En quelques heures, à l’appel d’un délégué syndical, une cinquantaine de travailleurs Caterpillar s’est rassemblée dimanche dernier devant les grilles du site de Gosselies. Ils y ont rejoint une petite trentaine venue en soutien des quatre coins de la Belgique : Hart Boven Hard, ex-Carolos amoureux de leur ville, travailleurs d’Audi, anciens de Ford Genk ou de ses sous-traitants…
Tous disent leur révolte suite à l’annonce de la fermeture du site, du licenciement des 2200 travailleurs directs et 4000 sous-traitants ou emplois indirectement liés à Caterpillar Gosselies, alors que les dividendes versés par Caterpillar à ses actionnaires n’ont fait qu’augmenter depuis les 20 dernières années et que l’entreprise a bénéficié de plus de 60 millions d’euros de réduction d’impôts à travers les intérêts notionnels.
Quelques heures auparavant, deux travailleurs faisaient le tour des grilles avec une équipe de RTL..
Deux expressions différentes d’une même rage : l’un a le bagou facile pour parler de ses 37 années passées dans la « famille » Caterpillar, de sa passion pour les machines et pour la « sécurité des gars ». Son œil se perd aujourd’hui sur l’immense parking vide, peuplé il y a 10 ans par 3000 machines prêtes à la vente. L’autre parle moins, on sent l’émotion encore trop grande. L’image de la cérémonie des 350 ans de Charleroi où ils ont eu l’impression d’assister à leur propre enterrement revient en boucle ; comme le cas plus ancien d’un travailleur de Volkswagen, suicidé sur son lieu de travail, et dont les collègues ont été forcés de se remettre à la chaîne deux heures plus tard.
Mais immédiatement, une tape dans le dos et un grand « ça, on ne leur fera pas ce plaisir », balayant deux des premiers risques de ce début de lutte : la démoralisation et l’atomisation des travailleurs, auxquels la direction a proposé de rentrer chez eux vendredi, après l’annonce de la fermeture, évitant ainsi une organisation spontanée. Certains sont tout de même restés pour mettre les machines restantes à l’abri: elles sont à eux et ils ne les braderont pas.
Comme ils ne braderont pas non plus l’usine modernisée en 2013 sur les fonds propres de Caterpillar pour 150 millions d’euros, ni ne s’assiéront sur les 900 heures sup’ par an ou les samedis dimanches qu’on leur a demandé de fournir comme « effort » depuis 2013, date de la première grosse restructuration qui a coûté 1400 places.
D’ailleurs, aucun des travailleurs rassemblés dans l’après-midi n’est dupe des plans de reconversion ou propositions avancées jusque là : de la première vague de licenciements de 2013, seule la moitié a retrouvé un emploi (sans parler des 600 CDD non renouvelés).
L’ambiance est celle d’un boxeur rage au ventre après un sale coup, qui reprend sa respiration dans un coin ; les esprits sont tournés vers ce début de semaine, avec les premières assemblées générales et la préparation de la procédure de négociation (procédure Renault) qui commencera le 12 septembre.
Les idées arrivent ; elles dépassent souvent la nécessité avancée par les délégués de « ne pas commettre un acte qui justifierait un licenciement pour faute grave » et de « tenir les gars pour qu’ils ne fassent pas une connerie » : présence constante sur place, reprise de l’usine par les travailleurs, blocage de la production, piquets...
Deux premières choses ressortent : la volonté de garder une main sur les négociations qui vont s’entamer, auxquelles ne sont conviés que les dirigeants syndicaux ; et l’importance de faire front, ensemble, ouvriers et employés.
Une ancienne sous-traitante de Ford Genk rebondit sur le flou syndical actuel : « Et c’est quoi une connerie ou une faute grave quand on n’a de toute façon plus de travail et qu’on ne sait pas de quoi on va vivre ? » Elle insiste sur un élément qui fut décisif pour la lutte de Genk : l’union rapide avec les sous-traitants, surtout par des mouvements de grève, pour profiter de la technique de production à flux tendu et mettre Caterpillar sous pression.
De telles propositions concrètes, tirées des exemples de combats des travailleurs d’Arcelor Mittal, de Ford Genk ou des forges de Clabecq (il y a pile 20 ans), ainsi qu’un large mouvement de solidarité et une présence physique à Gosselies, seront déterminantes pour les prochains mois.
Elles permettront d’éviter de courir par habitude à la poursuite d’un dialogue clairement rompu, comme le fait ce délégué FGTB qui a indiqué dimanche qu’ « il n'est pas question de se mettre en porte-à-faux par rapport au contrat de travail » ou que des assemblées auront lieu « pendant les pauses » et que tout sera fait pour que les travailleurs ne soient pas associés à des « terroristes » ! Ce même absurde révoltant est présent dans les déclarations du ministre de l’emploi Kris Peeters, demandant des « alternatives » à la fermeture de l’usine, alors qu’il tente depuis le printemps dernier d’imposer le démantèlement du code du travail et un avenir fait d’intérim à durée indéterminée et de contrats zéro heure.
Plus que jamais, entre Caterpillar, Axa (on annonce à l’instant la suppression de 650 postes pour 2018) et la mobilisation contre la loi Peeters, un seul mot d’ordre : solidarité entre tous les travailleurs, lutte intransigeante contre tous les capitalistes d’Europe et d’ailleurs et leurs relais politiques !