Aux Etats-Unis, les dernières semaines ont vu émerger un mouvement massif de grèves dans les restaurants McDonald’s d’une dizaine d’Etats. Les grévistes dénoncent, entre autres, le harcèlement sexuel dont souffrent beaucoup de salariées du groupe, quotidiennement. Des milliers de travailleurs ont défilé avec des banderoles où le fameux « M » jaune figure comme première lettre du hashtag « MeToo ».
Les raisons de la colère
Cela fait un moment que des salariées se plaignent à leur direction du harcèlement sur leur lieu de travail. Mais lorsque cette dernière ne sanctionnait pas les plaignantes (parfois jusqu’au licenciement), elle se contentait de les ignorer. Il faut dire que ces agressions pouvaient être le fait de managers ou des gérants des différentes franchises du groupe. C’est pourquoi les travailleurs ont décidé de saisir l’EEOC (Equal Employment Opportunity Comission) – et de se mettre en grève, pour faire entendre leurs voix.
Une étude de 2013 montrait que sur 1200 employées de McDonald’s interrogées, 40 % avaient déjà été harcelées au travail. Ce phénomène a contribué à cristalliser la colère d’une grande partie des travailleurs de l’entreprise. Les manifestants – en majorité des femmes – se sont alors appuyés sur l’audience de #MeToo pour faire entendre leurs voix.
Cependant, la dénonciation du harcèlement sexuel n’est pas la seule motivation des grévistes, bien qu’elle soit souvent la seule mise en avant par les médias. Les travailleurs demandent aussi un salaire horaire de 15 dollars, alors qu’il est seulement de 7 ou 8 dollars, selon les Etats. Ces grèves sont donc liées au mouvement Fight for $15, qui lutte depuis 2012 pour l’augmentation des salaires chez le géant de la restauration rapide. La lutte contre l’oppression des femmes se double donc d’une lutte pour les droits de l’ensemble des travailleurs. A Los Angeles, sous la pression des salariés, McDonald’s a dû s’engager à payer ses employés 15 dollars de l’heure... en 2021.
Le secteur de la restauration
Historiquement, le secteur de la restauration a un statut particulier aux Etats-Unis. Les patrons ont pris l’habitude de s’appuyer sur les pourboires des clients pour justifier les faibles salaires des employés. Cela a même impacté la première législation américaine sur le salaire minimum, en 1938 : un salaire différent fut établi pour les travailleurs recevant des pourboires. En 1996, lors de sa révision, le salaire minimum de cette catégorie d’employé fut établi à 2,13 dollars de l’heure ! Plus de 20 ans plus tard, c’est toujours son montant dans 17 des 50 Etats du pays.
Le travail dans la restauration est souvent le seul choix pour certaines catégories de la population – et notamment pour les étudiants, qui sont souvent obligés de travailler pour payer leurs études, car l’inscription à l’université coûte entre 10 000 et 50 000 dollars à l’année. En outre, il s’agit d’emplois majoritairement féminins : 66 % des salariés dont le revenu dépend du pourboire sont des femmes, ce qui est une illustration – parmi d’autres – de la discrimination dont les travailleuses sont victimes, sous le capitalisme.
Deux problèmes, une solution
C’est ici que se lient les deux luttes mises en avant par les grévistes américains : les harcèlements sexuels et les bas salaires. La direction McDonald’s est consciente du danger que constituerait l’union dans la lutte de ses employés. La structure même du groupe vise à freiner l’unité des travailleurs et leur organisation dans des syndicats. En effet, sur 800 000 employés de McDonald’s aux Etats-Unis, seuls 90 000 le sont directement par le groupe. Les autres sont employés par des franchises. Légalement, la direction de McDonald’s n’est pas censée obliger ses franchises à négocier avec les manifestants ou un syndicat. Cela signifie que ces derniers doivent négocier avec chaque restaurant séparément pour améliorer les conditions de travail de tous les employés américains. Bien sûr, la maison mère pourrait forcer – en modifiant ses contrats – les franchises à négocier en bloc avec les syndicats, mais elle comprend bien les avantages qu’elle a à diviser les travailleurs, en isolant leurs luttes.
Dans ce contexte, on doit se féliciter de l’unité des grévistes à travers le pays. C’est la voie à suivre pour que le mouvement soit victorieux à l’échelle nationale. L’union avec les travailleurs d’autres enseignes de la restauration rapide, puis avec d’autres secteurs, serait un facteur décisif dans la lutte pour des salaires dignes dans ce secteur. Quoi qu’il en soit, cette mobilisation prouve déjà que la lutte des classes est de nouveau à l’ordre du jour dans la première puissance économique mondiale !