La déclaration de Bernard Kouchner, selon laquelle il faut que la France se prépare à une guerre contre l’Iran, a été décrite par son auteur, peu de temps après, comme « un message de paix » ! Il voulait dire, assurait-il, qu’il fallait éviter la guerre contre l’Iran, et que ce ne serait possible qu’au moyen de sanctions lourdes et « efficaces » – qui nuiraient gravement à l’économie iranienne et l’obligeraient à abandonner son programme nucléaire. Ce n’est pas la première fois, depuis son intégration au gouvernement de Sarkozy, que Bernard Kouchner parvient à se rendre ridicule. Il en fut de même lors de ses voyages au Soudan et en Irak. Mais pour lui rendre justice, il faut dire que sa déclaration guerrière contre l’Iran ne faisait que prolonger la ligne défendue par Sarkozy lui-même à plusieurs reprises. Devant les ambassadeurs de France, ce dernier avait évoqué l’éventualité du « bombardement de l’Iran ». La mesure de l’impact – ou, plutôt, de l’absence d’impact – de cette menace française sur le gouvernement iranien a été donnée par le président Ahmadinejad, qui, s’adressant aux étudiants de l’Université de Columbia, à New York, a dit que le ministre français était nouveau et que, sans doute, avec le temps, « il acquerra de l’expérience et parlera avec plus de maturité ». Dans un communiqué officiel, Téhéran a déclaré que la menace française « portait atteinte à la crédibilité de la France ».

Le déclin du capitalisme français

Mais par-delà l’impact de cet incident sur la crédibilité de Monsieur Kauchemar, il est révélateur de la position mondiale du capitalisme français – laquelle, malgré le ton plus « actif » et plus interventionniste de la diplomatie sous Sarkozy, ne cesse de s’affaiblir, dans les faits. La France est en net recul par rapport à ses rivaux, qu’il s’agisse des Etats-Unis, de ses principaux concurrents européens, ou encore des nouveaux intervenants majeurs sur le marché mondial, dont notamment la Chine. Ainsi, les perspectives de développement du capitalisme français sont de plus en plus étriquées. La réunification de l’Allemagne – principal rival de la France en Europe – conjuguée avec un sous-investissement chronique dans le secteur industriel et manufacturier, a réduit considérablement le poids spécifique de la France au sein de l’Union Européenne, sur les plans économique, diplomatique et militaire. Dans le reste du monde, les parts de marché du capitalisme français régressent d’année en année. Le déclin de la position mondiale du capitalisme français trouve son expression de façon très nette dans les statistiques économiques. La balance du commerce extérieur de la France se dégrade de façon spectaculaire.

Même en Chine, où, avec la restauration du capitalisme, le patronat français, comme celui de toutes les puissances occidentales, profite d’une main d’œuvre bon marché et des « avantages » d’un régime dictatorial, les parts de marché de la France progressent plus faiblement que celles des autres grandes puissances. Même dans les pays considérés autrefois comme autant de « chasses gardées » de l’impérialisme français, sa position a été rongée, et parfois complètement dépassée, par les Etats-Unis, la Chine, l’Allemagne et d’autres pays. En Côté d’Ivoire, par exemple, il est talonné par la Chine, qui, d’ici quelques années, aura certainement doublé la France sur le marché intérieur ivoirien. Dans les pays d’Afrique centrale et du Maghreb, un processus analogue est à l’œuvre. Au Moyen-Orient, l’influence de l’impérialisme français a été pratiquement éradiquée par les Etats-Unis.

Qui, au juste, ferait la guerre contre l’Iran ?

Dans ce contexte général, que peuvent bien signifier les déclarations offensives de Sarkozy et de Kouchner au sujet de l’Iran ? En réalité, elles ne sont que du pur bluff. Kouchner brasse de l’air. Et la réaction du gouvernement iranien montre qu’il l’a parfaitement compris. Tout d’abord : qui, au juste, ferait la guerre contre l’Iran ? La France ? Il suffit de poser la question pour se rendre compte de l’absurdité de cette idée. Si les Etats-Unis dépensent plus d’un milliard de dollars par semaine dans une guerre en Irak qu’ils sont en train de perdre, la France, dont le budget militaire représente moins de 7% du budget américain, n’aurait absolument aucune chance contre l’Iran, dont la puissance militaire est beaucoup plus importante que les moyens dont dispose la résistance irakienne. Et même si plusieurs pays européens engageaient une guerre contre l’Iran, le résultat serait identique. Ce que voulait dire Kouchner, c’est simplement que si les Etats-Unis attaquent l’Iran, la France approuvera son action. Mais la France elle-même ne pourrait rien faire, militairement, contre l’Iran – et ne fera rien. Sarkozy cherche tout simplement à faire une fleur à Bush.

Et qu’en est-il de l’imposition de nouvelles sanctions, qui, selon le Quai d’Orsay, permettraient seules d’« éviter la guerre » ? Là encore, nous sommes dans le domaine du bluff. Certes, on ne pourrait pas exclure que, sous la pression des Américains, les puissances européennes imposent quelques restrictions supplémentaires aux relations commerciales avec l’Iran. Mais dans ce cas, l’Europe perdrait plus qu’elle ne gagnerait. De tout façon, le renforcement des sanctions n’obligerait pas l’Iran à abandonner son programme d’enrichissement d’uranium. Après tout, qu’est-ce que l’Europe fournit à l’Iran qu’il ne pourrait pas trouver en Chine, en Inde ou en Russie ?

Les médias, aux Etats-Unis, s’emploient à préparer l’opinion publique à un conflit militaire avec l’Iran. On croit revivre la vague de propagande qui a précédé à l’invasion de l’Irak. Rappelons que le prétexte de l’invasion de l’Irak était de prévenir l’usage d’armes de destruction massive qui, en l’occurrence, n’existaient pas. A propos de l’Iran, Bush a même évoqué le risque d’un « holocauste nucléaire » dans le cas où son programme d’enrichissement d’uranium ne serait pas démantelé. Dick Cheney a déclaré que le président américain avait « le doigt sur la détente ». Des porte-avions américains sont en position et le Pentagone aurait établi une liste de 2000 cibles potentielles sur le territoire iranien !

En agitant la « menace iranienne », Bush vise avant tout à justifier le maintien des 130 000 soldats américains embourbés en Irak, malgré l’opposition d’une nette majorité de la population américaine. Selon la Maison Blanche, c’est l’ingérence de l’Iran qui expliquerait l’échec des opérations en Irak.

Cependant, l’administration américaine est dans l’impossibilité matérielle de se lancer dans l’invasion terrestre d’un pays aussi important que l’Iran. Elle dispose déjà d’un nombre insuffisant de soldats pour poursuivre ses opérations en Irak.

La possibilité de frappes aériennes américaines

Il est possible, par contre, que Bush lance une ou plusieurs frappes aériennes contre des installations iraniennes. Quand Sarkozy et Kouchner parlent d’une éventuelle « guerre », c’est à cela qu’ils pensent, en fait. Et dans cette « guerre », ils se proposent de jouer un rôle comparable aux cheerleaders américaines qui, en marge des terrains de baseball, encouragent leurs équipes en chantant et dansant. En s’alignant sur les positions américaines, Sarkozy espère que les Etats-Unis, en retour, aideront à endiguer le déclin de la France sur l’arène internationale.

L’impérialisme américain ne refusera pas cet alignement, pas plus qu’il n’a refusé la servilité diplomatique de Tony Blair, à l’époque. Mais la stratégie de Sarkozy ne rapportera rien au capitalisme français. Le déclin de la France se poursuivra, d’autant plus que la cause principale de l’affaiblissement de l’impérialisme français, au cours de ces dernières décennies, ne se trouvait ni à Téhéran, ni à Bagdad, ni à Kaboul ou Khartoum – mais précisément dans l’écrasante supériorité économique et militaire des Etats-Unis.

Greg Oxley,  Paris

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