La crise économique au Maroc est très profonde. Selon la Banque Mondiale, « le choc du COVID-19 pousse brusquement l'économie marocaine dans une grave récession, la première depuis 1995. »[1] Pour sa part, le ministre des Finances, Mohamed Benchaâboun, estime que la conjoncture actuelle est « périlleuse » [2].
Dans un éditorial, le journal The Economist exprime son accord avec Monsieur le Ministre dans les termes suivants : « Le ministre des Finances a bien raison de qualifier la conjoncture actuelle de ‘périlleuse’ […] Peut-être faut-il remonter aux premières années de l’Indépendance pour trouver une situation aussi difficile.» [3].
The Economist complète : « Aujourd’hui, la situation est pire que celle des années 1980-85. A cette époque-là, le Maroc a vécu un crash financier, une sècheresse historique (dans sa durée comme dans son ampleur) et la soudaine montée du dollar selon lequel étaient fixées les relations financières extérieures. Ajoutons à cela une inflation à un niveau jamais vu et plus jamais revu depuis : 15% en 1983. Et enfin, 15% de déficit du Trésor par rapport au PIB.»
Rappelons-nous que les années 1980-85 ont connu deux grèves générales et deux grandes insurrections des masses (1981- 1984) qui ont secoué le régime ; ce dernier s’est vu contraint d’utiliser l’armée, les chars et les balles pour mettre fin au mouvement révolutionnaire. Si maintenant les stratèges de la classe dominante disent que la situation actuelle « est pire que celle des années 1980-85 », c’est parce qu’ils sont inquiets et qu’ils connaissent très bien le caractère révolutionnaire de la situation.
Ils s’accordent également sur un autre constat : le manque total de vision du gouvernement. Dans ce contexte, le journal du parti Istiqlal (Bourgeois), lopinion.ma, affirme que le gouvernement « confronté aux perspectives sombres de la récession, prépare le budget de l’année prochaine dans des conditions exceptionnelles, caractérisées par un manque de visibilité sur la conjoncture économique» [4]. L’économie marocaine est en phase de décroissance, comme en témoignent les prévisions de récession qui se succèdent jour après jour. La Banque centrale a fait état d’une contraction de 6,3% de l’économie, après que le Haut Commissariat au Plan (HCP) a limité le taux de récession à 5,8% à la fin de 2020.
L’activité économique, selon le HCP, « régresserait de 4,6%, au lieu d’une hausse de 2,4% au troisième trimestre 2019 » [5].
En ce qui concerne le déficit, la Banque Mondiale confirme que « malgré la baisse des importations, le déficit du compte courant devrait se creuser et atteindre 8,4% en 2020, reflétant une forte baisse des recettes d'exportation et touristiques ainsi que des transferts.[…]
En conséquence, le déficit budgétaire global devrait s'élargir à 7,5% du PIB en 2020, près de 4 points de pourcentage de plus que prévu avant la crise du COVID-19 ». [6]
La crise va dévaster le « marché du travail ». La Banque Mondiale déclare ainsi que « le marché du travail fait face à un choc de historique, les travailleurs vulnérables, notamment ceux du secteur informel, étant particulièrement touchés. » Elle ajoute que : « Les effets négatifs combinés ont conduit à des pertes d'emplois et de revenus généralisées, en particulier dans le secteur informel où 66% des travailleurs ont perdu leur emploi.»[7]
Le ministre des Finances confirme que l’économie nationale perd 10.000 postes chaque jour [8]. Le volume de chômage a atteint 1.477.000 personnes au niveau national. Le taux de chômage est ainsi passé de 8,1% à 12,3% ![9]
Il est plus élevé parmi les jeunes âgés de 15 à 24 ans (33,4%), les diplômés (18,2%) et les femmes (15,6%) [10]. Bien sûr, ces chiffres ne reflètent pas la réalité car le gouvernement a ses méthodes pour falsifier les chiffres comme, par exemple, ne pas compter les ouvriers qui travaillent sans salaire (les entreprises familiales, etc.) ou les chômeurs qui ont perdu tout espoir de trouver un travail et ont arrêté leurs recherches…
Selon les projections démographiques 2014-2050 du HCP[11], les jeunes âgés de 15 à 24 ans sont totalement ignorés, et se retrouvent sans emploi, hors du système scolaire et sans formation. Ils seraient près de 6 millions en 2019.
Dans ce contexte, la situation de la classe ouvrière devient de plus en plus pénible. Le HCP estime que « la population active occupée en situation de sous-emploi lié au nombre d’heures travaillées a atteint 957.000 personnes, avec un taux de 9,1%. Celle en situation de sous-emploi lié à l’insuffisance du revenu ou à l’inadéquation entre la formation et l’emploi exercé est de 402.000 personnes (3,8%). En somme, le volume du sous-emploi, dans ses deux composantes, a atteint 1.359.000 personnes. Le taux global de sous-emploi est passé de 9% à 13% au niveau national, de 7,8% à 12,2% en milieu urbain et de 10,6% à 14,1% en milieu rural ».
Qui va payer ?
Pour faire face à cette situation la seule réponse que le gouvernement avance est l’application d’une politique d’austérité draconienne pour obliger les couches les plus vulnérables à payer.
Dans ce contexte, le chef du gouvernement a annoncé le report indéterminé des promotions aux fonctionnaires de secteur public, l’application d’une taxe « solidaire », et l'annulation des concours de recrutement dans plusieurs secteurs, ce qui n'inclut évidemment pas les administrations chargées de la sécurité et de l'intérieur.
Dans un souci sécuritaire, alors que la majorité des ministères ont connu des réductions budgétaires, la plupart des ministères de ‘souveraineté’ ont vu leur budget revu à la hausse. C’est particulièrement le cas du ministère de l’Intérieur : 2,6 milliards d’euros contre 2,3 en 2018, soit une hausse de 11,9 %.
Mais si les pauvres vivent dans l’enfer sur terre, le « roi des pauvres » peut, lui, prétendre voir « la vie est en rose ».
Sa fortune, d’après Forbes, s’élèverait à 5,7 milliards de dollars. Dans un article de Middleeasteye12 on lit que : « Malgré la crise asphyxiante, le budget du Palais royal n’a pas baissé en 2020. Bien au contraire, le palais royal reçoit un budget d’environ 2,5 milliards de dirhams (un peu plus de 230 millions d’euros). » Et dernièrement, en plein crise, il acheté un majestueux palais à Paris, avec vue sur la tour Eiffel, à 80 millions d’euros !
Les grands capitalistes dans son entourage, et surtout les banques, continuent également de réaliser des profits à peine imaginables…
Oui, Marx avait raison quand il disait : « L’accumulation des richesses à un pôle, c'est égale accumulation de pauvreté, de souffrance, d'ignorance, d'abrutissement, de dégradation morale, d'esclavage, au pôle opposé. »
La situation politique
Pour maintenir cette situation insupportable à la grande majorité de la société, le régime impose une loi de terreur.
La situation est caractérisée, d'un côté, par la faillite de tous les partis politiques, et par la faiblesse de tous les gouvernements : ils sont tous dans l’impasse totale, et n’ont aucune solution. La seule réponse que la classe dominante possède est la répression (qui n’est pas soutenable pour très longtemps)…
De l’autre côté, on observe un manque d’organisations de masses combatives, qui pourraient prendre en main l’organisation de la lutte, ainsi que le manque d’une direction révolutionnaire qui puisse donner un programme et une alternative.
Le régime profite de la trahison des bureaucrates qui dominent les syndicats ouvriers et du manque de vision et de courage de la part des dirigeants des partis de gauche, pour continuer les attaques.
Quelles perspectives ?
Si l’on prend en considération le taux de chômage effroyable, les rapports de forces défavorables, la trahison des dirigeants syndicaux, le manque d’une alternative révolutionnaire claire et convaincante, la répression brutale, en plus des effets néfastes de la pandémie, nous croyons que la classe ouvrière va, pour un certain temps, serrer les dents et attendre le bon moment pour intervenir et prendre sa revanche.
Ceci ne veut pas dire que la situation soit stagnante de point de vue des luttes sociales. Malgré tout, la classe ouvrière ne reste pas sans se battre, et l’on voit déjà quelques luttes défensives dans plusieurs zones industrielles. On voit aussi des mouvements dans les petites villes marginalisées, les quartiers populaires et parmi les jeunes. Mais ce ne sont que des anticipations de ce à quoi nous allons assister dans la prochaine période.
Tôt ou tard la nécessité, qui est l’explosion sociale, va s’exprimer d'une manière ou d'une autre, pour une raison ou pour une autre, ici ou là. Oui, les accidents de ce genre sont des composantes structurelles dans une situation prérévolutionnaire, comme celle que nous vivons. On ne sait pas quand, ni où elle va se déclencher, mais elle est inévitable.
Le régime en a pleinement conscience, ce qui explique son recours à la répression brutale contre chaque mouvement, même les plus petits, de peur qu’ils deviennent un point de référence pour les masses en colère.
C’est la perspective à laquelle nous devons nous préparer. Mais en attendant l’explosion des luttes et l’intervention de la classe ouvrières sur la scène, nous estimons que la situation actuelle est très favorable de point de vue des forces marxistes. D’une part, on assiste à une accumulation de colère parmi les masses, surtout parmi les jeunes qui commencent à chercher une alternative à leur insupportable situation ; d’autre part, nous vivons un moment de calme relatif, temporaire, qui nous donne la possibilité de construire nos forces et de bien nous préparer pour la période tempétueuse qui s’ouvre devant nous.
1) Rapport de suivi de la situation économique du Maroc - Perspectives économiques et impact de la crise de COVID-19 (https://www.banquemondiale.org/fr/region/mena/publication/morocco-economic-monitor---moroccos-economic-prospects-and-the-covid-19-crisis-impact)
2) PLF 2021 : le pari risqué de Benchaâboun pour surmonter la crise (https://www.lopinion.ma/PLF-2021-le-pari-risque-de-Benchaaboun-pour-surmonter-la-crise_a6957.html)
3) Fondamentaux (https://www.leconomiste.com/fondamentaux-1)
4) PLF 2021 : le pari risqué de Benchaâboun pour surmonter la crise (https://www.lopinion.ma/PLF-2021-le-pari-risque-de-Benchaaboun-pour-surmonter-la-crise_a6957.html#:~:text=Confront%C3%A9%20aux%20perspectives%20sombres%20de,vicissitudes%20de%20la%20crise%20sanitaire.)
5) CONJONCTURE (https://www.hcp.ma/Conjoncture_r26.html)
9) https://fr.le360.ma/economie/hcp-le-taux-de-chomage-est-passe-de-81-a-123-au-deuxieme-trimestre-220737#:~:text=Avec%20une%20hausse%20de%20pr%C3%A8s,milieu%20rural%20sont%20particuli%C3%A8rement%20touch%C3%A9s.
10) https://www.hcp.ma/reg-casablanca/attachment/672378/