« C'est de loin la plus grande crise à laquelle le monde a été confronté depuis la Seconde Guerre Mondiale et le plus grand désastre économique depuis la dépression des années 1930. Le monde est arrivé à un moment marqué par des divisions entre les grandes puissances et par une incompétence aux plus hauts niveaux de gouvernement, dans des proportions terrifiantes. »

C’est ainsi que Martin Wolf, éditorialiste du Financial Times, décrit la nouvelle situation mondiale créée par la crise du coronavirus. Il ajoute que cette crise entrera dans les livres d’économie comme celle de « La grande fermeture » (The Great shutdown). La pandémie n’est pas la cause de la crise économique mais le catalyseur d’un ensemble de crises multiples. L’économie planétaire était déjà à bout de souffle quand le microbe a frappé ; les dégâts sanitaires n’ont fait que brutalement accélérer et amplifier la tendance à la récession, déjà sous-jacente. On assiste également à un véritable télescopage des crises économiques, politiques et sociales, couplées à une crise climatique et écologique sans pareilles.

Il est difficile, voire impossible, de pouvoir comparer cette période avec un autre moment de l’histoire humaine. On pense naturellement aux effets dévastateurs de la grande dépression des années 1930 ; on se rappelle la déflagration guerrière de 1914, ou encore l’épidémie de la peste noire au XIVème siècle. Trouver un moment historique qui ressemble à celui que nous vivons aujourd’hui serait, d’une certaine façon, rassurant. On saurait alors à quoi s’attendre. Mais ce tournant majeur dans l’histoire de la société humaine est unique. Il est donc très difficile de prédire ce qui va se passer dans les mois et années à venir. Sauf à dire ceci : aucun retour à la période d’avant le coronavirus n’est possible ; le monde va connaître des bouleversement fondamentaux. Mais surtout, la conscience de millions de travailleurs et de jeunes sera marquée au fer rouge par cette crise qui va les radicaliser et les pousser vers des conclusions révolutionnaires.

Le crash brutal de l’économie mondiale en ce moment dépasse celui de 2008 sur plusieurs aspects. Premièrement, il est véritablement mondial car il entraîne dans sa chute presque tous les pays du monde, alors que ce n’était pas le cas en 2008 : aujourd’hui, 90% des pays connaissent une contraction du PIB par habitant, contre 62% en 2009. Deuxièmement, la Chine de 2008 jouait le rôle d’un pare-choc mondial, permettant à la planète d’éviter de glisser dans la dépression. Aujourd’hui, la Chine est en chute libre. Jamais le pays n’a connu de recul de croissance sur les dernières décennies. Il est désormais exclu que la Chine puisse jouer le rôle de remorqueur de l’économie internationale.

Beaucoup d’économistes, et avec eux beaucoup de dirigeants politiques de droite comme de gauche, essaient de se rassurer. La chute est certes brutale, mais, selon leur pronostic, le rebond sera rapide et permettra de revenir aux niveaux de production antérieurs. C’est ce qu’ils appellent une reprise en V de l’économie.

Cette version de l’avenir est trop optimiste. A notre avis, l’économie mondiale va tomber dans une crise de longue durée, ponctuée certainement de petits rebonds, mais marquée par une longue agonie. La bourgeoisie fera tout pour faire croire que la cause unique de cette crise est la pandémie. Cependant, la pandémie n’est qu’un déclencheur, qui n’a été érigé au rang d’événement historique que parce qu’il a été concomitant d’une « crise organique » du capitalisme.

Le capitalisme parmi « le groupe à risque »

S’il était incarné, le capitalisme ferait lui-même partie du « groupe [de personnes] à risque ». Il souffre d’innombrables faiblesses qui se sont accumulées au cours des dernières années et décennies. Il présente tous les symptômes d’un organisme âgé qui se meurt lentement depuis un certain temps. Même avant la pandémie, une récession se profilait à l’horizon et nous, marxistes, avons toujours souligné qu’un événement apparemment anodin suffirait à déclencher un effondrement.

Le mauvais état de santé du capitalisme s’est manifesté avec la dernière crise majeure, en 2008. Depuis, pas un seul problème n’a été résolu, bien au contraire : le système a été bourré de médicaments qui ne font qu’atténuer les symptômes de la maladie. D’une part ces médicaments deviennent de plus en plus inefficaces en cours de traitement et, d’autre part, ils ont eux-mêmes aggravé l’état de l’organisme. Sur le plan économique, l’expansion du crédit a mené aux niveaux d’endettement les plus élevés de l’histoire (322 % du PIB mondial). Sur le plan social, les années d’austérité ont déjà poussé d’innombrables salariés sous le seuil de pauvreté. Politiquement, ces attaques contre les salariés ont conduit à une perte constante de la légitimité des pouvoirs politiques et à une large radicalisation de la classe ouvrière, qui a commencé à s’exprimer dans des mouvements insurrectionnels de masse à travers le monde, en particulier en 2019. Tout cela a considérablement réduit la capacité des capitalistes et de leurs États à faire face à une nouvelle crise.

Ce que nous vivons ici n’est donc pas une contingence dans l’évolution historique, après laquelle tout continuera plus ou moins comme avant. Nous entrons dans une nouvelle phase historique au niveau mondial, qui sera marquée par l’instabilité politique et par une lutte des classes d’une intensité qui éclipsera tout ce qu’ont connu les générations vivantes.

Les luttes des classes à venir

Nous allons assister à un chômage de masse, à toute une série de faillites d’entreprises et à des crises budgétaires parce que toutes les créances douteuses accumulées ces dernières années ne pourront être payées (en particulier celles des entreprises). Les États vont tout faire - ils font d’ailleurs déjà tout en ce moment - pour sauver les entreprises les plus importantes. D’énormes sommes d’argent seront dépensées et injectées dans l’économie alors que la dette publique est déjà à un niveau record dans la plupart des pays.

Quelqu’un devra payer pour cela : de l’avis de la classe dirigeante, il est clair qu’il s’agira de la classe ouvrière. Mais cela ne se fera pas sans combat. Les travailleurs et les opprimés commencent déjà à mettre leur poids dans la balance de la lutte des classes : ils se mettent en grève et s’organisent parce qu’ils ne sont pas prêts à risquer leur santé et celle de leurs semblables pour les profits des patrons.

Ces événements sont des coups de marteau sur la conscience des opprimés, des coups qui les forcent à se poser des questions fondamentales au sujet de leur vie et de leur travail : que valons-nous ? Pourquoi le patron fait-il passer les profits avant les vies humaines? De quel côté se trouve le gouvernement ? La crise révèle qui est le véritable pilier de la société, qui crée réellement toutes les richesses. Elle montre aussi que personne n’a besoin de PDG ou d’actionnaires, et que les salariés eux-mêmes sont les mieux à même d’organiser leur vie pendant ces bouleversements.


Cette classe ouvrière ne sera pas prête à baisser la tête et à accepter de prendre en charge la facture qui lui sera présentée. Confiante en elle - c’est bien elle qui a sauvé des vies et maintenu la société à bout de bras dans les moments les plus difficiles ! - elle passera à l’offensive. Cette classe ouvrière pousse intuitivement dans la direction des idées que nous, les marxistes, avons longtemps propagées. Ce sont les propres idées de la classe ouvrière, une classe sûre d’elle-même qui entre sur la scène de l’histoire.

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