La victoire du Parti Socialiste Ouvrier Espagnol (PSOE) au élections législatives, le 9 mars dernier, a été célébrée par une mer de drapeaux rouges, devant le siège du parti. Le PSOE a recueilli 43,84% des voix, soit 169 sièges de l’Assemblée nationale – cinq de plus qu’en 2004. Il lui manque 7 sièges pour décrocher la majorité absolue. De son côté, le Parti Populaire (PP, droite) a réuni 39,93% des voix, soit 154 sièges, soit six de plus qu’en 2004.

Le PSOE est donc sorti victorieux d’une campagne électorale très intense, au cours de laquelle le PP a mobilisé les forces de la réaction en utilisant des arguments qui rappelaient la période précédant la guerre civile des années 30. L’Eglise Catholique a par ailleurs joué un rôle majeur dans cette campagne de déstabilisation, organisant avec le PP des manifestations contre le gouvernement socialiste et son Premier ministre, José Luis Rodríguez Zapatero.

En conséquence, la polarisation entre les classes sociales s’est nettement accrue, et le fossé entre la droite et la gauche est devenu infranchissable. Cette polarisation politique et sociale n’a laissé aucune place au « centre », et les petits partis ont été balayés. Par exemple, la Gauche Républicaine de Catalogne (ERC) a perdu cinq sièges, et n’en conserve que trois. Ces élections ont confirmé le bipartisme ancré dans la politique espagnole.

Avec 3,80% des voix, la Gauche Unie (Izquierda Unida : IU), un front organisé par le Parti Communiste Espagnol (PCE), a réalisé les pires résultats de son histoire. Elle ne conserve que deux sièges, dont l’un fut acquis grâce à son alliance avec une petite organisation Catalane de gauche. Au final, l’IU n’a gagné qu’un seul siège en son nom propre : à Madrid. C’est un coup dur pour le PCE, mais qui était entièrement prévisible.

Depuis des années, les dirigeants du PCE ont abandonné la politique et l’idéologie communistes, condamnant le parti à n’être qu’un vague reflet réformiste du PSOE. Or, l’histoire démontre que face à deux partis réformistes aux orientations politiques similaires, les travailleurs votent pour le plus grand – le plus petit tendant à disparaître.

Les travailleurs espagnols ont serré les rangs derrière le PSOE pour enrayer la progression apparemment irrésistible de la droite – qui, en Espagne, reste traditionnellement identifiée au sombre passé de la dictature franquiste et du fascisme. Ces souvenirs ont été ravivés et la classe ouvrière s’est mobilisée pour infliger une défaite à la réaction. En cela, ce fut un succès. Les visages sombres de M.Rajoy (PP) et de ses confrères, après l’annonce des résultats, en étaient un éloquent aveu.

La campagne électorale a été bouleversée, au dernier moment, par l’assassinat d’un homme politique – assassinat qui était clairement l’œuvre d’ETA, l’organisation séparatiste basque. La droite a toujours essayé de tirer avantage du terrorisme d’ETA, en reprochant aux socialistes leur « faiblesse » et en exigeant plus de fermeté et de répression.

Cette fois-ci, cependant, cette tactique n’a pas fonctionné. La classe ouvrière ne s’est pas laissée prendre. Au contraire, l’assassinat d’Isaias Carrasco, un travailleur et un ancien conseiller municipal socialiste, a généré un sentiment de sympathie à l’égard des socialistes – qui s’est reflété dans le vote massif en faveur du PSOE au Pays Basque. Le Parti Socialiste est désormais le plus grand parti de cette région.

De même, le PSOE a fait de très bons scores en Catalogne, notamment à Barcelone et Gérone. En Andalousie, traditionnellement « rouge », le parti a remporté une victoire écrasante.

Les dirigeants du PP n’ont jamais réellement digéré leur défaite aux élections de mars 2004, lorsqu’Aznar s’est fait évincer du pouvoir après les attentats à la bombe, à Madrid, qui ont tué 191 personnes et en ont blessé 1 800. Ils se considèrent comme les détenteurs naturels du pouvoir, et ils étaient convaincus de balayer les socialistes, cette fois-ci. Ils se sont trompés. Face au danger d’un retour de la droite, les travailleurs se sont mobilisés en masse pour aller voter. La participation s’est élevée à plus de 75%. « C’était incroyable ! », me disait un syndicaliste vétéran, « les gens étaient enthousiastes et faisaient la queue pour aller voter ».

Il n’y a pas le moindre doute que le moteur principal de cet enthousiasme était la volonté d’infliger une défaite cuisante au PP. C’est pour cela que de nombreux électeurs traditionnels d’Izquierda Unida ont préféré voter pour le PSOE. Le sentiment général était : « Zapatero n’est peut-être pas ce qu’il y a de mieux, mais il faut le soutenir face à la droite ». Lors de son premier mandat, Zapatero a pris un certain nombre de mesures progressistes, telles que le retrait des troupes d’Irak, l’introduction de réformes sociales comme la légalisation sur le mariage gay et l’octroi de nouveaux pouvoirs aux régions semi-autonomes du pays. Aujourd’hui, il s’engage à poursuivre les réformes sociales, à créer 2 millions d’emplois, à augmenter le salaire minimum et la durée du congé maternité, mais aussi à investir massivement dans le réseau du TGV.

Cependant, les socialistes devront faire face à une aggravation du contexte économique. Les dix années de croissance spectaculaire qui ont vu la création 600 000 emplois par an sont terminées. L’économie espagnole est encore plus exposée que les autres pays de l’UE au vent de la récession et à la chute des prix de l’immobilier. Zapatero devra faire face à une hausse du chômage, à une inflation deux fois plus importante que la moyenne européenne, ainsi qu’à une crise de l’industrie du bâtiment, frappée par l’assèchement du crédit. Les analystes estiment que la croissance devrait tomber à 2,5%, en 2008, contre 4% au cours des dernières années.

Une politique réformiste ne peut pas régler les problèmes fondamentaux de la classe ouvrière. Les capitalistes, l’Eglise et la droite exerceront une pression toujours plus féroce sur le gouvernement du PSOE pour qu’il renonce à ses réformes et mène une politique de rigueur. Les nationalistes bourgeois feront de même. D’un autre côté, les militants socialistes et syndicaux exigeront une politique dans l’intérêt des salariés. Le PSOE sera pris en étau entre ces deux forces contradictoires.

La polarisation de classe s’intensifiera. La croissance de l’économie espagnole reposait, pour partie, sur les épaules des cinq millions d’immigrés qui sont arrivés en Espagne au cours des dix dernières années – et qui constituent désormais 10% de la population. Ils ont été les premiers frappés par le chômage. Le PP, qui compte des éléments ouvertement fascistes dans sa périphérie, a systématiquement recouru à la propagande raciste.

Pendant la campagne électorale, le chef du PP, Rajoy, a agité le spectre de chômeurs immigrés « siphonnant » les aides sociales. Lors de débats télévisés, Rajoy a reproché à Zapatero d’avoir provoqué une « avalanche » d’immigrés. C’est un avant-goût du genre de démagogie raciste à laquelle la droite va recourir dans le but de diviser la classe ouvrière. Il y a aussi la question nationale. Le meurtre de Carrasco souligne le fait que le conflit, au Pays Basque, n’est toujours pas réglé. Comme dans les années 30, c’est un facteur supplémentaire de déstabilisation, de turbulence et de violence.

En dernière analyse, la solution ne sera pas trouvée dans l’atmosphère raréfiée du Parlement – mais dans les usines, dans les écoles et dans la rue. L’Espagne entre dans une période turbulente, une période de lutte des classes, au cours de laquelle le salariat actionnera son muscle industriel pour défendre ses droits. Les étudiants et les lycéens se mobiliseront à nouveau pour défendre l’éducation publique et pour contrer l’Eglise et la droite.

Dans ces luttes, la tendance marxiste organisée autour du journal El Militante jouera un rôle central. Elle luttera en faveur de chaque réforme et de chaque revendication progressiste – tout en expliquant patiemment à la jeunesse et aux travailleurs que la seule solution réside dans un programme authentiquement socialiste, reposant sur la nationalisation des banques et des grands monopoles sous le contrôle et la gestion démocratiques des travailleurs eux-mêmes.

Alan Woods à Madrid     
10/03/ 2008  

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