Fin septembre avait lieu la conférence annuelle du Labour, le parti travailliste britannique. Daniel Morley, du Socialist Appeal, analyse à quelles conditions les demandes du mouvement soutenant Jeremy Corbyn pourraient devenir réalité. Son analyse vaut pour tous les programmes réformistes de gauche.

 

 

corbynjeremyLe programme présenté par Corbyn dans son discours de clôture constitue la plus courageuse intrusion au sein de la politique britannique depuis des décennies. Selon les sondages, le Labour gagnerait les prochaines élections parlementaires et aurait ainsi la possibilité de mettre en œuvre son programme. Pour nous, socialistes, c’est une chance unique. Tous les socialistes devraient impérativement combattre pour un gouvernement travailliste sous la direction de Jeremy Corbyn.

Mais cela ne peut être qu’un début. Nous ne devons pas nous abandonner à l’illusion qu’il suffirait d’installer Corbyn au poste de Premier ministre. Une grande partie de son discours a, à raison, mis en évidence les bas taux d’investissements du capitalisme britannique, qui ont mené à la désindustrialisation ainsi qu’à la généralisation des emplois précaires et mal payés.  Pour les grandes entreprises et les banques, les promesses de Corbyn d’augmenter les investissements sont synonymes de plus d’impôts, de régulations plus strictes et de socialisation. Nous pouvons donc déjà nous attendre à ce qu’un vote pour Corbyn mène à tous les sabotages possibles de la part des bourgeois. Dans cette situation, nous devons nous demander : comment garantir que son programme soit bien mis en œuvre et comment lutter contre la pression de l’establishment ?

Logement

Après la privatisation des logements publics qui a eu lieu sous Thatcher, et puisque presque aucun nouveau logement social n’a été construit depuis, les logements sont aujourd’hui de mauvaise qualité et atteignent des prix exorbitants. Se loger représente ainsi un des plus gros problèmes de la classe ouvrière britannique. La stratégie de Corbyn pour lutter contre cette situation comporte des lois selon lesquelles toutes les habitations doivent être remises « dans un état habitable par l’être humain », une proposition rejetée il y a peu par les Tories.

Il va ensuite plus loin et annonce : « Nous allons contrôler les loyers… Cela a lieu dans de nombreuses villes à travers le monde et je veux que nos villes aient aussi cette possibilité et puissent offrir cette protection à nos habitants. » Les requins immobiliers affirment que cette mesure serait dommageable car les propriétaires investiraient moins dans la rénovation et dans les nouvelles constructions.

Quelle que révoltante puisse être cette affirmation, elle demeure juste. La seule motivation des capitalistes pour l’investissement est la création de profits, qu’une régulation du marché de l’immobilier réduirait nécessairement. Le danger existe que ces deux mesures, la rénovation des logements insalubres et le plafonnement des loyers, s’annulent mutuellement sous les conditions du libre marché. Car pour la rénovation, des investissements élevés sont nécessaires. S’ils sont insuffisants dans les conditions actuelles, que se passerait-il alors lorsque de nouvelles régulations seront décidées ?

Pour que ces demandes deviennent réalité, il faut retirer le logement dans son entier à la sphère d’influence du capitalisme. Pour cela, les grandes entreprises de construction doivent être nationalisées et les multinationales immobilières expropriées. Dans le même temps, il sera nécessaire de lancer un programme massif de construction de logements sociaux.

Investissements

Toutes ces propositions coûtent de l’argent, beaucoup d’argent, ce qui fera dire à la droite qu’elles ne peuvent pas être mises en œuvre, car les caisses de l’Etat sont vides : la dette nationale est plus élevée que jamais. Corbyn apporte deux réponses à ceci, que nous trouvons justes et que nous défendons. Mais, seules, leur portée n’est pas suffisante.

Dans un premier temps, Corbyn a indiqué :« la façon dont nous allons payer [ces propositions] est claire : en demandant aux plus riches et aux plus grandes entreprises de contribuer à une juste hauteur.» Mais il sera nécessaire de faire bien plus que de simplement leur adresser cette requête. Même si nous décidons d’un impôt sur les riches, ils feront tout ce qui est en leur pouvoir pour cacher leur argent ; ils y sont d’ailleurs déjà très habitués. Nous devons exproprier de leur obscène fortune tous ceux qui prennent la Grande-Bretagne pour un terrain de jeu pour spéculateurs.

Néanmoins, Corbyn est allé plus loin. Il a déclaré que l’on ne « doit pas seulement redistribuer au sein d’un système qui ne peut rien apporter à la majorité, mais qu’il faut transformer ce système. C’est pour cette raison que nous ne parlons pas seulement de la façon dont nous pouvons protéger les services publics, mais de celle dont nous allons investir dans l’économie pour la reconstruire, tirés par la propriété publique, la croissance soutenable, portés par des banques d’investissement nationales et régionales, qui génèrent de bons emplois et de la richesse. » Une banque publique d’investissement ne pourra cependant pas contrôler l’objet de ses investissements, car les entreprises sont privées et agissent selon le principe de maximisation des profits.

En Chine, on voit depuis peu ce qu’il se passe quand l’Etat fournit des crédits bon marché aux entreprises privées afin de maintenir l’emploi face à une situation de stagnation économique : les entreprises ont tout simplement utilisé cet argent supplémentaire pour spéculer. Pourquoi devraient-elles aussi construire de nouvelles usines, alors qu’elles ont déjà des difficultés pour écouler leur production car les travailleurs ont trop peu d’argent ?

C’est pourquoi nous devons, pour assurer le succès de la politique de Corbyn, également posséder les entreprises dans lesquelles une banque d’investissement pourrait investir pour produire « de la richesse et des emplois ». Ensuite, seulement, nous pourrons être sûrs que de bons emplois seront créés pour la production de biens véritablement nécessaires à la population.

Nationalisation

Pour atteindre une telle économie, la nationalisation des entreprises les plus importantes est indubitablement nécessaire. Cela fait également partie de l’agenda de Corbyn, notamment la nationalisation des chemins de fer et des entreprises de service à la collectivité. Mais ses plans de nationalisation sont trop mous pour leur propre mise en œuvre : il s’agirait de laisser expirer les autorisations accordées aux entreprises de service aux collectivités plutôt que de les nationaliser immédiatement. Cela leur donnera le temps d’enterrer les plans de Corbyn, en réduisant leurs investissements tout en détournant de la richesse. Le Labour pourrait même ne plus être au pouvoir au moment de l’expiration des licences. Il nous faut agir de manière plus courageuse et nationaliser immédiatement et sans compensation les entreprises d’utilité publique, et plus.

Immigration et salaires

Comme nous l’avons toujours soutenu, les demandes socialistes constituent la meilleure politique contre le racisme des Tories, du UKIP et d’autres. Nous accusons les capitalistes des désastres sociaux actuels, pas les migrants. Corbyn aussi a déclaré à ce sujet : « Nous ne suivrons jamais les Tories quand ils déclarent que les migrants sont responsables des désordres de notre société. Ce ne sont pas les migrants qui baissent les salaires mais les pires patrons, en concertation avec un gouvernement conservateur qui ne laisse jamais passer une occasion d’attaquer les syndicats pour affaiblir les droits des travailleurs. Le Labour frappera fort pour empêcher les patrons de baisser les salaires et de dégrader les conditions de travail, plutôt que de suivre la voie du racisme et de la politique du bouc émissaire. »

C’est juste, mais quelque peu vague. Le Labour doit au moins commencer par abolir toutes les lois contre les syndicats, soutenir l’organisation des travailleurs et combattre pour tous les travailleurs, notamment pour les précaires. L’unité de la classe ouvrière est la seule garantie pour de meilleurs salaires et de meilleures conditions de travail. Nous ne cherchons pas à attaquer « les pires des patrons » mais l’anarchie de la société de marché, qui jette les gens les uns contre les autres pour obtenir du travail.

Nous ne pouvons mettre un terme à cet état de fait qu’en enrayant cette anarchie par la propriété publique et la planification de la production. Le cas échéant, les bas salaires, le chômage et les crises économiques perdureront et, avec eux, le terreau du racisme.

La démocratie au travail

La plus radicale des annonces de Corbyn a été l’appel à l’établissement de structures démocratiques à tous les niveaux de la société, au travail et dans les quartiers. C’est décisif. Le programme de Corbyn rencontrera l’adversité permanente et le sabotage des grandes entreprises, des médias, et même des parlementaires et des permanents de son propre parti.

La seule force sur laquelle il puisse compter pour mettre en œuvre sa politique sont les millions de soutiens de la classe ouvrière. Ils doivent être organisés démocratiquement à travers tout le pays, dans chaque domaine, pour permettre au programme de Corbyn de devenir réalité.

Malheureusement cette partie du discours de Corbyn était également très vague. A terme, l’exigence de la démocratie sur le lieu de travail est en opposition criante avec la propriété privée des moyens de production. Au cas où un gouvernement Corbyn essaierait de mettre en œuvre ses plans pour plus d’investissements dans les logements sociaux, on peut partir du principe que les travailleurs organisés par les syndicats le soutiendront. Le contrôle démocratique sur les entreprises de construction aiderait ensuite également. Mais ces entreprises sont propriété privée. Elles doivent suivre les lois du libre marché : faire autant de profit que possible ou être éjectées du marché par le jeu de la concurrence. Même les entreprises organisées en coopérative doivent agir ainsi, si elles ne veulent pas risquer la faillite.

Pour que la démocratie sur les lieux de travail puisse l’emporter, il faut que les entreprises soient collectivisées et que la production suive un plan national, afin que les travailleurs puissent l’orienter selon les besoins de la société, plutôt que pour le profit de leur entreprise.

A travers son discours à la conférence du Labour, Corbyn a de nouveau modifié le paysage politique. Tous les socialistes ne doivent pas seulement combattre pour son programme, mais le compléter et l’approfondir, pour que nous puissions mettre un terme à l’anarchie, à la pauvreté et à l’injustice du système capitaliste. Mettons en œuvre les propositions de Corbyn : combattons pour le socialisme !

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