Une analyse des événements qui ont aboutit à la chute du président Ianoukovytch.

La chute de Ianoukovytch ne marque pas la fin du drame ukrainien. Plus de vingt ans après la chute de l’URSS et l’avènement de « l’indépendance nationale » de l’Ukraine, ce pays potentiellement prospère sombre dans un abîme de souffrances. L’économie s’effondre. Une clique d’oligarques pille le pays et vit dans une opulence obscène. Ils sont les véritables maîtres de l’Ukraine.

Il y a neuf ans, le peuple a exprimé son mécontentement lors de la « Révolution Orange ». Mais rien n’a changé. Les Ukrainiens sont redescendus dans la rue. Un autre gouvernement est tombé et quelque chose a changé – mais pas forcément en mieux.

L’UE et l’Ukraine

L’étincelle qui a allumé la vague de manifestations de masse était la soudaine décision du gouvernement – sous pression russe – de ne pas signer un accord avec l’UE. Mais les causes du mécontentement étaient beaucoup plus profondes.

Ces dernières années, l’économie du pays, qui traversait une crise chronique, a brutalement chuté. Elle souffre d’une combinaison fatale des pires caractéristiques du vieil Etat bureaucratique et du vandalisme capitaliste. De nombreux Ukrainiens ont été obligés de quitter le pays pour chercher du travail et envoyer de l’argent à leur famille. Comme un naufragé qui s’accroche à une paille, certains espéraient que accord avec l’UE arrangerait les choses.

En réalité, cet accord était une manœuvre cynique visant miner l’influence de la Russie sur l’Ukraine – au profit de l’UE et des Etats-Unis. Mais l’UE n’offrait qu’un milliard d’euros d’aide à l’Ukraine (sous conditions). Poutine, lui, en offrait 15 milliards. La volte-face de Ianoukovytch a choqué une partie des Ukrainiens – et déclenché les mobilisations de masse.  

La nature du mouvement

Tous les mouvements de masse ne sont pas révolutionnaires ou progressistes. Les marxistes doivent analyser la nature de classe d’un mouvement, révéler les intérêts de classe que recouvrent les mots d’ordre et distinguer ce qui est progressiste de ce qui est réactionnaire.

En novembre 2013, des gens sont descendus dans les rues pour tenter de forcer le président à signer l’accord avec l’UE. Ianoukovytch a ordonné de réprimer brutalement les manifestants. En vain. Le président a alors combiné la répression avec des offres de concessions. Mais celles-ci étaient trop petites pour satisfaire les manifestants – et la répression insuffisante pour les décourager. Les mobilisations se sont poursuivies en décembre et janvier, toujours plus grandes et donnant lieu à toujours plus de violences.

Outre des étudiants et des intellectuels, la principale base sociale du mouvement était la petit-bourgeoisie ruinée, les petits commerçants (très nombreux en Ukraine) et toutes sortes d’éléments déclassés. La classe ouvrière est demeurée largement passive. Dans les manifestations, il y avait un certain nombre d’éléments nationalistes, d’extrême droite ou ouvertement fascistes.

Sous la pression de l’UE, des manifestants et de son propre camp, Ianoukovytch a dû multiplier les concessions. Le 21 février, il a été contraint de signer un compromis avec des dirigeants de l’opposition. Ce fut immédiatement interprété par les manifestants comme un signe de faiblesse – à juste titre. Les éléments les plus radicaux ont rejeté la fausse « trêve » et ont intensifié leurs attaques. A travers le pays, des bâtiments gouvernementaux ont été occupés. La menace d’une guerre civile s’intensifiait. Dans ce contexte, le Parlement a basculé. Il a voté la destitution de Ianoukovytch et l’organisation d’élections présidentielles pour le 25 mai. L’opposition a pris le contrôle de tous les leviers du pouvoir à Kiev.

Lorsque les manifestants sont entrés dans la somptueuse résidence privée du président déchu, ils ont été stupéfaits par la quantité d’or et de marbre. Il y avait des cours de tennis, une salle de boxe en sous-sol et tout un zoo peuplé d’autruches, de paons, de cerfs et de sangliers. Les gens disaient : « voilà donc où allait tout l’argent ».

Dans l’est de l’Ukraine, les travailleurs savent aussi bien que ceux de l’ouest que toute la classe politique est corrompue. Mais même s’ils sont écœurés par cette corruption, ils ne pensent pas que les hommes et les femmes qui viennent de prendre le pouvoir valent mieux que Ianoukovytch.

Le spectre de la Yougoslavie

L’UE n’effacera pas la dette de l’Ukraine. Un plan de sauvetage du FMI comprendrait des conditions au moins aussi sévères que celles imposées à la Grèce : coupes drastiques dans les dépenses publiques, pression fiscale accrue sur les pauvres, etc. Et que resterait-il de la souveraineté nationale ukrainienne, si les décisions économiques et sociales les plus importantes étaient prises par une cabale de banquiers européens et américains ?

Pendant que les Etats-Unis et l’UE s’efforcent de tirer l’Ukraine vers l’ouest, la Russie accroît ses pressions dans l’autre sens. Actuellement, seuls le gaz et les crédits russes empêchent un effondrement complet de l’économie ukrainienne. Moscou a déjà prévenu que tout rapprochement avec l’UE provoquerait une augmentation des tarifs douaniers à l’encontre des exportations ukrainiennes en Russie. Poutine pourrait aussi réclamer le payement des dettes colossales contractées par l’Ukraine. Cela suffirait à ruiner le pays.

Les lignes de fracture, dans la société ukrainienne, se sont accrues au point qu’une partition du pays ne peut plus être exclue. Cela impliquerait un déchaînement de violences et serait une catastrophe pour le peuple ukrainien. Le spectre de la Yougoslavie planerait sur le pays.

C’est l’absence d’un mouvement indépendant de la classe ouvrière ukrainienne qui a mené le mouvement dans une impasse. Les travailleurs sont très hostiles à l’oligarchie et au régime politique corrompu. Mais le peuple des régions industrialisées, à l’est, ne se sent pas représenté par les manifestants. Il s’en méfie profondément. Il déteste Ianoukovitch et son parti, mais il craint que toute alternative soit pire encore. Si le mouvement s’était centré sur la lutte contre la corruption, sans revendications nationalistes, pro-occidentaux et anti-russes, il aurait pu s’étendre à la classe ouvrière industrielle de l’est du pays. Cela aurait complètement transformé la situation. Mais lorsque les Ukrainiens russophone ont vu les drapeaux fascistes, place de l’Indépendance, ou la destruction de la statue de Lénine, ils ont tourné le dos au mouvement avec dégoût.

Lorsqu’on dit aux travailleurs de l’est que Ianoukovitch est corrompu, ils haussent les épaules et répondent : « quel politicien ne l’est pas ? » Ils ont déjà fait l’expérience de la Révolution Orange et savent comment cela s’est terminé : par un remaniement au sommet. Une clique d’oligarques a pris la place d’une autre – et le niveau de vie des masses a continué de décliner.

L’autorité du nouveau gouvernement de Kiev ne s’étend pas jusqu’à Donetsk. Le soi-disant gouvernement d’union nationale est en réalité un gouvernement de désunion nationale.

Pour une Ukraine socialiste !

La grande majorité des Ukrainiens sont épuisés par cette situation. Mais quelle est l’alternative ? Sur la base du capitalisme, l’avenir ne réserve rien de bon au peuple ukrainien. Y a-t-il une autre voie, qui garantisse l’unité et l’indépendante de l’Ukraine ? Il y en a une. Mais il n’y a ni raccourcis, ni solution faciles. 

Il n’y aura pas d’issue, pour les masses, tant que la politique ukrainienne se réduira à une lutte constante entre différentes fractions de la même oligarchie. La classe ouvrière ne doit pas accorder sa confiance aux politiciens et à l’Etat bourgeois. Ils ne sont capables que de trahisons.

La seule alternative au règne des oligarques, c’est une Ukraine socialiste et démocratique, dans laquelle la terre, les banques et l’industrie seront contrôlées par la classe ouvrière. Un tel programme lèverait les divisions entre l’est et l’ouest, ralliant tous les travailleurs contre les parasites richissimes. Il faut commencer par confisquer les biens des oligarques, qui doivent servir à financer la reconstruction de l’Ukraine dans le cadre d’une économie socialiste démocratiquement planifiée.

La deuxième étape, ce serait le rejet de toutes les dettes contractées par l’oligarchie et ses politiciens corrompus. Le peuple ukrainien n’a jamais été consulté à ce sujet. Les créditeurs étrangers se sont suffisamment engraissés sur le dos du peuple ukrainien ! Les richesses crées par les travailleurs d’Ukraine doivent leur bénéficier.

De bons rapports entre l’Ukraine et la Russie sont absolument nécessaires. Les deux peuples ont d’anciens et puissants liens historiques. Les problèmes commencent quand les Ukrainiens se sentent dominés par leur puissant voisin.

La Russie, comme l’Ukraine, est dirigée par une oligarchie corrompue. Si les travailleurs d’Ukraine prenaient le pouvoir, le régime de Poutine ne tiendrait pas une semaine. Le programme de l’internationalisme socialiste – le programme de Lénine – exercerait une puissante attraction sur tous les peuples d’ex-URSS, qui, pour sortir de l’impasse, doivent rompre avec l’esclavage capitaliste et s’unir dans une Fédération Socialiste libre et égalitaire.

Il faut d’abord que les travailleurs ukrainiens prennent le pouvoir en main. Alors, ils pourront commencer à régler les problèmes. Ils doivent s’engager dans cette voie et appeler leurs frères russes à suivre leur exemple. Au nom de Lénine ! Au nom du socialisme ! Au nom de la classe ouvrière ! C’est la seule voie.

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