Dans le processus non linéaire de la lutte des classes, il y a bien des choses qu’on ne peut prédire avec certitude. Mais le soulèvement actuel d’une centaine de milliers d’ouvriers et d’ouvrières à Dhaka était lui largement prévisible.
Pourquoi ?
Dhaka est une mégalopole de plus de 21 millions d’habitant, ce qui en fait la 13ème ville la plus peuplée du monde. Elle est majoritairement composée d’ouvriers, extrêmement mal traités par le capitalisme, qui produisent, pour la plupart, les vêtements que nous portons tous ici.
Pour vous donner une idée, le salaire moyen du pays est de +- 150 euros (parmi les plus bas du monde). Les conditions de travail sont affligeantes. Les journées n’en finissent pas et dépassent parfois les 16 heures de travail par jour. Les jours de congé sur l’année se comptent sur les doigts d’une main, quand il y en a. Les ouvrières (elles sont majoritaires dans le textile) doivent se battre chaque mois avec la plupart des employeurs pour se faire verser le montant juste de leurs heures supplémentaires prestées. Et ce surtout dans les ateliers de moins grande taille qui respectent encore moins le peu de législation sociale en vigueur. Pourtant dans ces ateliers sont souvent produits des vêtements de marque que nous portons ici car ces ateliers vivent généralement des commandes sous-traitées par les grands ateliers (soi-disant irréprochables sur les conditions de travail comme le mettent en avant les Bershka, Primark, Levis et autres joyeux mythomanes capitalistes) pour que ceux-ci puissent honorer leur commande et livrer à temps leurs fournisseurs occidentaux.
En effet la demande est immense depuis que des marques comme Zara, Bershka, H&M, C&A, Mango, Levis, In Extenso (Auchan), Tex (Carrefour), etc. proposent des collections toujours plus souvent et à des prix défiants toute concurrence. Sans se soucier une seconde ni de l’impact écologique du gaspillage et de la production, ni du coût social de l’exploitation on ne peut plus brutale des travailleurs et travailleuses du textile.
À cela il faut rajouter le fait que les salaires n’ont pas été ajustés depuis des années alors que l'inflation a considérablement augmenté au cours de la dernière période (+- 10% depuis 2019).
Depuis des années, via leurs syndicats, les ouvriers en révolte actuellement réclament une augmentation du salaire minimum pour le faire passer de 70 euros à 190 euros et une augmentation de 10% du salaire par an au vu des profits faramineux des marques qui les emploient, comme tout le monde sait. Mais personne ne les écoutait visiblement. Ni les grandes marques qui les exploitent et les jettent comme des mouchoirs usagés quand ils tombent malades ou font un burnout, ni le gouvernement néolibéral qui tire un profit immense de la situation en défendant les grandes enseignes et les petits patrons.
Au contraire ils sont systématiquement réduits au silence, réprimés, niés, …
Un mouvement social très puissant
Le soulèvement qui secoue actuellement la région est impressionnant. Ce sont en effet plus de 200 usines qui se sont mises en grève et plus d’une centaine de milliers d’ouvriers et d’ouvrières qui ont pris la rue pour se faire entendre. Ils ont également attaqué, détruit et même incendié plusieurs dizaines de bâtiments contenant des ateliers. Ils ont bloqué des routes d’approvisionnement et de livraison. Et ils font face à une police qui leur tire dessus et n’hésite pas à les jeter en prison sans procès. De plus, le Bangladesh est régulièrement dénoncé par les ONG pour l’emploi de la torture par sa police contre les opposants et les syndicalistes…
De précédents mouvements sociaux d’ampleur avaient déjà secoué le pays en 2018-2019 avant la pandémie qui est venu mettre en pause, comme dans de nombreux pays, les mouvements de protestation. Aujourd’hui ceux-ci reprennent de plus belle car la situation n’a pas changé. En fait dans de nombreux pays, elle a même empiré.
Le mouvement de 2018-2019 se voulait pacifique. Des grèves, des sit-in, des protestations calmes dans la rue avaient eu lieu, mais ce mouvent s’est fait violemment réprimer par le pouvoir et s’est conclu par une semaine de forte répression, de nombreuses arrestations et par le licenciement de plus de 1500 travailleurs.
Rouvrant ainsi la voie à la continuation des méthodes des milices patronales qui attaquent, tabassent, enlèvent et assassinent les leaders du mouvement ouvrier du pays.
Les enjeux financiers sont si importants (le Bangladesh est l'un des plus grands exportateurs de vêtements au monde, l'industrie représentant 85 % des 55 milliards de dollars d'exportations annuelles du pays) et la corruption tellement omniprésente sous le capitalisme qu’il est très difficile (et surtout très dangereux) de lutter pour les droits des travailleurs au Bangladesh. Des syndicalistes sont régulièrement assassinés car ils font bien leur travail. Comme tout récemment, le 25 juin 2023, avec l’assassinat de Shahidul Islam qui était le président de la Fédération des travailleurs de l'industrie et de l'habillement du Bangladesh (BGIWF). Et qui a vraisemblablement été tué par des hommes à la solde des patrons locaux. Il intervenait dans un conflit dans une usine où les salaires n’avaient pas été versés depuis un moment. Il a été attaqué par un groupe d’homme en quittant l’usine et est décédé des suites des coups qu’il a reçu lors de cette agression.
Nous avons besoin de solutions socialistes !
Le pouvoir en place tente de faire passer les contestations actuelles et passées comme des fomentations de l’opposition. Mais, même s’il est probable que l’opposition essaye d’en tirer avantage, ces mouvements sont bien plus que cela.
En tant que marxistes, comme beaucoup, nous pouvons douter de bien des choses, mais il y a des choses pour lesquelles nous n’avons aucun doute : la propension des opprimés à s’insurger à termes contre leurs oppresseurs et exploiteurs capitalistes ! Et ce, partout dans le monde.
Car c’est bien de cela qu’il s’agit au Bangladesh, de la lutte des classes. Ce n’est d’ailleurs que le début. Lorsque les classes ouvrières de ces pays maintenus de force « en voie de développement » (alors que leur bourgeoisie nationale et les multinationales se gavent littéralement de pognon) auront mis à leur tête des organisations révolutionnaires marxistes et des syndicats puissants et combatifs, ils gagneront facilement leurs prochaines batailles contre le capitalisme. Pour enfin ainsi offrir des conditions de travail décentes et un accès à la vie digne à chacun et chacune.
Ce que le capitalisme fait actuellement aux travailleurs et à la planète n’est plus tenable… Chaque année ce sont des millions de tonnes de vêtements qui sont gaspillées et juste jetées n’importe où. Ces vêtements pourtant produits par le travail si contraignant de ces gens aujourd’hui dans la rue. C’est révoltant.
Actuellement au Chili, dans le désert de l’Atacama, le « cimetière de vêtements » comme il est appelé, contient une telle quantité de vêtements gaspillés/usés qu’il est maintenant visible depuis l’espace et menace l’écosystème du désert… (Encore une preuve de plus de la fameuse « efficience » du capitalisme…).
Et ce pendant que le « greenwashing » de ces grandes marques bat son plein à propos de nouveaux textiles « écoresponsables », « durables », « respectueux des travailleuses ». Alors qu’en réalité ce sont des villages entiers, par exemple en Inde, dont les eaux sont polluées par les produits utilisés dans la fabrication de ces nouveaux types de vêtement tant à la mode.
Il est plus que temps d’envoyer valser ce système mortifère dans les poubelles de l’histoire et de faire advenir une société nouvelle, égalitaire, respectueuse de l’environnement, qui donnera le contrôle de cette production aux travailleurs et travailleuses localement !
Sources :
https://mb.com.ph/2023/10/31/two-dead-as-bangladesh-garment-workers-protest-low-pay?fbclid=IwAR3m42L0YPfXKRO_S8h9WDJoiq0ZFPxlenkE8DrRH1vfA1RpHMiO4mVgvdg
https://www.fidh.org/fr/regions/asie/bangladesh/bangladesh-mettre-fin-a-la-torture-et-garantir-la-justice-pour-les
https://www.frontlinedefenders.org/en/case/human-rights-defender-and-union-leader-shahidul-islam-killed-attack-gazipur
https://fr.wikipedia.org/wiki/Effondrement_du_Rana_Plaza
https://www.courrierinternational.com/article/video-au-chili-un-cimetiere-de-vetements-en-plein-desert-datacama