Cet article a été publié le 1er novembre 2017 sur marxist.com.

Aucun événement dans l’histoire humaine n’a été l’objet d’autant de distorsions, de calomnies et de falsifications que la Révolution russe. Nous publions ici la liste – établie par notre camarade Alex Grant de la section canadienne de la TMI – des dix mensonges les plus absurdes portés contre les bolcheviks et Octobre 1917.

Ceux qui ont été témoins du traitement de Jeremy Corbyn par la presse britannique peuvent se faire une idée de la bile et de la malveillance que la classe dirigeante est capable de sécréter. Hugo Chavez et la révolution vénézuélienne en ont aussi fait les frais ces dernières années. Mais rien ne mérite tant la haine de la bourgeoisie que la Révolution bolchevique de 1917, car c’est la seule fois où les esclaves ont réussi à renverser complètement l’ordre ancien, et à commencer la construction d’une société nouvelle, sans maîtres ni seigneurs.

La raison de toutes ces calomnies contre les bolcheviks est assez facile à comprendre : cet événement – plus que tout autre – démontre qu’il existe une autre voie pour gérer la société, que les travailleurs et la jeunesse, les pauvres et les opprimés, ne sont pas condamnés à se soumettre aux diktats des « hommes en costume » qui tirent profit sur leurs souffrances. Un nombre incalculable d’heures et de milliards de dollars, d’euros et de livres sterling ont été dépensés pour convaincre les gens que rien de bon n’est sorti de la Révolution russe, et qu’il n’y a aucune leçon à en tirer pour nos luttes aujourd’hui. Une armée entière de soi-disant « experts » a été mobilisée pour cette tâche cruciale au maintien du statu quo.

Cent ans après 1917, alors que le monde se trouve dans une impasse similaire, la mélodie des mensonges entame un nouveau crescendo.

Les mensonges contre la révolution se sont accumulés à un niveau incroyable depuis la prise du pouvoir par les travailleurs russes, organisés en soviets. Trotsky notait déjà à quel point « la calomnie se déversait comme un Niagara ». La presse occidentale était remplie de rumeurs, d’histoires de meurtres et de chaos, dès le premier jour. On racontait par exemple que les « bolsheviki » de Petrograd avaient à leur disposition une « guillotine électrique qui coupe cinq cent têtes par heure », et que, dans la Russie des soviets, toutes les femmes de plus de 18 ans devaient s’inscrire au « bureau de l’amour libre », où les bourgeoises cultivées étaient attribuées par roulement à des époux ouvriers[1]. D’autres histoires effroyables circulaient, notamment que des femmes riches étaient forcées de faire le ménage, et que des hommes d’affaires de haut rang étaient contraints de se faire vendeurs de journaux pour survivre – quelle horreur !

Lénine aimait dire « qu’un imbécile peut poser à lui seul dix fois plus de questions que dix sages ensembles ne sauraient en résoudre  ». Il serait en effet impossible de répondre en un seul article à l’ensemble des mensonges sur la Révolution, mais nous sommes aidés par un phénomène décrit par Trotsky dans son Histoire de la Révolution russe, à savoir que les calomnies politiques sont dans l’ensemble « indigentes et monotones ». Dans cette optique, nous avons identifié les dix mensonges les plus monotones sur la Révolution bolchevique, et décidé de fournir à nos lecteurs la vérité, pour trancher dans la malveillance et les déformations. Notre tâche n’est pas agréable, mais elle est nécessaire : il s’agit de balayer un siècle de rumeurs plus ignobles les unes que les autres. Nous espérons que nos lecteurs trouveront cela utile.

1. Lénine était un agent allemand !

C’est là le premier et le plus vieux des mensonges contre les bolcheviks. Il s’est principalement propagé pendant les « Journées de Juillet », lorsque les bolcheviks ont été mis hors-la-loi, Lénine forcé de se cacher et Trotsky jeté en prison. La vague de réaction provoquée par cette rumeur a conduit à la destruction de l’imprimerie du parti, au passage à tabac et même à l’assassinat de simples vendeurs de journaux. Après quelques semaines de mystification, les travailleurs et paysans de Russie ont compris qu’ils avaient été floués, et se sont retournés contre les calomniateurs – qui se servaient de cette histoire comme d’un prétexte pour poursuivre la boucherie de la guerre mondiale et perpétuer la domination des riches propriétaires. A partir de la mi-août, le soutien pour les bolcheviks s’est mis à grandir à travers le pays.

Toutefois, le fait que les Russes aient percé à jour ce mensonge il y a maintenant plus de cent ans, n’empêche pas qu’il soit répété et ressuscité encore aujourd’hui. Le 19 juin 2017, presque un siècle après sa fabrication, le New York Times a publié un article qui reprenait mot pour mot la calomnie originale. On peut au moins reconnaître les convictions écologistes du Times, vu leur apparente passion pour le recyclage des déchets !

Le mensonge peut être résumé de la façon suivante : après la révolution de Février, Lénine serait retourné en Russie en passant par l’Allemagne dans un « wagon plombé ». Sur son chemin, il aurait reçu des fonds du Kaiser et aurait ensuite activement travaillé, sous la direction de l’armée allemande, au sabotage de l’effort de guerre des Alliés. Mais qu’en est-il en réalité ?

Effectivement, Lénine a été forcé de passer par l’Allemagne sur son chemin vers la Finlande et la Russie révolutionnaire. Il était bien conscient des risques politiques que signifiait un voyage à travers l’Allemagne et c’est pourquoi il a demandé que le train soit « plombé », c’est-à-dire placé sous scellés, pour que personne ne puisse y entrer ni en sortir durant le trajet. Mais avait-il le choix ? Les puissances alliées – les impérialismes français et britannique – avaient refusé de le laisser passer en sécurité à travers les territoires qu’ils occupaient. Quand Trotsky avait tenté de rejoindre la Russie en bateau depuis New-York, les services secrets britanniques l’avaient fait arrêter et emprisonner pendant un mois à Halifax, au Canada. Seules des manifestations de masse avaient permis de le faire libérer. Il est clair que les impérialistes auraient été ravis que Lénine reste isolé en Suisse, mais ce n’était pas vraiment une option.

Ces calomnies prennent soin d’oublier que Martov et de nombreux exilés ont, eux aussi, dû emprunter la même route pour rentrer en Russie. Aucun d’entre eux n’est pourtant accusé de complicité avec l’Allemagne, car cela n’aurait d’intérêt politique pour personne.

Quid de « l’or allemand » que Lénine aurait reçu de la part du Kaiser ? A l’heure actuelle, malgré des recherches intensives, personne n’a pu en trouver une seule trace, et toutes les insinuations ont été discréditées. Si la Pravda avait reçu de tels financements étrangers, elle n’en avait pas l’apparence. Le journal des bolcheviks était alors plus petit, et beaucoup moins bien distribué que les organes des libéraux et des réformistes (qui disposaient pour leur part de riches soutiens).

Le New York Times affirme que des travailleurs russes étaient payés dix roubles pour tenir des pancartes bolcheviques. En 1921, le dirigeant cadet[2] Milioukov évaluait pourtant ce soi-disant « salaire » à cinquante roubles. Le New York Times est décidément le meilleur endroit pour faire de bonnes affaires ! Quoi qu’il en soit, on n’a toujours aucune preuve de ces paiements clandestins qui auraient pourtant jeté des millions de gens dans les rues, face aux fusils de la police et aux fouets des cosaques. Personne n’a trouvé non plus la moindre trace du réseau de distribution capable d’arroser toutes les régions de l’empire tsariste qui ont élu des députés bolcheviks.

Le mythe du financement par des puissances étrangères est aussi vieux que les mouvements de masse. Ce genre de « fake news » a même circulé à l’encontre des manifestants venus protester contre l’investiture de Donald Trump en 2016. Ils auraient reçu du milliardaire juif libéral George Soros 3 500 $ chacun. Trump lui-même avait protesté dans un tweet contre les « manifestants professionnels ». Ces contes rappellent l’opéra de Wagner, l’Or du Rhin, dans lequel un anneau magique en or apporte la toute-puissance à celui qui le porte. Incapables de comprendre que les masses aient pu les rejeter ainsi, les classes dirigeantes renversées se tournent vers des contes à base de richesses surhumaines. La réalité est bien plus terre-à-terre : Lénine et les bolcheviks défendaient un programme qui avait l’appui des masses. Telle est la source de leur pouvoir « magique ».

Bien sûr, les impérialistes allemands ont cru trouver leur intérêt dans le passage d’un train plein d’agitateurs et de « pacifistes » à travers leur territoire. Ils s’imaginaient que ces dissidents seraient un facteur de division, et donc d’affaiblissement de l’effort de guerre russe. Mais jamais ils n’auraient cru que les bolcheviks finiraient par prendre le pouvoir. Ce genre de manœuvres n’est d’ailleurs pas spécifique à l’impérialisme allemand. Quoi qu’il en soit, ce pari de l’état-major allemand s’est clairement retourné contre lui, comme la suite des événements l’a montré.

Dans la nuit du 29 octobre 1918, une mutinerie a éclaté dans la flotte allemande. Inspirés par la révolution russe, des conseils de travailleurs ont pris le pouvoir dans la plupart des villes côtières à partir du 7 novembre. L’empereur Guillaume II a été forcé d’abdiquer le 9 novembre. Et le 11 novembre, les travailleurs allemands, suivant l’exemple de leurs frères et sœurs de Russie, ont vaincu l’impérialisme allemand et mis fin à la Première Guerre mondiale par leur mobilisation révolutionnaire. Dans ce sens, loin d’être un agent de l’Allemagne capitaliste, Lénine a été au contraire l’instigateur du renversement du Kaiser.

C’étaient le gouvernement provisoire russe et son état-major qui défendaient en réalité les intérêts de Berlin. Même le Tsar et la Tsarine complotaient pour une paix séparée avec l’Allemagne avant l’éclatement de la révolution de février. En août, les généraux russes ont délibérément laissé la ville de Riga tomber aux mains des Allemands afin de fournir un prétexte au coup d’Etat de Kornilov, mais aussi pour donner une leçon au soviet local à coup de baïonnettes prussiennes. De même, quand Kerenski a senti le pouvoir lui glisser entre les doigts, il a ordonné l’évacuation vers le front de la garnison qui protégeait Petrograd et se préparait à abandonner la ville pour laisser les Allemands massacrer les travailleurs révolutionnaires.

C’est cet acte qui a convaincu la masse des soldats que le gouvernement provisoire ne méritait pas leur soutien. La garnison de Petrograd a désobéi à l’ordre criminel d’abandonner la ville et s’est ralliée aux soviets.

On voit ici qu’en dernière analyse, les bourgeois font toujours passer leurs intérêts de classe avant ceux de la « nation ». La classe dirigeante russe aurait préféré abandonner sa capitale à une puissance étrangère plutôt que de la laisser entre les mains des travailleurs. Lénine aussi faisait primer les intérêts de classe sur ceux de la nation. Mais, à l’unité des patrons, des banquiers, des propriétaires terriens et des généraux, il opposait la lutte révolutionnaire de tous les travailleurs contre leurs bourgeoisies nationales. C’est cette position qui a permis de renverser les militaristes d’Allemagne et de Russie, et qui a mis fin à l’horreur sanglante et fratricide de la guerre impérialiste.

2. La révolution d’Octobre a été un coup d’Etat violent

Un autre mythe affirme que la révolution de Février aurait été pacifique, et aurait renversé le Tsar pour établir une démocratie libérale. Malheureusement, Lénine et Trotsky, ces mégalomanes malfaisants, auraient organisé un putsch illégal et violent pour anéantir la démocratie et instaurer une dictature totalitaire. Tout cela est pure invention.

Tout d’abord, il faut noter que les historiens libéraux ont une définition assez souple du terme « pacifique ». A l’exception des plus réactionnaires, la plupart d’entre eux s’accordent à dire que le régime tsariste avait de nombreux défauts. C’était une monarchie héréditaire autocratique, sans élections démocratiques, sans liberté d’expression, de réunion ou de libre association, les opposants politiques étaient déportés en Sibérie, et les Juifs et autres nationalités opprimées subissaient régulièrement des pogroms meurtriers soutenus par le régime. Il est par conséquent difficile pour ces historiens « démocrates » de condamner la révolution de février, malgré leur réticence envers l’idée même de révolution.

Forcés d’approuver le renversement du Tsar en février, les libéraux proclament que cette révolution fut « pacifique ». La réalité est que près de 1 500 travailleurs sont morts en février 1917. La plupart d’entre eux étaient des ouvriers désarmés, abattus par les gendarmes du régime, mais vous pouvez être surs qu’au fur et à mesure que la grève générale et la révolte s’étendaient, les travailleurs se sont armés et, avec les soldats mutinés, ont fait des victimes dans le camp adverse. Dans les derniers jours du régime, certains des plus cruels de ses tortionnaires ont sans aucun doute été lynchés. Nos historiens libéraux nous assurent que tout ceci fut fait pacifiquement.

Si 1 500 personnes sont mortes pendant la « pacifique » révolution de février, on ne peut que se demander combien ont péri lors de la « violente » révolution d’octobre ? La réalité est que presque personne n’est mort pendant la prise du Palais d’Hiver, lorsque les derniers vestiges du gouvernement provisoire ont été balayés.

Beaucoup de gens ont vu Octobre, le film de Sergei Eisenstein sur la révolution russe. La scène de la prise du Palais d’Hiver est impressionnante ; on y voit des gens courants, tirant des coups de fusil, jetant des bombes, s’effondrant, etc. Cette scène ne représente en rien ce que fut l’événement, qui fut en fait plus proche d’une opération de police. Malheureusement, des accidents techniques lors du tournage d’Octobre ont conduit à la mort de plusieurs membres de l’équipe. Il y a eu plus de morts lors du tournage du film représentant la prise du Palais d’Hiver que lors de la prise du Palais d’Hiver elle-même !

Cet événement a tiré la Russie hors de la Première Guerre mondiale, et précipité la fin du conflit, sauvant ainsi des milliers, sinon des millions de vies humaines. Ironiquement, les adversaires de la « violence » révolutionnaire sont souvent les premiers à justifier la violence de la guerre, considérée comme juste et nécessaire. Les travailleurs russes en ont eu assez de l’hypocrisie de leurs semblables, qui ne soutenaient la guerre que pour les profits qu’ils en tiraient. Ils étaient prêts à faire des sacrifices pour obtenir une paix juste et sans annexions. Telle est la justification d’Octobre, de Février, et de la révolution en général. Quand la majorité a décidé de faire changer les choses, et que la minorité y résiste par la violence, la majorité a pleinement le droit de se défendre.

On oppose également la glorieuse révolution de Février, soutenue par la majorité, à Octobre, qui ne serait que le « coup d’Etat » d’une minorité. Attardons-nous sur cette affirmation. On peut donner deux définitions différentes du terme de « coup d’Etat ». Selon la première, un coup d’Etat est la prise du pouvoir par une minorité, souvent l’armée, et la consolidation du nouveau régime sans le consentement de la masse de la population. Selon l’autre définition, c’est un transfert de pouvoir « illégal », violant la constitution de l’Etat en question.

Les bolcheviks étaient-ils minoritaires ? Aucune des sources primaires de septembre 1917 ne permet de l’affirmer. Au contraire, il est largement reconnu que la grande majorité de la population urbaine soutenait les bolcheviks en octobre. A la campagne, ceux qui n’appuyaient pas les bolcheviks accordaient généralement leur soutien à l’aile gauche des socialistes révolutionnaires (SR), qui défendait également la prise du pouvoir par les soviets. Le Congrès Pan-Russe des Soviets, le seul organe élu de façon véritablement démocratique dans le pays, était majoritairement en faveur du transfert du pouvoir aux Soviets et de la formation d’un gouvernement de coalition des bolcheviks et des SR de gauche, qui devait donner la terre aux paysans, mettre fin à la guerre, et accorder le droit d’autodétermination aux nationalités opprimées.

La preuve ultime du soutien majoritaire aux soviets, c’est leur victoire dans la guerre civile. Les armées tsaristes ont été battues alors que le jeune Etat ouvrier devait forger une armée à partir de rien. Les Blancs avaient le soutien de la plupart des anciens généraux et de vingt‑et‑une armées étrangères. Trotsky a été chargé de la tâche quasi impossible de bâtir l’Armée Rouge. Malgré tout son talent d’orateur, il n’aurait pas pu rassembler tant de gens déterminés à se battre, à approvisionner et à nourrir l’armée si cela avait été politiquement impopulaire.

Les paysans étaient prêts à donner leur blé pour nourrir l’Armée Rouge, qui empêchait les grands propriétaires de revenir récupérer leurs terres. Les ouvriers se sont portés volontaires pour se battre, mourir, et produire des munitions pour l’Armée Rouge, pour empêcher le retour des patrons et les impérialistes. La guerre est la continuation de la politique par d’autres moyens, et de ce point de vue, les Soviets ont été capables de mobiliser la majorité pour une victoire décisive.

Peut-être que les bolcheviks disposaient du soutien de la majorité de la population, mais cela ne compte pas, car ils ont agi illégalement et anticonstitutionnellement ? Même d’après un critère aussi étroitement juridique, l’argument ne tient pas. Comme expliqué plus haut, il n’y avait aucun moyen « constitutionnel » de renverser la monarchie et d’instaurer un système démocratique : la seule option était une révolution. Mais quelle était la nature du régime issu de Février ?

Ce sont principalement les ouvriers qui se sont battus et sont morts pour renverser les Romanov. Dans les grandes villes, ils avaient convaincu les soldats de les rejoindre ou de rester neutres. Ces travailleurs et soldats s’étaient organisés en soviets. « Soviet » n’est que le mot russe pour « conseil » ou « assemblée » et chaque entreprise ou lieu de travail élisait des représentants à ces organes, dans des proportions déterminées. Les unités militaires, principalement composées de paysans en uniforme, élisaient également des délégués. Tous ces représentants élus étaient aussi révocables à volonté par leurs électeurs. Les soviets étaient des organes démocratiquement élus, qui bénéficiaient de la confiance de la masse des travailleurs et des paysans qui s’étaient battus pour mettre fin à l’ancien régime en Février.

Les libéraux et les conservateurs de la Douma impériale regardaient le mouvement avec horreur et stupéfaction. Cet organe était incroyablement antidémocratique dans sa composition, et n’avait qu’un rôle consultatif sous le règne du Tsar. Les électeurs votaient au sein de « curies » différenciées selon leur rang social, de façon à donner une majorité aux propriétaires terriens, aux capitalistes et aux aristocrates. Le vote d’un propriétaire terrien valait autant que ceux de dizaines, voire de centaines de milliers de travailleurs et de paysans, dans un pays de 160 millions de personnes. Les dirigeants de la Douma ont fait tout leur possible pour sauver le Tsar du soulèvement du peuple, qui se trouvait alors dans les soviets.

Dans les derniers jours de la monarchie, ces individus qui ne représentaient personne d’autre qu’eux-mêmes, aristocrates, hommes d’affaires et universitaires, se sont proclamés « gouvernement provisoire », malgré leur absence de tout mandat démocratique et de légitimité constitutionnelle. Les masses révolutionnaires étaient sceptiques face à cette prise de pouvoir, mais elles avaient malheureusement élu au sein des soviets des dirigeants réformistes, qui ont accordé leur soutien aux libéraux bourgeois. Le seul mandat démocratique dont pouvait donc se prévaloir le gouvernement provisoire était celui que lui accordaient les dirigeants réformistes mencheviks et SR des soviets. Les masses ne le soutenaient pas, mais, dans les premiers temps de la révolution, elles faisaient confiance aux dirigeants des Soviets. Ainsi s’est établie une période de double pouvoir, où le gouvernement provisoire partageait ses pouvoirs avec l’exécutif soviétique. Telle était la configuration « légale » issue de la révolution de Février.

Entre le 7 et le 9 novembre 1917, le Congrès Pan-Russe des Soviets s’est réuni à Petrograd. 649 délégués ont été élus au congrès, pour représenter 318 soviets locaux dans toute la Russie. Les bolcheviks ont obtenu 390 délégués, et les SR de gauche 100, ce qui créait une majorité décisive pour retirer son mandat au gouvernement provisoire et transférer tout le pouvoir aux soviets, les seuls organes démocratiques du pays. Ainsi, même du point de vue juridique et constitutionnel le plus étroit, Octobre ne peut pas être considéré comme un coup d’Etat.

3. Sans Lénine, la Russie serait devenue une démocratie libérale

S’il n’y avait pas eu Lénine, la Russie serait devenue une sympathique et paisible démocratie libérale, à l’image de la France ou du Royaume-Uni. Voilà encore une idée qui n’a aucun rapport avec la réalité historique.

Le premier gouvernement provisoire plaça les cadets libéraux au pouvoir. Si les gens avaient réellement voulu du libéralisme, ce gouvernement serait resté stable. Mais les libéraux étaient incapables de donner au peuple ce qu’il réclamait, c’est-à-dire la fin de la guerre, la terre aux paysans, la libération des nationalités opprimées et du pain pour les villes. Tout cela était résumé par le slogan bolchevik de « la paix, la terre et le pain ».

Incapable de résoudre la crise de la société, ce premier gouvernement s’effondra et fut remplacé par une coalition de socialistes réformistes et de libéraux. Ces libéraux ont été discrédités à leur tour et ont dû laisser la place à un gouvernement presque entièrement composé de socialistes réformistes issus des soviets, avec Kerenski à sa tête. Les réformistes ont tout fait pour ne pas rompre avec l’ordre capitaliste, mais ils ont, par conséquent, dû renoncer à donner au peuple la paix, la terre et le pain.

Malgré l’appartenance de Kerenski au parti des socialistes révolutionnaires, qui se basait traditionnellement sur les paysans, les réformistes n’ont pas appliqué un seul mot du programme SR sur la réforme agraire. Ils n’ont même pas osé convoquer une assemblée constituante chargée d’écrire une constitution démocratique, de peur de ne pas parvenir à la contrôler. Petit à petit, le soutien des masses est passé aux bolcheviks, qui appelaient à rompre avec le capitalisme et à donner tout le pouvoir aux soviets.

La classe dirigeante, les grands propriétaires et les capitalistes, ne pouvaient maintenir leur pouvoir par des manœuvres parlementaires. Tous leurs partis avaient été rejetés par la population. Ils se sont donc tournés vers la méthode alternative d’un putsch fasciste mené par le général Kornilov en août 1917. Kornilov ne prévoyait pas seulement de massacrer les ouvriers des Soviets, il voulait aussi écraser le gouvernement provisoire. Kerenski, craignant à juste titre pour sa propre vie, s’est empressé de libérer les bolcheviks emprisonnés, qui ont ensuite vaincu le coup d’État en mobilisant les ouvriers de Petrograd et en appelant les soldats de Kornilov à la désobéissance.

Dès lors, le gouvernement provisoire « libéral et réformiste » paraissait suspendu dans les airs. La masse des ouvriers et des paysans se tournait désormais vers les soviets pour régler ses problèmes. Les patrons, les propriétaires terriens et les monarchistes se tournaient vers la réaction Kornilovienne pour infliger une leçon sanglante à ce peuple trop rebelle. La voie du compromis avait été tentée et abandonnée par les deux camps. Les deux seules options restantes étaient le socialisme ou le fascisme.

Mais les bolcheviks n’ont-ils pas perdu les élections à l’assemblée constituante ? Les soviets dirigés par les bolcheviks ont en effet fini par organiser les élections d’une constituante que les libéraux et les réformistes refusaient de convoquer depuis près d’un an. Les résultats donnèrent 41 % aux SR, 24 % aux bolcheviks, moins de 5 % aux cadets et 3 % aux mencheviks. Il est instructif de comparer le score des bolcheviks à celui des cadets, le parti qui soutenait les généraux de Kornilov et la réaction des Blancs. Les bolcheviks étaient très majoritaires dans les centres urbains, et représentaient les 2/3 des votes des soldats du front occidental.

Malheureusement, la scission entre les SR de gauche, qui soutenaient le pouvoir des soviets, et l’aile droite du parti n’avait pas encore été formalisée lors des élections. Les SR de droite étaient donc surreprésentés dans les listes du parti et cela a complètement faussé le vote des paysans. Les campagnes ont massivement voté pour les SR, alors que les autres secteurs de la société avaient largement dépassé le stade du parlementarisme indépendant comme il existait dans les pays impérialistes. Le système des soviets, avec ses élections directes, la révocabilité de ses élus, et son absence de division entre les tâches législatives et exécutives (c’est-à-dire que chaque délégué a une tâche à accomplir), est en effet bien plus démocratique que le régime parlementaire, dont les députés intouchables peuvent se détourner de leurs électeurs pendant des années tout en empochant des indemnités indécentes.

Quand l’assemblée constituante élue s’est réunie le 18 janvier 1918, c’était une anomalie hybride et souffreteuse. Les réformistes ont tenté d’organiser des manifestations pour la soutenir, mais n’ont rencontré qu’un très faible écho. Les délégués avaient apporté des bougies et des sandwichs au cas où l’électricité serait coupée. A 4 h du matin, le chef de la garde, un anarchiste, déclara : « La garde est fatiguée. Je propose que vous mettiez fin à votre réunion et que chacun rentre chez soi ». Et c’est ainsi qu’a disparu l’assemblée que personne n’était prêt à défendre. Elle n’était pas assez démocratique pour les travailleurs – qui lui préféraient les soviets – et trop démocratique pour les généraux capitalistes, qui se préparaient à déclencher une guerre civile pour réinstaurer un pouvoir autocratique.

4. Les bolcheviks ont commis des atrocités durant la guerre civile

La guerre est un enfer. Deux camps tentent de se vaincre par la violence. La guerre civile est la pire des guerres. Les vainqueurs gagnent tout, et les perdants sont réduits en poussière. Si un camp a le monopole de la violence, même si sa cause n’est soutenue que par une minorité de la population, il peut soumettre la majorité par la terreur. Pour renverser le despotisme, il faut répondre à la violence de la minorité par une violence défensive de la majorité.

Le fait est que quiconque étudie honnêtement la guerre civile russe est forcé d’admettre que l’immense majorité des exactions commises l’ont été par les Blancs et par les 21 armées étrangères venues leur prêter assistance.

Au début, la révolution était même trop généreuse et naïve. Les bolcheviks ont fait preuve à de nombreuses reprises de leur clémence, et laissé des contre-révolutionnaires notoires en liberté. Cette attitude est compréhensible. La révolution victorieuse est à la recherche d’unité et veut avancer pacifiquement dans la transformation de la société. Lénine comme Trotsky soulignaient que de nombreuses vies auraient pu être épargnées si la révolution avait agi de façon plus résolue dès les premiers jours. Cela est indiscutablement vrai.

Le pouvoir des soviets n’a commencé à agir de façon plus sévère que face aux atrocités commises par les forces contre-révolutionnaires. La lutte des classes avait brisé les limites formelles de la démocratie. Les Blancs avaient abandonné depuis longtemps toute prétention démocratique ou pacifique, et ne reculaient devant aucune méthode – la torture, la terreur, les massacres, les pogroms, une orgie de violence – pour vaincre les Rouges.

S’ils voulaient réellement se défendre, les Rouges n’avaient d’autre choix que d’abandonner leur pacifisme utopique et d’user de méthodes similaires. Trotsky l’explique :

« Il n’y aurait aucune difficulté à montrer à travers toute l’histoire de la guerre civile, jour après jour, que toutes les cruautés commises par le pouvoir soviétique ont été rendues nécessaires par les besoins de l’autodéfense révolutionnaire. Nous n’allons pas entrer ici dans les détails. Mais afin de faciliter l’appréciation des conditions de la lutte par un critère partiel, nous mentionnerons simplement ce fait : tandis que les gardes blancs, ainsi que leurs alliés anglo-français, fusillent, sans exception, tout communiste qui tombe entre leurs mains, l’Armée rouge fait grâce à tous les prisonniers sans exception, y compris les officiers supérieurs. »

Plus loin, il souligne :

« La question des formes et du degré de la répression n’est évidemment pas une question “de principe”. C’est une question d’adaptation des moyens au but. A une époque révolutionnaire, le parti qui a été chassé du pouvoir, qui ne veut pas admettre la stabilité du parti dirigeant, et qui le démontre par la lutte forcenée qu’il mène contre lui, ce parti ne se laissera pas intimider par la menace des emprisonnements, puisqu’il ne croit pas qu’ils dureront. C’est précisément par ce fait simple, mais décisif que s’explique la fréquence des exécutions dans la guerre civile. »

Dans une des premières atrocités commises par la contre-révolution, les Blancs avaient rempli trois wagons de marchandises avec les corps frigorifiés de gardes rouges, leurs corps placés « dans des positions obscènes », et les avaient envoyés à leurs ennemis affamés, sous l’étiquette « viande fraîche : destination Petrograd ».

Les blancs étaient réputés pour les mauvais traitements qu’ils faisaient subir aux bolcheviks, les soldats de l’Armée rouge faits prisonniers, et plus globalement à tous ceux qu’ils suspectaient d’être un communiste ou un partisan des soviets. Un supplice répandu était de mutiler les prisonniers, de leur arracher les yeux et la langue, avant de les enterrer vivants.

Les armées de Denikine étaient célèbres pour leurs pogroms, et la débauche de pillages et de viols qu’elles commettaient dans les régions qu’elles occupaient. On estime que des centaines de milliers de personnes ont ainsi trouvé la mort.

Le lecteur n’est pas obligé de nous croire sur parole. L’ambassadeur américain de l’époque, un personnage qu’on peut difficilement suspecter de sympathies soviétiques, écrivait :

« De part et d’autre de la Sibérie (tenue par les blancs) […], il y a une orgie d’arrestations sans motifs, d’exécutions sans procès, et de confiscations illégitimes. Tout le monde est sous l’emprise d’une peur panique. Les gens se suspectent les uns les autres, et vivent dans la terreur constante qu’un espion ou un ennemi crie “bolchevik”, et les condamnent à une mort instantanée. »

Un des Atamans cosaques alliés à Koltchak[3] et soutenus par les troupes japonaises a été décrit par un médecin de son état-major comme un homme « au cerveau malade et pervers, un mégalomane assoiffé de sang humain ».

Le général américain Graves décrivait ainsi le comportement des armées blanches :

« Les soldats de Semionov et Kalmikov, sous la protection des troupes japonaises, parcouraient les campagnes comme des animaux sauvages, massacrant et dépouillant les gens, et ces meurtres se seraient arrêtés si le Japon l’avait voulu. A qui s’étonnait de ces exactions, la réponse était que les victimes étaient des bolcheviks et cette explication était, apparemment, suffisante. Les conditions de vie étaient décrites comme étant horribles en Sibérie orientale, et la vie semblait n’y avoir aucune valeur. »

On raconte que la terreur de Kalmikov convainquit même des modérés de soutenir les bolcheviks.

Semionov avait même mis en place des formes primitives de camps d’extermination. Le 19 août 1919, le colonel Stephanov a ainsi massacré 52 wagons de prisonniers, et affirmait le lendemain avoir tué 1 600 personnes. Ces abattoirs humains ont continué d’opérer pendant la plus grande partie de la guerre civile. Graves écrivait :

« Je doute que l’histoire ait vu un seul pays au monde durant les 40 dernières années où on pouvait assassiner aussi sûrement et aussi impunément qu’en Sibérie sous le régime de l’amiral Koltchak. »

La capitale de Koltchak offrait le spectacle de dizaines de corps pendus aux poteaux télégraphiques, et des wagons chargés de victimes étaient jetés au peloton d’exécution tout le long des chemins de fer.

En conclusion de son expérience, le général Graves écrivait ainsi, à propos de la terreur blanche :

« Des meurtres horribles ont été commis, mais ils ne l’ont pas été par les bolcheviks, comme le croit le monde. C’est avec certitude que j’affirme que les anti-bolcheviks ont tué cent personnes en Sibérie orientale pour chaque victime des bolcheviks. »

Les soviets devaient se défendre contre ces atrocités. Au milieu d’une guerre civile, aucun gouvernement ne laisserait à des opposants en armes la liberté de s’organiser, de s’exprimer et publier des journaux sur les arrières de son armée.

Aucune classe dirigeante dans l’histoire n’a jamais abandonné son pouvoir et sa position sans se battre. Face à la résistance féroce et acharnée des contre-révolutionnaires, les révolutionnaires de toutes les époques ont été forcés d’adopter des mesures sévères de répression pour assurer leur autodéfense. Ce fut le cas lors de la révolution anglaise, de la révolution américaine, de la Révolution française, de la guerre civile américaine, de la guerre civile russe, et dans un nombre incalculable d’autres lieux et d’autres temps dans l’histoire.

Mark Twain, dans son livre Un Yankee du Connecticut à la cour du roi Arthur, a livré une excellente défense historique de la terreur révolutionnaire. Bien qu’il se réfère à la Terreur durant la Révolution française, cela vaut pour la révolution russe, et en fait pour toutes les révolutions :

« Il y a eu deux “terreurs”, si on accepte de s’en souvenir et de s’y intéresser ; l’une a semé la mort sous le coup de la passion, l’autre a tué de sang-froid ; l’une a duré quelques mois, l’autre mille ans ; l’une a tué dix-mille personnes, l’autre cent millions ; pourtant, on tremble pour les “horreurs” de la moindre des deux terreurs, d’une terreur pour ainsi dire momentanée ; mais que vaut l’horreur d’une prompte décapitation, face aux longues agonies des victimes de la faim, du froid, des insultes, de la cruauté et du désespoir ? Qu’est-ce qu’une mort-éclair face à l’horreur des bûchers ? On pourrait remplir un cimetière avec les cercueils des victimes de la Terreur qu’on nous a appris avec tant d’application à craindre et à pleurer, mais toute la France ne suffirait pas à contenir les cercueils des victimes de l’ancienne et véritable terreur – de l’abominable et amère terreur qu’on ne nous apprend pas à voir dans toute son ampleur et son horreur. »

5. Les Romanov ont été tués de sang-froid 

Vous êtes-vous déjà demandé pourquoi vous avez entendu parler de « l’assassinat » des Romanov, mais probablement jamais de l’exécution sommaire de 26 commissaires soviétiques par les Britanniques, à Bakou, à peu près au même moment ? Que savez-vous des plus de 4 600 manifestants désarmés fusillés en janvier 1905 alors qu’ils venaient porter une pétition au « petit père », Nicolas II ? Saviez-vous qu’il était membre de la très antisémite « Union du Peuple Russe », qu’il la finançait, la soutenait et en portait les insignes avec fierté ?

L’Union est responsable de l’organisation de pogroms meurtriers contre les Juifs, avec l’aide de la police secrète et des officiers du Tsar. Viols, tortures, écartèlements, et toutes les abominations imaginables étaient infligées à des hommes, des femmes, des enfants, et parfois même à des nouveau-nés. Lors d’un pogrom à Odessa, 800 Juifs ont été assassinés, 5000 blessés, et 100 000 laissés sans domicile. Le Tsar n’ignorait pas ces exactions, en fait, il a même écrit à sa mère en les présentant comme les actes de son « peuple fidèle » ! Dans une lettre détaillant la répression brutale de paysans baltes, Nicolas II écrivait « il faut répondre à la terreur par la terreur ». Des milliers et des milliers de révolutionnaires ont été exécutés sous son règne, ou ont péri au fond de prisons sordides ou dans l’exil sibérien. Son dernier crime a été d’ordonner à ses troupes de tirer dans la foule des manifestants, au début de la révolution de Février. Oui, « Nicolas le sanglant » méritait son surnom.

Les tentatives de la classe dirigeante de présenter Nicolas comme un homme simple et humble sont d’une effroyable hypocrisie. Pleure-t-elle Charles Ier d’Angleterre ou Louis XVI, dont la chute a permis de hisser la bourgeoisie au pouvoir ? Se lamente-t-elle sur les exécutions de Saddam Hussein, de Ben Laden, de Ceausescu, et de tous les autres ennemis des puissances occidentales ? Hillary Clinton a même été enregistrée en train de rire à la nouvelle de la mort de Kadhafi. Nous non plus, nous ne pleurons pas ces criminels, mais le Tsar Nicolas II ne valait pas mieux qu’aucun d’entre eux. Quant aux milliers d’enfants massacrés par les bombes de Bush et Blair en Irak, en Afghanistan, ou par les drones d’Obama au Pakistan, ils n’ont pas droit à une seule des larmes de la bourgeoisie. Ces victimes anonymes sont oubliées par les riches et les puissants.

Certains admettent que Nicolas II était un tyran, mais dénoncent l’exécution de sa famille. Bien sûr, cet événement est regrettable, mais le Tsar n’a jamais eu d’états d’âme s’agissant des familles juives massacrées sous son règne. Ou, pour donner un exemple plus contemporain, en quoi cela est-il différent d’une frappe de missile qui tue deux insurgés et trente membres de leurs familles ? Trotsky aurait préféré que se tienne un procès public, qui aurait révélé les crimes de la dynastie des Romanov à la face du monde entier, mais les conditions de la guerre civile ont rendu cela impossible. En 1918, les blancs s’approchaient dangereusement de la maison relativement confortable où les Romanov étaient retenus à Ekaterinbourg. Si les armées blanches avaient pu mettre la main sur un seul membre de la famille impériale, il serait devenu un point de ralliement pour les forces contre-révolutionnaires, qui n’hésitaient pas, pour leur part, à massacrer les familles des révolutionnaires faits prisonniers.

Cette région relativement dépourvue de tout intérêt militaire était soudain devenue l’objet d’une puissante offensive des armées blanches, menaçant les vies de milliers d’habitants mal défendus. L’Armée Rouge n’avait pas les moyens de renforcer la zone. Face au déferlement des blancs, les bolcheviks d’Ekaterinbourg ont considéré l’exécution de la famille du souverain comme la seule option pour éviter un bain de sang. Ce faisant, ils ont aussi éliminé un potentiel symbole qui aurait pu regrouper toutes les forces de la contre-révolution.

On nous dit que la mort d’environ 200 000 hommes, femmes et enfants dans les bombardements nucléaires d’Hiroshima et Nagasaki était nécessaire, parce qu’elle aurait « sauvé des vies et raccourci la guerre ». Le fait est que l’exécution des Romanov a démoralisé les blancs, et donc de sauver des vies en raccourcissant la guerre civile russe.

Ce qui horrifie les capitalistes, c’est qu’au lieu d’avoir là un acte de violence du riche contre le pauvre, de l’oppresseur contre l’opprimé, il s’agit d’un exemple dans lequel les esclaves se sont défendus et ont gagné. Lorsque les Romains ont écrasé la révolte de Spartacus, ils ont bordé d’esclaves crucifiés toute la longueur de la voie Appienne, pour servir d’avertissement aux autres.

Les victimes du capitalisme restent anonymes et se comptent par millions. Pour citer Nicolas II, parfois « il faut répondre à la terreur par la terreur ». Les ouvriers bolcheviks n’ont pas tendu l’autre joue, car ils savaient que jamais les doux n’ont possédé la terre. La violence de la majorité pauvre pour créer un monde nouveau est essentiellement défensive et dure bien moins longtemps que celle de la riche minorité qui veut rester éternellement sur son trône. Nous ne recherchons pas la violence, mais nous soutenons le droit de la majorité à se défendre de façon proportionnée contre la violence de la minorité.

6. Trotsky a massacré les marins de Kronstadt

La rébellion de Kronstadt, en mars 1921, est une des critiques principales des anarchistes envers la révolution bolchevique. Malheureusement, ceux qui crient « KRONSTADT » à tort et à travers ont rarement pris le temps d’étudier les véritables événements de la révolte. La réalité est que Kronstadt fut une malheureuse tragédie, mais certainement pas un exemple du comportement autoritaire des bolcheviks ennemis de la démocratie.

Le nom de Kronstadt mérite à juste titre une place d’honneur dans les annales de la révolution d’Octobre. Les marins de la forteresse gardant le port de Petrograd étaient parmi les combattants les plus radicaux et les plus dévoués de 1917. Néanmoins, les marins de 1921 n’étaient pas ceux de 1917. Les héros du début de la révolution avaient été les premiers volontaires lors de la guerre civile, et beaucoup étaient morts ou avaient été mutés au cours du conflit. En 1921, les marins de Kronstadt étaient majoritairement des fils de paysans.

Pour gagner la guerre civile, les soviets avaient adopté la politique du « communisme de guerre ». Elle consistait notamment en une réquisition de céréales sur les paysans pour nourrir les troupes au front et les ouvriers des usines d’armement dans les villes. Dans les premiers temps, les paysans ont consenti à ce sacrifice, sachant que le gouvernement soviétique les protégeait du retour des grands propriétaires terriens. Mais, à mesure que la guerre avançait, les dynamiques économiques ont fini par prendre le pas sur les sympathies politiques. Les paysans ont commencé à réclamer le rétablissement de la liberté du commerce pour les céréales, et cela était la principale revendication des fils de paysans de Kronstadt. Quelques anarchistes étaient présents et des résolutions d’inspiration anarchistes ont été adoptées, mais la question centrale demeurait la liberté du commerce.

L’Etat ouvrier a commencé à négocier avec les rebelles à la fin de l’hiver. Malheureusement, la fonte de la glace autour de l’île forçait à agir rapidement. En effet, si cela était arrivé, cela signifiait l’abandon du contrôle de la navigation du port de Petrograd à la forteresse révoltée. Kronstadt aurait pu littéralement affamer la capitale prolétarienne en pleine guerre civile. Ne rien faire face à une telle perspective aurait été criminel et le gouvernement soviétique a été forcé d’organiser un assaut pour reprendre le contrôle de l’île.

La triste réalité est que la révolte de Kronstadt, et la répression qui s’ensuivit, sont des tragédies de la guerre civile. Des négociations plus longues auraient pu l’éviter, mais les bolcheviks n’avaient pas le choix. La malveillance de nos adversaires fait porter la « faute » de cette tragédie à Léon Trotsky. Tous les prétextes sont bons, aux yeux de la bourgeoisie libérale, pour salir le drapeau sans taches de Trotsky et de l’Opposition de gauche au stalinisme. Trotsky a ensuite souligné qu’il n’avait personnellement rien eu à voir avec la reprise de l’île, mais qu’en tant que dirigeant de l’Armée rouge, il était évidemment politiquement en accord avec la nécessité des mesures prises par ses camarades sur le terrain.

Quelles qu’aient pu être les intentions des marins révoltés pris isolément, leur attitude aurait conduit directement à la prise de l’île, et de la ville, par les armées blanches stationnées en Finlande. Il faut noter que, dans les mois suivants Kronstadt, les bolcheviks ont réalisé que le communisme de guerre avait atteint ses limites, et ont adopté la Nouvelle Politique Economique (NEP). L’élément central de celle-ci était la liberté du commerce des céréales. Les Bolcheviks s’étaient auparavant opposés à cette mesure, car ils comprenaient que cela favoriserait les paysans riches (les « koulaks »). Cela ne fait que rendre tout cet épisode plus tragique encore. Néanmoins, tout cela n’a pas empêché les anarchistes de s’opposer à la NEP, alors que la liberté du commerce était au centre des revendications de Kronstadt ! Les anarchistes n’ont jamais été réputés pour leur cohérence.

7. Le bolchevisme mène inévitablement à la dictature stalinienne

Pas une goutte d’encre n’a été épargnée dans les efforts pour prouver que le bolchevisme conduit inévitablement au stalinisme et à la dictature. Il n’y a pas de plus grande calomnie contre les combattants de 1917 que cela : les identifier à ceux qui les ont trahis, les ont emprisonnés et exécutés. Une rivière de sang sépare le bolchevisme du stalinisme. En 1942, la presque totalité des membres du comité central bolchevik de 1917 étaient morts, pour la plupart de la main de Staline. Si le stalinisme était la continuation logique du parti de Lénine, pourquoi cela aurait-il été nécessaire ? Personne n’a été en mesure de répondre à cette question élémentaire.

Les origines du stalinisme n’ont rien à voir avec un soi-disant péché originel du léninisme. Le parti bolchevik de 1917 reposait non seulement sur la démocratie politique, mais aussi économique. Le contrôle démocratique des travailleurs sur la production était uni à la démocratie directe des soviets. Cela est bien plus démocratique que ce qui existe sous le capitalisme, dans lequel la démocratie est déformée par la corruption et le charcutage électoral, et où règne la dictature absolue des patrons dans l’entreprise.

Malheureusement, la Russie tsariste souffrait d’un niveau d’éducation incroyablement bas. 90 % des Russes étaient des paysans, et le taux d’alphabétisation était inférieur à 30 %. Dans cette situation, le jeune Etat ouvrier avait dû s’appuyer sur les vieux bureaucrates de l’époque tsariste pour que la société continue de fonctionner. C’était acceptable dans les premiers temps, de 1917 à 1921, quand les travailleurs exerçaient un contrôle sévère sur les bureaucrates privilégiés. Mais après quatre ans de guerre mondiale et trois ans de guerre civile, les ouvriers étaient épuisés. Les éléments les plus dévoués de la classe ouvrière avaient été les premiers à se porter volontaires pour le front, et beaucoup de ces anonymes héros prolétariens avaient péri au combat.

Bien qu’elle soit sortie formellement victorieuse de la guerre civile, l’économie soviétique avait été brisée par le blocus et les armées étrangères. La plupart des travailleurs voulaient juste rentrer chez eux et revoir leurs familles. Dans ce contexte, les bureaucrates tsaristes ont commencé à s’émanciper du contrôle des ouvriers. Ils ont commencé à écarter les ouvriers du pouvoir et peu à peu supprimé les éléments de contrôle démocratique et de responsabilité.

Staline était l’homme qui représentait cette clique bureaucratique. Figure secondaire en 1917, il avait gravi les échelons au sein de l’appareil de l’Etat où la corruption devenait de plus en plus arrogante à mesure que les ouvriers sombraient dans la passivité. Les travailleurs exprimant leurs demandes aux fonctionnaires se voyaient ainsi répondre : « En quelle année vous croyez-vous ? 1918 ? ». Le dernier combat de Lénine fut de s’allier avec Trotsky contre cette dégénérescence bureaucratique et contre Staline en particulier. Lénine disait à propos de la machine étatique :

« La voiture n’obéit pas : un homme est bien assis au volant, qui semble la diriger, mais la voiture ne roule pas dans la direction voulue ; elle va où la pousse une autre force – force illégale, force illicite, force venant d’on ne sait où –, où la poussent les spéculateurs, ou peut-être les capitalistes privés, ou peut-être les uns et les autres [...] »

Dans un autre discours, il répétait :

« Nous appelons nôtre un appareil qui, de fait, nous est encore foncièrement étranger et représente un salmigondis de survivances bourgeoises et tsaristes, qu’il nous était absolument impossible de transformer en cinq ans faute d’avoir l’aide des autres pays et alors que prédominaient les préoccupations militaires et la lutte contre la famine. […] Il n’est pas douteux que les ouvriers soviétiques et soviétisés, qui sont en proportion infime, se noient dans cet océan de la racaille grand-russe chauvine, comme une mouche dans du lait. »

Dans son testament politique, qui fut dissimulé après sa mort, Lénine avait engagé une véritable bataille contre Staline. Le 24 décembre 1922, il écrivait ainsi :

« Le camarade Staline en devenant secrétaire général a concentré un pouvoir immense entre ses mains et je ne suis pas sûr qu’il sache toujours en user avec suffisamment de prudence. »

Onze jours plus tard, il ajoutait les mots suivants :

« Staline est trop brutal, et ce défaut, pleinement supportable dans les relations entre nous, communistes, devient intolérable dans la fonction de secrétaire général. C’est pourquoi je propose aux camarades de réfléchir au moyen de déplacer Staline de ce poste et de nommer à sa place un homme qui, sous tous les rapports, se distingue de Staline par une supériorité - c’est-à-dire qu’il est plus patient, plus loyal, plus poli et plus attentionné envers les camarades, moins capricieux, etc. »

Ces extraits à eux seuls suffisent à montrer que Lénine s’opposait à la bureaucratie en général et à Staline en particulier.

Les anarchistes imputent le stalinisme au soi-disant centralisme démocratique. C’est là un argument étrangement constitutionnaliste, selon lequel il suffirait d’organiser les réunions d’une façon correcte pour que les gens deviennent bons les uns envers les autres.

Le centralisme démocratique est la seule véritable démocratie active. Ses principes de base sont une totale liberté dans la discussion et une totale unité dans l’action. C’est la démocratie qu’on retrouve lors d’une grève : tous les travailleurs sont libres de discuter de l’intérêt et de la nécessité de faire grève en assemblée générale, puis un vote est mené. Si, par exemple, 70 % d’entre eux votent pour la grève, alors 100 % des salariés de l’entreprise doivent se retrouver sur les piquets de grève, sans quoi aucune grève ne réussirait jamais. Les droits de la minorité sont protégés, mais la décision de la majorité fixe la ligne à suivre.

Dans l’opposition au centralisme démocratique, on retrouve le concept du « pur » anarchisme, où personne n’est lié par les décisions démocratiques et où les groupes se divisent au premier obstacle. On a vu une telle paralysie dans le mouvement Occupy. A l’inverse, on trouve le centralisme bureaucratique du Stalinisme, où il n’y a pas de liberté de discussion et où les droits des minorités sont bafoués. Là encore, le stalinisme s’oppose diamétralement au bolchevisme.

Ironiquement, de nombreuses organisations anarchistes sans « dirigeants » fonctionnent en réalité d’une façon semblable au centralisme bureaucratique. En l’absence de dirigeants élus et responsables, les décisions sont prises par des dirigeants informels, qui ne sont ni élus, ni responsables : bien souvent celui qui parle le plus fort et qui coupe la parole aux autres. Les décisions sont toujours prises, mais personne n’a le droit démocratique de les contester.

« Mais, les bolcheviks ont interdit les partis d’opposition ! » s’offusqueront d’une même voix nos amis libéraux et anarchistes. Cela n’avait jamais été dans les intentions de l’Etat ouvrier. Malheureusement, tous les partis d’opposition au sein des soviets ont fini par passer du côté des armées blanches ou par organiser des attentats contre les travailleurs. Aucune société démocratique n’autoriserait des organisations qui recourent au terrorisme à s’asseoir au parlement pour y voter les lois. On peut imaginer ce qu’il se passerait si Al-Qaeda essayait de présenter un candidat au parlement britannique ou au poste de gouverneur de New York.

Les marxistes défendent la démocratie multipartite, mais quiconque prend les armes ou pose des bombes contre la volonté démocratique du peuple perdra vite ses droits démocratiques – comme dans toute société démocratique. L’Opposition de gauche menée par Trotsky, les véritables héritiers du bolchevisme, étaient les défenseurs les plus acharnés des droits démocratiques. Ils furent par conséquent les premiers à être déportés en Sibérie, tandis que Trotsky fut assassiné par un assassin stalinien. Ces opposants au stalinisme sont commodément oubliés par les ennemis de la révolution russe. Il faut souligner qu’à l’époque de la lutte entre l’opposition de gauche et la bureaucratie stalinienne, entre la démocratie ouvrière internationale et le « socialisme dans un seul pays », les sympathies des impérialistes penchaient d’une façon écrasante du côté du « pragmatique » Staline.

La fable selon laquelle le bolchevisme mènerait inévitablement au stalinisme est une conception purement abstraite. Elle n’explique pas pourquoi la Révolution russe et l’Internationale Communiste ont dégénéré. Elle ignore l’arriération de la Russie tsariste, la guerre civile, le blocus et l’invasion de 21 armées étrangères, l’échec de la révolution à s’étendre dans les pays capitalistes avancés, et l’isolement qui s’en est suivi pour la Russie soviétique. Il n’y avait rien d’inéluctable dans les conditions dans lesquelles se sont retrouvés les travailleurs et les opprimés de Russie. Les libéraux, les réformistes et les anarchistes, qui perpétuent ce mensonge, semblent croire que la « bureaucratie » serait une sorte de tare génétique de l’espèce humaine plutôt que le produit de relations sociales. La bureaucratie est le résultat inévitable de la pénurie. La guerre civile et le faible niveau technique hérité du tsarisme ont garanti que le jeune Etat ouvrier aurait plus que son lot de pénuries.

Il y a deux façons de gérer la pénurie. Les capitalistes le font en augmentant les prix, pour réserver les denrées rares aux riches, mais cette méthode est incompatible avec le socialisme. Quand il y a une pénurie dans une société socialiste, la seule option, c’est la file d’attente et le rationnement. La seule façon pour qu’une queue reste ordonnée, et que les plus forts ne prennent pas les autres pour prendre leur place, c’est de faire surveiller la distribution par un gendarme. Mais le gendarme lui-même doit recevoir son dû, sans quoi il ne maintiendra jamais l’ordre. C’est là la base économique de la bureaucratie.

C’est pourquoi un niveau technique avancé est nécessaire à l’établissement du véritable socialisme. Si la révolution allemande de 1918-1923 avait triomphé, non seulement la bureaucratie de Staline n’aurait jamais usurpé le pouvoir des travailleurs russes, mais un processus irrésistible de révolution mondiale se serait mis en marche. La technique de pointe allemande alliée aux matières premières et à l’agriculture de l’ancien empire tsariste aurait montré ce qu’une économie socialiste démocratiquement planifiée peut réellement accomplir.

Une révolution dans un pays capitaliste avancé, comme le Canada, la Grande-Bretagne, la France ou les Etats-Unis, ne ferait pas face aux mêmes difficultés que l’URSS. Ces pays n’ont pas le bas niveau de culture de la Russie de 1917, ils disposent au contraire de millions de travailleurs diplômés qui sont privés d’emplois. Ces pays ne connaissent ni les pénuries de masse ni l’arriération technique, mais abritent au contraire quantité d’usines à l’arrêt et d’entreprises assises sur des milliards de dollars d’argent non-investi et improductif.

Aujourd’hui, l’immense majorité des pays du monde a une population majoritairement urbaine et salariée. Avant 1945, la plupart des pays étaient largement agricoles. Les niveaux d’éducation et d’alphabétisation sont beaucoup plus hauts aujourd’hui. Quant aux fonctionnaires, hormis dans les plus hauts échelons, ils ne se sont plus privilégiés comme ils l’étaient en 1917. Ce sont des travailleurs en col blanc comme les autres, souvent syndiqués, et prompts à se mettre en grève. Ces travailleurs seront plus qu’enthousiastes à l’idée de mettre leur expérience au service du bien commun, plutôt que de piller la société comme le faisaient les bureaucrates tsaristes/staliniens.

Lénine avait énoncé quatre conditions à l’établissement d’une démocratie ouvrière : l’élection et la révocabilité de tous les dirigeants, leur paiement au salaire moyen d’un travailleur qualifié, la rotation de toutes les tâches bureaucratiques, et la suppression de toute armée permanente qui puisse être utilisée contre la population. L’arriération du pays a empêché l’application de ces conditions en URSS, mais une révolution moderne n’aurait aucun problème à les mettre en pratique. Comme le disait Lénine, quand tout le monde est un bureaucrate, personne n’est un bureaucrate. Le stalinisme n’est pas inévitable.

8. Le communisme a tué 100 millions de personnes

Des éditoriaux aux discussions sur internet, l’argument sur les « 100 millions de morts du communisme » est la meilleure façon de mettre fin à une discussion. « Vous êtes pour le socialisme ? 100 millions de morts », « vous voulez augmenter le salaire minimum ? 100 millions de morts », « vous voulez la gratuité des soins médicaux ? 100 millions de morts ». La droite se rabat sur cette calomnie multifonctions dès qu’elle est à court d’arguments sérieux !

Qu’en est-il en réalité ? Cette affirmation s’appuie sur le Livre noir du communisme, écrit sous la direction de Stéphane Courtois et publié en 1998. Cet ouvrage a depuis été largement dénoncé pour ses nombreux biais, ses faiblesses méthodologiques et l’hypocrisie des critères qu’il utilise. Même certains de ses principaux contributeurs ont ensuite critiqué le livre et affirmé que Courtois était obsédé par le fait d’atteindre le nombre de 100 millions de morts quel qu’en soit le moyen, et, qu’en réalité, ce nombre n’était pas soutenable.

Plus de 90 % des morts du Livre noir se rapportent à des régimes staliniens ou maoïstes. Nous avons déjà expliqué plus haut que le stalinisme n’a rien à voir avec le véritable marxisme. Nous n’acceptons aucune responsabilité pour les crimes bien réels commis par ces régimes, et nous soulignons que les premières victimes du stalinisme furent les trotskistes, héritiers légitimes du bolchevisme. Nous trouvons abject que la mort de nos camarades soit utilisée par les réactionnaires pour salir la bannière sous laquelle ils ont lutté.

A qui attribuer la responsabilité des morts de la guerre civile ? La guerre civile est-elle la faute de la masse des travailleurs et des paysans, la majorité de la population, qui voulait en finir avec la guerre mondiale, redistribuer les terres, libérer les nationalités opprimées et construire le socialisme ? Ou est-ce la faute des généraux blancs, des propriétaires terriens, des patrons, des monarchistes et des 21 armées d’intervention étrangères, qui n’ont pas accepté la volonté de la majorité ? Cela peut être comparé à une attaque de bandits dans votre maison, qui causerait des morts des deux côtés : de qui est-ce la faute ? Les réactionnaires répondent en substance qu’il faudrait blâmer les occupants de la maison, car personne ne serait mort s’ils n’avaient pas résisté. Il faudrait alors également considérer qu’Abraham Lincoln est responsable des morts de la guerre de Sécession qui a libéré les esclaves. Proportionnellement à la taille de la population, cette guerre-là a été aussi meurtrière que la guerre civile russe.

Même les attaques du Livre noir contre les staliniens sont hypocrites. Ils les tiennent par exemple responsables de près d’un million et demi de morts en Afghanistan, c’est-à-dire presque tous les morts sous le régime pro-soviétique. Mais c’est oublier que la CIA finançait et armait les rebelles moudjahidin et leur fournissait des lance-roquettes et autres armes sophistiquées pour prolonger leur guérilla. C’est aussi oublier que ces moudjahidin comptaient dans leurs rangs des « combattants de la liberté » tels qu’Oussama Ben Laden, et se sont renommés Taliban dans les années 1990. Alors, qui est responsable de ces morts ?

Un événement souvent associé à ces 100 millions de morts est la famine soviétique de 1932-1933, le soi-disant « Holodomor ». Le Livre noir décompte ainsi 4 millions de morts en Ukraine et 2 millions dans le reste de l’URSS. Aujourd’hui, le régime nationaliste réactionnaire ukrainien considère que cette famine était un génocide, et l’utilise régulièrement comme argument pour défendre son programme nationaliste.

Les marxistes sont les derniers à excuser les staliniens pour cette famine, qui résulte de la politique criminelle de collectivisation forcée de Staline, dénoncée par Trotsky dans son chef-d’œuvre antistalinien, La Révolution trahie. Cependant, nous ne souscrivons pas à la victimisation anticommuniste des nationalistes ukrainiens. La réalité est que dans les années 1920, Staline s’est appuyé sur les paysans koulaks enrichis par la NEP pour vaincre l’Opposition de gauche que dirigeait Trotsky. L’Opposition de gauche appelait alors à une politique de collectivisation de la terre, basée sur le volontariat, afin d’éduquer les paysans aux avantages du socialisme.

Mais une fois la tendance prolétarienne de Trotsky vaincue, les koulaks menacèrent de faire revenir le pays au capitalisme, menaçant les privilèges de la bureaucratie. Staline a donc opéré un virage à 180 degrés, et s’est retourné contre les koulaks. Plutôt que de lancer une collectivisation volontaire, il a mis en place une politique de collectivisation forcée, avec pour objectif de « liquider les koulaks en tant que classe ». Cette politique insensée a conduit les paysans riches à dévorer leurs grains et leur bétail, plutôt que de les cultiver et les élever, ce qui a plongé le pays dans la famine. L’Ukraine en a d’autant plus souffert qu’elle était autrefois le grenier à blé de l’empire tsariste. Néanmoins, la famine a aussi frappé largement hors d’Ukraine. Si les faits donnent tort à la thèse nationaliste du génocide, ce sont néanmoins bien les trotskistes qui ont lutté contre cette famine dès le début.

La méthodologie hypocrite du Livre noir donnerait des résultats non plus en millions, mais en milliards de victimes, si on l’appliquait de façon méthodique au capitalisme. Noam Chomsky, qu’on ne peut accuser de soutien ni au stalinisme ni au maoïsme, a fait cette analyse en comparant l’Inde à la Chine. Du fait des plus faibles inégalités et de la meilleure répartition des ressources médicales dans l’économie planifiée chinoise, la surmortalité de l’Inde atteignait les 100 millions de victimes en 1979 (et le décompte ne s’est pas arrêté !). Et que dire des populations indigènes décimées aux Amériques ? De la traite capitaliste des esclaves africains ? De l’impact mondial de l’impérialisme ?

Même Winston Churchill porte une responsabilité écrasante dans la famine du Bengale en 1943, qui a fait des millions de victimes. En pleine famine, l’Inde sous contrôle britannique continuait d’exporter de la nourriture et Churchill déclarait alors : « Je hais les Indiens. C’est un peuple bestial, avec une religion bestiale ». A tout cela, il faudrait encore ajouter les millions et millions de victimes des guerres menées pour le profit et pour des considérations stratégiques impérialistes. Plus d’un million de morts rien qu’en Irak, auxquels additionner deux guerres mondiales, et les incessantes guerres « limitées ».

En mars 2017, l’UNICEF estimait que 600 millions d’enfants seraient menacés de mort, de malnutrition et de maladie d’ici à 2040, si les tendances actuelles se poursuivaient. Dans de précédents rapports, elle avait détaillé comment des millions d’enfants meurent tous les ans pour des raisons qui pourraient être résolues très simplement, alors que les huit plus riches des milliardaires possèdent autant que la moitié la plus pauvre de l’humanité. A ce rythme, le capitalisme, l’impérialisme et le colonialisme ont déjà produit une bibliothèque entière de « livres noirs ». Il est plus que temps que l’humanité tourne la page de ce système économique et social qui sue le sang par tous les pores.

9. La chute de l’URSS prouve que la nature humaine est capitaliste

A voir la crise actuelle de l’économie mondiale, il est assez risible de voir la droite défendre le capitalisme comme étant une extension « naturelle » de la condition humaine. Le capitalisme en tant que système social n’existe que depuis deux ou trois-cents ans, alors que l’Homo sapiens en tant qu’espèce existe depuis plusieurs centaines de milliers d’années. Faudrait-il donc supposer que l’humanité a vécu en quelque sorte de façon « contre-nature » pendant 99,9 % de son existence ?

D’autres travaux[4] ont répondu à cette question du point de vue philosophique et scientifique plus général. Nous ne répéterons donc pas toutes ces explications ici. L’argument central de la droite est que l’Union soviétique se serait effondrée parce que les êtres humains seraient naturellement égoïstes et enclins à la paresse si la menace du licenciement ou de la faim ne les aiguillonne pas. Cet argument n’est qu’une affirmation sans preuves hors de toute réalité temporelle ou spatiale.

Parti d’un niveau extrêmement bas, le peuple de l’Union soviétique a accompli des choses impressionnantes. Et cela, malgré la mauvaise gestion de la bureaucratie stalinienne. Les gens travaillaient très dur en URSS. Elle produisit plus de médecins, de scientifiques et d’ingénieurs que les pays capitalistes, aussi bien en chiffres absolus que relatifs. Tout cela était le fruit de l’économie planifiée. Entre 1913 et 1963, la productivité du travail a augmenté de 73 % en Grande-Bretagne, de 332 % aux Etats-Unis, et de 1310 % en URSS. Les taux de croissance annuels y excédaient alors les 10 %, tandis que le capitalisme affrontait la Grande Dépression.

On comptait 205 médecins pour 100 000 habitants en URSS, contre 170 en Italie et en Autriche, 150 aux Etats-Unis, 144 en Allemagne de l’Ouest, 110 au Royaume-Uni, en France et aux Pays-Bas, et 101 en Suède. En 1970, 257 000 étudiants furent diplômés en ingénierie en URSS, contre 50 000 aux Etats-Unis. Tout cela a permis d’immenses découvertes, des prix Nobel, et une excellence généralisée. Imputer la chute du stalinisme à la stupidité ou à la paresse du peuple soviétique est une calomnie abjecte.

Alors, pourquoi l’Union soviétique s’est-elle effondrée si les gens étaient si intelligents et travailleurs ? La faute incombe entièrement à la bureaucratie stalinienne. Trotsky expliquait que l’économie planifiée socialiste a besoin de démocratie comme le corps humain a besoin d’oxygène. Sous le capitalisme, le marché sert de garde-fou contre l’inefficacité. Si une entreprise est vraiment mal dirigée, elle fait faillite et disparaît. Dans une économie planifiée saine, cette protection contre l’inefficacité dans la production est assurée par le contrôle démocratique et la participation des travailleurs eux-mêmes. Si les travailleurs remarquent une source de gâchis, ils vont la supprimer ; s’ils trouvent une façon plus efficace d’accomplir une tâche, ils vont l’appliquer. Mais une telle gestion démocratique était une hérésie aux yeux de la bureaucratie stalinienne, qui ne pouvait tolérer que quoi que ce soit échappe à son contrôle despotique.

Une cinquantaine de bureaucrates à Moscou pouvaient planifier l’industrialisation élémentaire dans les premières années du régime, mais à un coût bien plus élevé que l’aurait demandé une démocratie prolétarienne. Cependant, à partir de la moitié des années 1960, la croissance a commencé à ralentir, puis à stagner dans les années 1970. L’économie était devenue trop complexe pour une planification bureaucratique. Le poids de la mauvaise gestion bureaucratique, du népotisme, de la corruption et du gâchis, qui était jusque-là une nuisance relative au développement de la production, devint un obstacle insurmontable.

Des quotas de production étaient envoyés vers la base depuis les sommets qui ne pouvaient être remplis qu’au prix d’une diminution de la qualité. L’économie informelle et le marché noir se développaient pour compenser le gâchis et la stupidité de la bureaucratie. Cette réalité économique marqua le début de deux décennies de déclin des régimes staliniens. Les dirigeants ont presque tout essayé pour faire revenir la croissance, mais toutes leurs tentatives ont échoué. La seule solution qu’ils n’ont pas tenté d’appliquer, de peur de perdre le contrôle de la situation, fut de s’orienter vers une démocratie ouvrière. L’immense potentiel créatif de la classe ouvrière soviétique a donc été laissé de côté et ne s’est pas concrétisé.

Plutôt que d’établir le contrôle ouvrier et une économie socialiste démocratiquement planifiée, les bureaucrates ont décidé de se faire capitalistes, aux dépens du reste de la population. Tout fut mis aux enchères pour une bouchée de pain, pavant la voie à l’actuelle oligarchie russe. Si le capitalisme était un système bien plus naturel que le socialisme, ce « retour à la nature » aurait dû conduire à un véritable bond en avant des forces productives ? Le rétablissement de l’économie de marché a été un désastre sans nom. Le PIB chuta de 60 % et l’espérance de vie fut réduite de 15 ans. Tous les maux sociaux du capitalisme sont revenus prendre leur revanche : l’alcoolisme, la prostitution, la drogue, le crime organisé… La situation des femmes est revenue dramatiquement en arrière. Voilà l’héritage du capitalisme.

Une économie véritablement, sainement et démocratiquement planifiée aurait pu libérer les incroyables capacités de la classe ouvrière que le stalinisme et le capitalisme entravaient délibérément. Les étudiants en école de commerce apprennent à croire que les travailleurs sont des machines, tandis que le savoir et l’innovation coulent à flots des cerveaux géniaux des « capitaines d’industrie ». Mais dans le monde réel, on voit clairement comment ces hommes et femmes en costume ont présidé des faillites, de la stagnation, des crises et des licenciements, tout en accumulant des milliards de profits.

Ce sont les travailleurs dans l’atelier qui connaissent le mieux leur propre travail et savent comment l’améliorer. C’est l’encadrement qui désorganise la production en organisant des équipes trop petites et en montant les ouvriers les uns contre les autres. Si un travailleur a une bonne idée sous le capitalisme, son manager la reprendra à son compte, en tirera tout le crédit, puis réduira les effectifs en fonction de l’efficacité gagnée. Les travailleurs n’ont donc aucun intérêt à contribuer tant qu’ils sont aliénés vis-à-vis de la production. Dans une société socialiste, quand les travailleurs s’investissent, cela leur fera gagner du temps de loisirs ou cela améliorera les conditions de vie de leur communauté. Capitalisme et stalinisme sont unis dans la conviction que la majorité de l’humanité est inutile et stupide. Les marxistes croient que l’immense majorité a quelque chose à apporter à la société, et que ce sont les patrons et la bureaucratie qui sont les inutiles défenseurs d’un système stupide et contre-nature.

10. La Révolution russe n’a rien accompli

La Révolution russe n’a rien accompli, disent-ils ! Mais alors, pourquoi les mercenaires des patrons et des banques passent-ils tant de temps à le répéter sur tous les tons ? Toute personne qui réfléchit réalisera le caractère mensonger de cette affirmation. Si rien n’a été accompli, pourquoi la bourgeoisie voit-elle en Octobre une telle menace ? Nous avons là un pays qui est passé d’une arriération supérieure à celle des campagnes les plus reculées du Pakistan, au statut de seconde puissance mondiale. Et pourtant, on nous répète que rien de positif ne doit être retenu de l’Union soviétique. Il est difficile d’imaginer un meilleur exemple de mensonge éhonté !

Nous avons déjà évoqué quelques-unes des immenses avancées techniques et économiques de l’économie planifiée soviétique, malgré les obstacles bureaucratiques du stalinisme. On peut en ajouter d’autres. A la fin de la Seconde Guerre mondiale et de l’occupation nazie, et alors que ceux-ci avaient adopté une politique de « terre brûlée », l’économie planifiée a rebondi sans l’aide d’aucun plan Marshall venu de l’étranger. Le revenu national de l’URSS a augmenté de 570 % entre 1945 et 1964, contre « seulement » 55 % pour les Etats-Unis, qui étaient pourtant sortis indemnes de la guerre. Durant cette période, personne ne pouvait rivaliser avec la technologie spatiale soviétique. Spoutnik fut le premier satellite artificiel, et Youri Gagarine le premier homme dans l’espace.

Un des accomplissements majeurs de l’URSS a été la défaite de l’Allemagne nazie, qui avait pourtant à sa disposition les ressources et la production de toute l’Europe continentale. On n’apprend pas cela dans les écoles occidentales, mais 90 % des combats et des victimes de la Seconde Guerre mondiale sont à chercher sur le front de l’Est. 27 millions de Soviétiques furent tués par les armées hitlériennes.

Churchill et Roosevelt avaient originalement prévu de laisser l’Allemagne et la Russie s’épuiser mutuellement, pour ensuite achever le survivant. C’est la raison pour laquelle ils n’ont pas ouvert le front Ouest avant 1944. La bataille de Koursk est encore aujourd’hui la plus grande bataille de chars de l’histoire, et, une fois l’armée allemande vaincue à Stalingrad, l’Armée rouge a opéré une des offensives les plus rapides qu’on ait connue. L’économie planifiée a permis à l’URSS de surpasser la production de toute l’Europe capitaliste quand la situation l’a nécessité. Ce sont les troupes soviétiques qui ont libéré les Juifs des camps de concentration, délivré l’Europe de l’Est, et hissé le drapeau rouge sur le Reichstag. Si les Britanniques et les Américains n’avaient pas fini par ouvrir un second front, ils auraient rencontré l’Armée rouge sur la Manche plutôt qu’en Allemagne. Avant le débarquement de Normandie, les principaux efforts des Alliés s’étaient portés loin du théâtre principal des opérations, vers la sécurisation de leurs colonies d’Afrique et du Pacifique.

Les gains de la révolution n’étaient pas qu’économiques, mais aussi sociaux. Tandis que les femmes britanniques n’ont obtenu le droit de vote qu’en 1928, les femmes soviétiques avaient atteint l’égalité juridique complète dès 1918. Au Canada, la loi n’a commencé à considérer les femmes comme des « personnes » qu’en 1929 ! Les lois soviétiques sur la famille ne comportaient aucune mention de genre, et l’homosexualité y a été dépénalisée un demi-siècle avant le reste de l’Europe. Par exemple, Trotsky a pris le nom de famille de sa femme sans que personne ne s’en étonne. L’avortement fut aussi légalisé. La plupart de ces conquêtes ont malheureusement été détruites lors de la contre-révolution stalinienne. Cependant, malgré le mouvement de réaction des années 1930, en 1970, il y avait autant de femmes que d’hommes à entrer à l’université, bien avant la plupart des pays capitalistes. L’URSS garantissait la gratuité de l’éducation, des gardes d’enfants et des soins médicaux, ce que les Etats-Unis n’ont jamais réussi à accomplir. Sans surprise, l’espérance de vie des femmes a bondi de 30 ans en 1927 à 74 en 1970 tandis que la mortalité infantile a baissé de 90 %.

La culture et la science soviétiques se sont incroyablement développées dans les années 1920. Il y eut une incroyable explosion des formes artistiques expérimentales après la révolution. Eisenstein a ouvert la voie avec de grands classiques du cinéma. Chostakovitch et d’autres ont révolutionné la symphonie, et le ballet du Bolchoï reste renommé aujourd’hui. L’URSS devint aussi une grande puissance olympique. La science théorique y fit des bonds de géants. Theodosius Dobjansky opéra la synthèse de la sélection naturelle de Darwin et de la génétique de Mendel. Encore une fois, hélas, ces progrès ont été brisés par le « réalisme socialiste » dans les arts et par le lyssenkisme en biologie. La bureaucratie stalinienne ne pouvait laisser un espace de liberté à la jeunesse dans la culture populaire et la CIA a tenté d’utiliser les Rolling Stones et les Beatles contre la révolution. Mais, malgré la censure stalinienne, les arts classiques soviétiques conservèrent leur excellence.

Malgré une arriération matérielle, sociale et culturelle à peine imaginable, des attaques et des sabotages de l’extérieur et de l’intérieur, la révolution bolchevique a réalisé des miracles. Imaginez ce que les travailleurs et la jeunesse d’aujourd’hui pourraient accomplir avec un niveau de culture et d’éducation largement supérieur. La seule chose qui entrave le développement de la société est la production pour le profit et le mode de production capitaliste. La société est aujourd’hui dans une impasse et se traîne d’une crise économique, sociale ou politique à une autre. Nous devons réduire ces entraves en miettes pour libérer le vrai potentiel de l’humanité.

Dans son classique Dix jours qui ébranlèrent le monde, John Reed avait fait le récit vibrant des événements de 1917. Dans cet article, nous avons tenté de répondre à 10 des principaux mensonges qui visent à maintenir le statu quo. Lénine disait que la force motrice de l’histoire est la vérité, et non le mensonge. Dans un autre texte, il disait que le marxisme est tout-puissant, parce qu’il est juste.

La tendance révolutionnaire n’a pas besoin de mensonges : pourquoi voudrions-nous cacher la réalité ? Le marxisme vise à acquérir une analyse scientifique et rigoureuse des conditions sociales, pour pouvoir mieux les transformer. En nous mentant à nous-mêmes, nous ne ferions que nous compliquer la tâche. Heureusement, de plus en plus de travailleurs, particulièrement dans la jeunesse, commencent à voir la vérité derrière les mensonges qui couvrent l’injustice du capitalisme. La révolution russe représente encore aujourd’hui le meilleur exemple de la façon dont les exploités et les opprimés peuvent gagner leur émancipation. Il n’y a pas de menace plus grande pour le statu quo que les idées du bolchevisme et l’expérience de la révolution russe. Nous espérons que cet article aidera les travailleurs et les jeunes récemment radicalisés à trouver les réponses dont ils ont besoin contre les arguments des réactionnaires et pour construire un nouvel Octobre, 100 ans après, mais cette fois-ci à un niveau bien supérieur.

[1] Cité par Philip S. Foner, The Bolshevik Revolution, en ligne sur : https://archive.org/details/BolshevikRevolutionFoner

[2]     Les « cadets » étaient les membres du « parti constitutionnel démocrate », dont les initiales en russe étaient « KD ». Il s’agissait d’un parti libéral bourgeois, situé à l’aile « gauche » du régime tsariste. (NdT).

[3]     L’amiral Koltchak était le chef des armées blanches de Sibérie [NdT].

[4]     Voir notamment « What makes us human? » sur In Defence of Marxism [https://www.marxist.com/what-makes-us-human.htm]

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