Lugo a été destitué par le Congrès pour « mauvaise gestion de ses fonctions » lors d’un procès politique sommaire et expéditif qui s'appuye sur une norme constitutionnelle. Comme dans le cas du Honduras, des règles démocratiques (ou constitutionnelles) ont été utilisées pour justifier le coup d’Etat au mépris de la volonté exprimée démocratiquement dans les urnes par le peuple; surtout lorsque celle-ci va à l’encontre des intérêts de la classe dominante.
De fait, l’acte d’accusation du Congrès pour juger le Président Lugo énumère cinq motifs, entres lesquels ressortent « l’instigation et la facilitation » à l’invasion de terres dans la zone de Nacunday et le massacre de Curuguaty. A quelques kilomètre de cette ville, un groupe de paysans sans-terre avaient occupé un terrain d’environ 2000 hectares qui avait été approprié grâce à des subterfuges légaux par un propriétaire terrien et ex-sénateur du parti Colorado. Le 15 juin, sur l’ordre du procureur du district, la police est intervenue pour les déloger de la propriété dont les paysans demandaient la distribution. Des tireurs infiltrés dans les rangs des paysans ont ouvert le feu. Les affrontements ont laissé un solde de 6 policiers tués ainsi que 11 paysans morts et près de 50 blessés.
La forme précipitée de la destitution du Président, à peine une semaine, laisse planer des doutes sur les motivations d’un tel acte. A cela s’ajoutent ; les circonstances de la mort du frère du chef de la sécurité du Président durant les évènements de Curuguaty ; la campagne des médias et des multinationales, précédent les faits, contre des fonctionnaires du gouvernement souhaitant limiter l’utilisation commerciale au Paraguay de semences transgéniques brevetées par Monsanto ou Cargill. Tout cela permet de comprendre que l’embuscade de Curuguaty a en fait été une embuscade contre le gouvernement et que son objectif était de mettre fin au mandat présidentiel ; en effet, les organisations sociales qui soutenaient le Président, auraient pu, dans la dernière année du mandat, exiger et consolider des mesures plus radicales que celles caractérisant la gestion de Lugo.
Seule la petite délégation de députés de gauche liés au Front Guasu (qui veut dire Ample en Guarani) a voté contre la destitution du Président. Le parti Liberal Radical Autentico (PLRA), qui faisait partie de la coalition qui a gagné les élections en 2008 avec Lugo, a voté pour la destitution. Dans les années 70 et 80, le PLRA a été le principal parti d’opposition à la dictature de Stroessner. Aujourd’hui, un de ses membres, le Vice-président Franco, assume la plus haute charge de l’Etat, trahissant ainsi le mandat populaire. Le PLRA reflète la parabole classique du nationalisme bourgeois, toujours prêt à capituler face aux intérêts des puissants, pour autant qu’on lui laisse une place dans le banquet.
Cependant, ce n'est pas la faiblesse de ses appuis parlementaires qui ont condamné Lugo, mais plutôt ses hésitations face aux expectatives des masses. Comme d'autres gouvernements de la région, celui de Lugo peut se targuer d'avoir entrepris quelques petites réformes et d'avoir des taux de croissance extraordinaires qui ont été au Paraguay les plus élevés de la région, avec un pic en 2010 de 14%. Mais aucun des problèmes structurels du pays n'a vraiment été attaqué à sa racine.
L'économie du Paraguay dépend des exportations de produits agricoles et de l'élevage. Des multinationales comme Monsanto et Cargill, ainsi que les propriétaires terriens qui ont accumulé terres et fortunes à l'ombre du pouvoir politique durant la domination du Parti Colorado et la dictature de Stroessner, contrôlent ses leviers fondamentaux de l'économie du Paraguay; qui plus est, exempts d'impôts. 85% des terres (30 millions d'hectares) sont détenues par 2% des propriétaires!
Le taux de chômage est de 6,4% et celui de sous-emploi atteint 25,1%. Plus d'un tiers de la population occupe un travail informel et un autre tiers travail dans des petites entreprises du secteur privé qui ne reconnaissent pas le droit aux conventions collectives et à la syndicalisation. Le 64% des travailleurs paraguayens gagnent en-dessous du salaire minimum et la moitié de la population rurale et un tiers de la population urbaine vivent en-dessous du seuil de pauvreté.
Le gouvernement de Lugo n'a nationalisé aucun secteur-clé de l'économie, ni réalisé de véritable réforme agraire, ni libéré le pays du contrôle suffocant des multinationales agro-industrielles. Des mesures comme celles-ci auraient été nécessaires pour affronter le problème structurel de l'inégalité et pour consolider l'appui des masses populaires qui conditionne la vie parlementaire.
Au contraire, le gouvernement s'est dédié à la recherche d'équilibres parlementaires, faisant des concessions toujours plus importantes au binôme Parti Colorado – PLRA. Qui plus est, face aux évènements de Curuguaty, la réponse a été d'incorporer dans les rangs du gouvernement un membre du parti Colorado. La faiblesse invite toujours à l'agression. Comme les députés eux-mêmes l'ont affirmé dans l'accusation, la seule présence d'un gouvernement soutenu par une ample majorité des paysans, des sans-terres et des travailleurs, représente un danger; danger que ces franges de la population continuent d'exiger des terres et que d'ici la fin du mandat, elles puissent obtenir les titres de propriété et d'autres droits syndicaux. C'est la raison du coup d'Etat.
Les travailleurs, paysans et activistes, ainsi que la jeunesse du Paraguay sont conscient que même les petites réformes mises en place par Lugo – comme le programme de distribution d'ordinateurs à des enfants en âge de scolarité, ou les bénéfices de la pension alimentaire pour ainés, ou la construction de logements – seront supprimés ou utilisés de manière populiste pour permettre le saccage du Paraguay. Pour autant que le coup d'Etat se consolide.
La seule manière de mettre en déroute ce coup d'Etat « démocratique », c'est de faire ce que n'a jamais fait Lugo jusqu'ici: s'appuyer sur la mobilisation active et le protagonisme des masses. C'est aussi l'unique moyen pour élargir les espaces ouverts par le gouvernement Lugo et empêcher qu'ils ne soient fermés par la droite parlementaire.
Le Front Guasu de la gauche modérée, l'Espace Unitaire-Congrès Populaire de la gauche socialiste et communiste, les centrales syndicales de classes, comme la CUT, ainsi que les organisations syndicales paysannes doivent appeler à la grève générale indéfinie et bloquer économiquement le pays pour éviter que le coup d'Etat ne s'installe définitivement. Il n'y a pas d'autre forme de stopper ce coup « démocratique ».Les pays de l’ALBA ont décidé d’aller vers le blocage économique, l’UNASUR en discute. Il est également nécessaire de créer des Comités de Résistance de base capables de mettre fin au coup d'Etat et de résoudre les contradictions du gouvernement Lugo.