Kris Peeters, ministre du Travail vient de soumettre à l’Union Européenne, un accord gouvernemental pour ‘moderniser’ la loi Major dans les ports belges. Mais qu’est-ce que cette loi Major ?
Pourquoi la loi Major est-elle si importante pour les dockers ?
La loi Major est le résultat d’une âpre lutte sociale menée par les travailleurs portuaires dans les années 60 et 70.
La grande grève des docks (De Grote dokstaking) de 1973, menée solidairement par les ports d’Anvers et de Gand, a joué un grand rôle dans l’amélioration des conditions de travail, notamment en termes de sécurité, d’hygiène et de rémunération.
Les dockers n’avaient alors pas hésité à prendre leur propre sort en main. Cela s’est déroulé dans des circonstances difficiles car les dirigeants syndicaux de l’époque refusaient de reconnaître la grève.
En transposant ce morceau d’histoire à l’actualité, on se rend compte que ces luttes ont été vitales pour les dockers. Et plus généralement, ce sont les combats menés par nos parents qui ont permis d’obtenir les avancées sociales d’aujourd’hui : il nous est impossible de les abandonner.
La loi Major assure que le travail dans un port, le chargement et le déchargement des navires, tout comme le traitement des marchandises, sont effectués par des personnes bien formées et conscientes des dangers propres au travail portuaire. Notre formation dure 5 semaines. Elle est aussi bien théorique que pratique et se termine par des examens que nous devons réussir. C’est seulement après cette formation que l’on reçoit le livret (« het boek ») sans lequel aucun travail n’est possible dans le port.
Chaque année, il y a un ou deux dockers qui perdent la vie en faisant leur boulot ; la mortalité « on the job » (au travail) est très élevée dans notre secteur. Tous les dockers le savent et cela les rend très attentifs aux dangers. Parfois vous entendez des histoires sur la « brutalité » des dockers, vous entendez dire que l’on crie beaucoup et se traite de tous les noms d’oiseaux. Mais si c’est le cas, c’est parce qu’à un endroit ou à un autre la sécurité a été mise à mal. Dans ces conditions, notre vigilance se manifeste par des engueulades. Tous les dockers le savent et n’en font pas un plat car cette mentalité est une sorte de protection.
Si demain la loi Major est supprimée et que n’importe qui peut venir charger et décharger les bateaux, cette sécurité et cette vigilance de chaque instant seront menacées. On connaîtra alors des situations comme celle vécue récemment au « Antwerpse Shop », le chantier de réparation des navires, où deux ouvriers « dumpés socialement » et venant des pays de l’Est ont été retrouvés morts après une chute. Deux semaines après cet accident tragique, on ne savait toujours pas quelle firme les avait engagés.
Avant la libéralisation du secteur de la réparation des navires, un tel accident ne se serait jamais produit. C’est de cela dont nous avons peur et notre angoisse est justifiée. Sans loi Major, on assisterait à une croissance exponentielle des accidents de travail et d’accidents mortels dans les ports. Les patrons portuaires ainsi que les partis de droite comme l’Open VLD et la N-VA veulent jeter la loi Major aux orties. La Commission Européenne également : elle ne rejette pas l’idée d’une reconnaissance du travailleur portuaire mais demande plus de flexibilité dans son application. Pour nous, il n’en est pas question.
Ce n’est pas un hasard si la Commission Européenne met si fortement l’accent sur les ports et les ports belges en particulier. Les ports maritimes sont souvent le cœur économique d’un pays et constituent en outre des bastions syndicaux. De leur côté, les patrons des ports ont les yeux rivés sur les bénéfices et sur les dividendes des actionnaires ; or la loi Major empêche d’utiliser de la main d’œuvre meilleur marché et moins formée…
Quand on demande à Ivan comment des syndicalistes d’autres entreprises et d’autres secteurs peuvent aider les dockers, il renverse la question.
La question n’est pas de savoir comment d’autres secteurs peuvent nous aider mais ce que les dockers peuvent faire pour les aider !
N’ayez pas peur de venir parler avec les dockers de leur situation. Nous ne sommes pas du tout les barbares sauvages que décrivent les médias. Je me rappelle très bien le grand piquet de grève du 15 décembre l’année passée dans le port d’Anvers au quai 470. Une délégation de Hart Boven Hard (Tout Autre Chose) avait été très amicalement reçue par les dockers. L’ambiance entre rappeurs, poètes, artistes et les gars des docks était très chaleureuse. Il ne faut surtout pas se retenir.
La solidarité fonctionne dans les deux directions. On ne peut pas s’attendre à ce que d’autres secteurs cruciaux comme les cheminots ou les services publics soient solidaires s’il n’y pas de retour. Cela ne fonctionne pas de cette manière. On doit faire plus d’actions ensemble. Lors d’une prochaine grève de la SNCB, on peut par exemple envisager des actions communes pour empêcher le déplacement de trains de marchandises. C’est de cette façon que l’on crée de la sympathie auprès des autres syndicats. Si l’on mise sur cette solidarité entre les secteurs, ces mêmes secteurs nous viendront en aide quand la loi Major sera menacée. Ensemble nous sommes parfaitement capables de paralyser l’économie, si besoin est.