Dans un récent article [1], je soulignais que l’intention de l’impérialisme israélien n’était pas d’occuper Gaza, mais d’infliger un maximum de dégâts au Hamas, de terroriser la population – avant de repartir. C’est chose faite.
La décision de se retirer de Gaza a été accueilli par un immense soulagement, dans les capitales occidentales. Tout en affichant publiquement leur sympathie pour la sécurité d’Israël, les impérialistes étaient préoccupés par l’impact déstabilisateur de cette agression militaire, dans le monde arabe.
Comme toujours, les principaux perdants sont les citoyens ordinaires. Ces trois semaines de guerre ont provoqué de terribles dégâts à un territoire déjà très appauvri. En état de choc, les Palestiniens sortent de leurs abris et commencent à prendre toute la mesure de la situation. La dernière chose qu’ils souhaitent est une reprise de combats, qui ont déjà provoqué la mort de plus de 1300 personnes. Le bilan s’alourdira, au fur et à mesure que des blessés mourront, dans les hôpitaux. Les infrastructures ont été dévastées. Le gouvernement et l’administration sont en ruines.
Malgré ces faits évidents, les dirigeants du Hamas revendiquent une « victoire populaire » contre Israël. Ismail Haniyeh a déclaré que « l’ennemi n’a pas atteint ses objectifs de guerre ». Le Hamas a conditionné sa trêve au retrait israélien de Gaza dans la semaine. Décision « sage et responsable », a déclaré Ismail Haniyeh.
Ces déclarations ne reflètent pas la situation réelle. Les Israéliens se retirent de Gaza car ils ont atteint leur objectif immédiat. Comme je l’écrivais récemment, « leur objectif est de frapper un grand coup dans le but d’affaiblir sérieusement la capacité militaire du Hamas, de tuer un maximum de ses dirigeants et militants, d’infliger à l’économie et aux infrastructures des dégâts tels qu’il faudra beaucoup de temps pour tout reconstruire – puis de se retirer. »
Pour montrer qu’il était toujours capable d’opposer une certaine résistance, le Hamas a tiré une vingtaine de roquettes, dimanche, au moment même où la trêve était annoncée au monde entier. Mais cela n’a absolument pas modifié les plans des Israéliens. Ces tirs de roquettes, tout comme les déclarations sur la « victoire » du Hamas, sont considérés par Ehud Olmert comme ce qu’ils sont effectivement : de creuses fanfaronnades. Le premier ministre a déclaré la mission d’Israël accomplie, et il n’est pas permis d’en douter, du moins pour ce qui concerne les objectifs militaires à court terme. L’offensive israélienne a tout balayé sur son passage. Face à la puissance militaire israélienne, de petites roquettes artisanales ne peuvent avoir le moindre effet.
Le Hamas a déclaré qu’il arrêterait de tirer des roquettes « lorsque le dernier soldat israélien aura quitté Gaza ». Mais en réalité, il sera obligé d’arrêter ces tirs. Ses capacités militaires ont été sévèrement ébranlées. En outre, une épée de Damoclès reste suspendue sur la population de Gaza. S’il y a une reprise des tirs de roquettes, les Israéliens n’hésiteront pas à intervenir de nouveau.
Israël tient toujours Gaza dans sa poigne de fer. Radio Israël a rapporté que les Israéliens laisseraient 200 camions d’aide humanitaire entrer dans Gaza. C’est Israël qui décide d’ouvrir ou de fermer l’aide humanitaire, comme on ouvre et ferme un robinet. Dans les domaines économique et militaire, Israël a toutes les cartes en main.
Avant l’agression militaire, l’économie de Gaza était déjà étouffée par un blocus implacable. Désormais, elle est en ruine. De source palestinienne, quelques 4000 immeubles résidentiels ont été détruits. Des diplomates occidentaux ont évalué la reconstruction des infrastructures à 1,6 milliards de dollars.
Cette guerre a également miné la crédibilité du Président palestinien Mahmoud Abbas, qui est soutenu par les impérialistes. Elle a aggravé les divisions entre Palestiniens, qui sont déprimés et désorientés.
Lors des discussions avec des médiateurs égyptiens, les officiels du Hamas ont demandé la réouverture de toutes les frontières, de façon à permettre l’entrée de nourriture et autres biens de première nécessité. Il est probable qu’Israël fera des concessions, dans ce domaine. La France, l’Allemagne, la Grande Bretagne, l’Espagne, l’Italie et la République Tchèque (qui préside l’UE) ont demandé une réouverture rapide des frontières.
Mark Regev, porte-parole du gouvernement israélien, a déclaré que « d’énormes quantités » d’aide pourraient entrer dans Gaza si le calme est maintenu. En d’autres termes, il y aura des conditions. « Si le calme est maintenu » signifie : si le Hamas est neutralisé et rendu impuissant, comme force militaire.
Ces dernières semaines, les gouvernements occidentaux se sont contentés de verser des larmes de crocodile. Le fait est que ces gouvernements – tout comme les régimes arabes « modérés », c’est-à-dire pro-américains – souhaitent la destruction du Hamas. Ils n’avaient pas l’intention d’empêcher Israël d’accomplir sa sanglante mission. Mais à présent que la machine militaire israélienne a atteint ses objectifs et se retire de Gaza, les initiatives diplomatiques vont se multiplier. Les Etats-Unis, l’Egypte et les pays européens oeuvrent tous « pour la paix ». Autrement dit, ils veulent tous empêcher le Hamas de se réarmer.
Telle est la condition que posent les Israéliens, et ils s’y accrocheront fermement. Le Ministre israélien à la Sécurité Publique, Avi Dichter, a déclaré que si des armes entraient à nouveau dans Gaza, Israël y verrait une agression et répondrait par la force. En conséquence, on peut s’attendre à ce que des mesures soient prises pour empêcher que des armes entrent dans Gaza par la frontière avec l’Egypte. Et le gouvernement égyptien se fera une joie d’appliquer ces mesures – s’il le peut.
Israël et Obama
Le calendrier du retrait de Gaza est très significatif. Il confirme ce que j’écrivais il y a quelques jours. En agressant Gaza avant qu’Obama ne succède officiellement à George Bush, le 20 janvier, la classe dirigeante israélienne voulait prévenir Washington qu’elle ne laisserait pas la nouvelle administration américaine conclure, avec les pays arabes, un accord qui ne lui conviendrait pas. Désormais que ce message est très clairement passé, Israël retire ses troupes de façon à ne pas mettre Obama dans une situation inutilement embarrassante.
C’est ce qu’ont reconnu le Haaretz Service et News Agencies, qui écrivaient, dimanche : « Les officiels israéliens ont dit que les troupes se retireraient complètement avant l’investiture de Barack Obama, mardi. Ces officiels s’exprimaient sous couvert d’anonymat, car le plan n’était pas annoncé publiquement. »
Tout le monde se tourne vers Barack Obama pour qu’il trouve une solution au conflit israélo-palestinien. En fait, tout le monde se tourne vers Obama pour qu’il résolve tous les problèmes de la planète. Or, ce serait une tâche assez compliquée pour le Tout-puissant lui-même. Obama croit dans le Tout-puissant, mais il a déjà prévenu le peuple américain qu’il n’avait pas, lui, le pouvoir d’accomplir des miracles. C’est regrettable, car les gens attendent précisément qu’il fasse des miracles.
Un porte-parole d’Obama a déclaré que le nouveau Président américain se félicitait de la trêve – et qu’il dirait ce qu’il pense de ce conflit après son intronisation. La principale priorité d’Obama est de renforcer sa position, aux Etats-Unis, en retirant des troupes d’Irak le plus vite possible. Il doit faire cela (et d’autres gestes populaires) dans la première phase de sa législature, de façon à préparer le terrain à la politique de régression sociale qu’il sera forcé de mettre en oeuvre, par la suite. Ce n’est pas un hasard s’il est allé déposer une gerbe sur la tombe du soldat inconnu, samedi. Il voulait dire à la population américaine : « Bush vous a engagé dans cette guerre. Mais ne vous inquiétez pas : je vous en sortirai ! »
Cependant, pour se retirer d’Irak, les Américains devront parler avec la Syrie et l’Iran. Dans ces négociations (qui seront menées à l’abri des regards de l’opinion publique), le sort des Palestiniens sera tranché. L’invasion de Gaza était un élément de ces négociations, qui sont comme une partie d’échec dans laquelle des nations entières font figure de simple pions au service des objectifs fondamentaux des grandes puissances.
Les Palestiniens ne doivent rien attendre d’« amis » comme Obama ou les gouvernements de l’Union Européenne. Ils doivent attendre encore moins des gouvernements arabes « amis », qui soit redoutent l’impact de la lutte des Palestiniens sur les masses de leurs pays, soit utilisent la cause palestinienne comme un simple pion de leur jeu diplomatique.
Le problème palestinien ne sera pas réglé par des tirs de roquettes ou des attentats-suicide. Il ne sera pas réglé, non plus, par Mahmoud Abbas. Sous couvert de « négociations de paix », le chef du Fatah se prépare à capituler face aux Israéliens et aux impérialistes. Le problème ne pourra être réglé que par la lutte révolutionnaire des masses pour renverser les régimes arabes pro-américains de la région – et pour y établir des gouvernements ouvriers et paysans.
De même que la question nationale n’a été résolue, en Russie, que lorsque les travailleurs et les paysans ont pris le pouvoir, de même le problème des Palestiniens, des Kurdes et des autres peuples opprimés de la région ne peut être réglé que sur la base de gouvernements ouvriers et d’une fédération socialiste. Le seul moyen de défier la puissance de l’impérialisme israélien, c’est d’arracher les travailleurs d’Israël à l’influence du Sionisme. Cela n’est possible que sur la base d’une politique de classe et révolutionnaire. Toute autre voie ne mènera qu’à un renforcement des haines nationales, à de nouvelles guerres et de nouveaux massacres. Par le passé, les Palestiniens avaient une tradition socialiste. Aujourd’hui, cette tradition est leur unique salut !
Alan Woods
Publication : mardi 20 janvier 2009
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[1] En anglais ici, et bientôt disponible en français, sur unitesocialiste.be