Se battre jusqu’au bout pour du travail

Dans cette atmosphère propice à la division, face aux rancunes nées des événements de 2013 et à l’énervement provoqué par l’absence d’une réaction syndicale forte, il était donc essentiel de réaffirmer l’importance de l’unité des travailleurs. Rappeler aussi, comme l’a fait Gillot, qu’il ne faut pas parler de « pertes d’emplois », qui pourraient être imputées à de la négligence ou à une fatalité, mais bien de « suppressions d’emplois ». Cette distinction permet de repolitiser le débat ; elle montre que ces vagues de licenciements résultent de la volonté des multinationales lancées dans une pure course au profit, et pas d’un dogme auquel on devrait se résigner, un « il n’y a pas d’alternative » qui semble posséder une partie des délégués Caterpillar et qui arrange bien le monde politique.

Et c’est d’ailleurs un malencontreux « on se battra, on continuera à produire, mais il y aura forcément un plan social » qui a fait bondir Mickaël Wamen, un des « huit de Goodyear » ayant retenu pendant 30h deux cadres de son entreprise en janvier 2014. La direction du site d’Amiens-Nord, qui devait fermer en 2013 en entraînant la suppression de 1200 emplois (avec 600 millions de dollars de bénéfices nets au compteur en 2013[1]), avait jusqu’alors refusé toute négociation des conditions de départ avec les travailleurs.

Rien de plus brut, de plus vrai, que la colère et la rage qui émanaient de son témoignage sur la réalité du capitalisme : violence des entreprises avec leurs suppressions d’emploi (économiques ou pas !) entraînant suicides, alcoolisme, et angoisse de ne pouvoir nourrir ses enfants ; violence d’une « justice de classe » qui a condamné des syndicalistes à 9 mois de prison pour « séquestration » alors que toute plainte avait été retirée ; violence de l’Etat qui « force des CRS crevés à taper sur les manifestants [contre la loi travail en France] » (encore un œil perdu jeudi dernier à Paris) ; violence entretenue par les médias ne relatant que les faits divers liés aux casseurs pour mieux stigmatiser le mouvement syndical.

Ce tableau n’a fait que souligner l’indigence à long terme des propositions de Raoul Hedebouw, porte-parole du PTB, pourtant le politique le plus virulent jusque-là : une reprise temporaire de l’outil de production par le fédéral pour forcer Caterpillar à la négociation (temporaire ? Et après ?) ; une loi sur l’interdiction des licenciements pour les entreprises bénéficiaires (quid de la fraude sur les comptes auxquels les travailleurs n’ont pas accès ? De la mise en scène de faillites ?) ; une taxe sur les millionnaires. Il s’agit plutôt de lutter pour la nationalisation de l’entreprise (seuls les petits actionnaires seront indemnisés) et sa reconversion sous le contrôle des travailleurs pour garantir un emploi pour tous (voir Caterpillar : licencions le capitalisme pas les travailleurs ).

Ce dimanche, le débat réforme / révolution était mené par Wamen, un homme de terrain, au pied du mur, qui a posé la nécessité d’une lutte au finish, tançant au passage un délégué Caterpillar pas assez combatif, posant la question de l’unité internationale entre tous les travailleurs européens d’abord, mondiaux ensuite, demandant des comptes aux syndicats nationaux et aux fédérations internationales sur leur inefficacité.

De son expérience, Wamen retire l’importance de continuer à produire et d’intenter des actions juridiques, et doute de l’utilité d’une grève qui ne ferait qu’essouffler le mouvement. Mais surtout, comme Colebunders et Gillot, il rappelle le mot d’ordre : « se battre pour garder notre boulot, notre dignité, pas pour des indemnités ». Constat amer qu’il avait lui-même tiré en 2013, amer, alors que la CGT s’était résignée à seulement négocier de meilleurs indemnités de départ : « On s’était jamais battu pour de l’argent ; avant, on se battait pour du travail. »[2]

Bref, c’est une douche de réalité, gonflée de la pauvreté grandissante, de la solidarité des combats, et de la révolte des voisins français, qui est venue réveiller la conscience de classe du public présent à ce débat, sa confiance dans sa capacité d’action, dans la rue ; une douche qui a évacué à grandes eaux la croyance que des demi-mesures changeraient durablement quelque chose.

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