Du fait de la crise du capitalisme, la prostitution est de plus en plus répandue. Les associations de défense des prostituées comptabilisaient par exemple 12 000 annonces sur les sites en ligne en 2016 ; il y en aurait près de 50 000 aujourd’hui. Ce fléau prospère tout particulièrement dans les couches les plus pauvres et les plus opprimées de la classe ouvrière.
La situation est particulièrement alarmante pour les mineures. En juin dernier, une étude réalisée par deux instituts publics (l’OCRTEH et le SIRASCO) indiquait que les affaires judiciaires touchant à des cas d’exploitation sexuelle sur des mineurs avaient été multipliées par dix entre 2015 et 2024, passant de 21 à 226.
Il est difficile d’établir exactement le nombre de victimes, parce que leurs conditions sont précaires et que l’Etat ne cherche pas réellement à le faire, mais on estime que plus de 15 000 mineurs seraient aujourd’hui victimes de la prostitution en France.
Des sites de rencontre aux foyers de l’ASE
Les réseaux de prostitution se sont développés sur de nouveaux terrains : les sites de rencontre et les réseaux sociaux. Des annonces proposent, contre un logement ou une rémunération stable, des activités « d’escorting », qui ne sont en réalité rien d’autre que de la prostitution. Ces annonces ciblent tout particulièrement les très jeunes filles : si la majorité des victimes mineures ont plus de 15 ans, certaines sont âgées de 12 ans seulement.
L’étude que nous avons citée plus haut soulignait que les victimes mineures ont « souvent déjà été victimes de violences dans l’enfance, non judiciarisées, en rupture familiale, déscolarisées, en fugue ou placées en foyer. » Ce sont les personnes les plus fragiles, tant sur le plan économique que social ou personnel, qui sont les premières cibles des proxénètes.
Les foyers de l’Aide sociale à l’enfance (ASE), dont la mission est pourtant de protéger les mineurs, sont particulièrement touchés : ils regroupent des proies faciles pour les recruteurs. Elles plongent alors dans une spirale infernale : les proxénètes gèrent les annonces, choisissent les tarifs et contrôlent l’emploi du temps des victimes. Dans un documentaire récent [1], l’une d’elles témoignait : « toi, tu te sens comme… Comme une déchetterie en fait. T’as même plus d’estime pour toi-même, pour ton corps. »
Comment des foyers « d’aide » peuvent-ils devenir le principal « spot » des recruteurs ? Comment des adolescents peuvent-ils être abandonnés de cette façon au sort abominable que leur réservent les proxénètes ? La réponse la plus évidente tient au manque de moyens : en 2024, le gouvernement prévoyait de ne créer que quelques centaines de places d’hébergement supplémentaires pour les enfants de l’ASE, alors qu’il en faudrait plusieurs milliers. Il faudrait aussi créer des milliers de postes d’éducateurs dans les foyers pour accueillir et s’occuper dignement de ces enfants, mais rien de tout cela n’est prévu.
Pour faire diversion, la droite tente de lier la question de la prostitution à celle de la lutte contre le narcobanditisme. Les groupes de narcotrafiquants jouent certes un rôle non négligeable dans le développement des réseaux. Mais la prostitution progresse bien au-delà de leur influence.
Son essor dans le milieu étudiant l’illustre bien. Des sites en ligne ont été créés pour permettre à des personnes riches de payer pour coucher avec des étudiantes (surnommées « sugar babies »…). Ces plates-formes se sont développées en France à partir des années 2010, alors que la précarité étudiante augmentait rapidement : on estime que plus de 40 000 jeunes femmes sont inscrites sur des plates-formes de ce type. Ni les riches « donateurs », ni les propriétaires de ces plates-formes ne sont inquiétés par la justice, alors que le proxénétisme est ici flagrant.
Comment lutter contre la prostitution ?
Comme nous l’avons déjà expliqué par ailleurs [2], l’Etat bourgeois ne peut pas enrayer l’essor de la prostitution, car celle-ci prospère sur la pauvreté qui est inséparable du capitalisme en crise. Incapable de lutter contre les causes sociales de la prostitution et du trafic d’êtres humains, les lois bourgeoises ne peuvent que pousser les prostituées encore davantage dans la précarité, alors qu’elles sont déjà opprimées et exploitées par les proxénètes.
Toutes les lois répressives adoptées par différents pays européens – en Scandinavie ou en France – n’ont fait qu’aggraver l’oppression et donner des prétextes supplémentaires à la police pour maltraiter les prostituées. A l’autre bout du spectre bourgeois, dans les pays où la prostitution a été légalisée, cela s’est accompagné d’une explosion du trafic d’êtres humains. La légalisation de la prostitution ne la rend pas moins violente, elle ne fait que faciliter la tâche des proxénètes.
Le seul moyen de mettre fin au fléau que représente la prostitution est de s’attaquer à ses causes sociales : à la misère, au chômage et à la précarité, c’est-à-dire au capitalisme.
[1] Benjamin Montel, Comme si j’étais morte, Arte, 2024.
[2] « L’oppression des femmes et la prostitution : un point de vue marxiste », mars 2023.