Pris en étau entre les mouvements de grève des travailleurs et la pression du patronat, le gouvernement italien est revenu sur sa décision de suspendre les activités de production non essentielles, annulant de fait les mesures prises le samedi 21 mars pour lutter contre la pandémie de coronavirus. En réponse, les travailleurs de Lombardie préparent désormais une grève générale, qui pourrait entrainer d’autres régions dans le mouvement.

L’épidémie de coronavirus est en train de déclencher la crise économique et sociale la plus sévère qu’ait connue l’Italie depuis des décennies. Les coupes dans les services publics de santé et l’attitude irresponsable du gouvernement Conte, dans les premières semaines de la crise sanitaire, ont conduit à la situation gravissime dont nous sommes aujourd’hui victimes. Le nombre croissant de décès (5476 au 22 mars) et de personnes infectées (officiellement 60 000, beaucoup plus en réalité) provoque une énorme colère et une profonde remise en question du système.

Les différents décrets du gouvernement ont entraîné l’arrêt progressif des activités quotidiennes : les écoles, les universités, les bars, les restaurants et un grand nombre de magasins sont désormais fermés. Le transport aérien et ferroviaire a été nettement limité. Les habitants ne peuvent plus sortir du quartier où ils vivent – et il est interdit de se promener, même seul, trop loin de son domicile. Le hashtag #restezchezvous, partout affiché et repris, semble s’appliquer à tous… sauf aux travailleurs ! Les usines, les centres d’appels et les bureaux étaient encore ouverts jusqu’au week-end dernier – et les transports en commun étaient toujours bondés aux heures de pointe. Cette situation a créé les conditions idéales pour la propagation du virus, rendant impossible le maintien de la distance d’un mètre entre individus. La discrimination de classe est flagrante : les personnes les plus exposées au virus sont bien les travailleurs et leurs familles.

Pression des travailleurs, pression du patronat

La pression qui a finalement abouti à un arrêt complet de la production est venue non seulement des travailleurs, qui ont lancé une série de grèves sauvages dès le 11 mars, mais aussi de gouverneurs régionaux et de maires du Nord de l’Italie. Les institutions médicales locales craignaient l’effondrement total du système de santé.

Alors que la revendication d’un arrêt total de l’industrie grandissait à la vitesse de l’éclair, le patronat, les dirigeants syndicaux et le gouvernement ont signé un accord le 14 mars pour maintenir l’activité économique « en toute sécurité », ce qui a provoqué un énorme mécontentement parmi les travailleurs. Le succès de notre appel Les travailleurs ne sont pas de la chair à canon !, qui a réuni 300 signatures de délégués et militants syndicaux en l’espace de 48 heures, en est une petite illustration.

Le soir du samedi 21 mars, après l’annonce de plus de 700 morts en 24 heures (un record), le gouvernement s’est retrouvé le dos au mur. Après une rencontre avec les représentants syndicaux et patronaux, le Premier ministre Giuseppe Conte a déclaré l’arrêt de toutes les activités de production, à l’exception des secteurs essentiels. Les travailleurs y ont vu une victoire partielle.

Mais dès le lendemain, dimanche 22 mars, le lobbying patronal a commencé.

Dans une lettre au Premier ministre, le dirigeant de l’organisation patronale Cofindustria, Vincenzo Boccia, a demandé l’assouplissement des mesures de fermeture d’entreprises, pour différentes raisons, et notamment sous prétexte que certaines entreprises pourraient « manquer de liquidités » ! Il a également prié le gouvernement « d’évaluer les mesures nécessaires pour éviter un impact négatif sur les stocks des entreprises », avant de déplorer la « perte d’espoir » en l’investissement que représenterait une fermeture totale des entreprises !

Face à la plus grave urgence sanitaire depuis l’après-guerre, la classe dirigeante a choisi de défendre les profits de quelques-uns plutôt que la santé de la grande majorité de la population.

La réponse du gouvernement au courrier de Boccia a été quasi immédiate ! Un décret a été signé le dimanche soir, levant l’ordre de fermeture pour un grand nombre de secteurs. De l’industrie de la défense à l’aérospatiale, du textile aux usines chimiques, des centres d’appels aux banques, le décret a élargi le maintien de l’activité productive à tous les secteurs jugés « stratégiques » pour l’intérêt national.

Le dernier mot concernant l’application de ce décret reviendra aux préfets locaux… après examen de l’auto-certification des entreprises !

Maurizio Landini, le secrétaire général de la CGIL [le premier syndicat italien], a déclaré : « Ce n’est pas le texte que nous avions approuvé ». Voilà ce qui arrive lorsqu’on croit seulement aux négociations – et non à la force de la classe que l’on représente !

Une fois de plus, la situation en Italie confirme la fameuse phrase du Manifeste du Parti Communiste : « Le gouvernement moderne n’est qu’un comité qui gère les affaires communes de la classe bourgeoise tout entière. »

Pour une grève générale !

Aujourd’hui, des grèves ont éclaté dans de nombreuses usines du Nord du pays. Interrogé par une radio nationale, Maurizio Landini a clairement affirmé que sa confédération « soutient chaque grève engagée par les syndicats locaux et par les comités de délégués du personnel » – et que « nous sommes prêts pour une grève générale ». Un appel à la grève générale a déjà été lancé pour mercredi prochain, en Lombardie.

Le patron des patrons, Boccia, a répondu qu’il ne voyait « aucun intérêt à mener une grève générale » et que les travailleurs ne devraient pas envoyer de tels « signaux négatifs » !

Les directions syndicales devraient appeler à une grève générale dès maintenant pour faire face à l’urgence, en arrêtant toutes les usines non essentielles et pour assurer le respect des mesures de sécurité sanitaire dans les secteurs essentiels toujours en activité.

L’expérience de ces dernières semaines montre clairement que nous ne pouvons pas faire confiance aux patrons et au gouvernement pour préserver notre santé. Des comités de contrôle ouvrier doivent être constitués dans tout le pays. Ils doivent décider ce quelles activités sont essentielles – ou pas.

L’épidémie de coronavirus est en train de changer les idées et les habitudes de millions de personnes, qui commencent à voir la contradiction fondamentale entre les intérêts des capitalistes et ceux des salariés. Ces intérêts sont inconciliables.

Quand le péril sanitaire sera écarté, la lutte des classes (qui n’en est encore qu’à ses débuts) connaîtra une énorme intensification. Les marxistes italiens se tiennent prêts, en ces temps orageux, et interviennent dès à présent dans le développement des luttes.

 Le 23 mars 2020

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