Il y a vingt ans, le gouvernement de Margaret Thatcher provoquait un conflit avec le Syndicat National des Mineurs (NUM). Son objectif était de briser la colonne vertébrale du mouvement ouvrier britannique.
Arrivée au pouvoir en 1979, Thatcher considérait la défaite de la NUM comme une étape nécessaire dans l’ouverture d’une offensive de grande envergure contre l’ensemble de la classe ouvrière. Elle voulait également venger la défaite humiliante des conservateurs aux élections législatives de 1974, défaite à laquelle les grèves des mineurs de 1972 et de 1974 avaient grandement contribué. A partir de mars 1984, et pendant plus de douze mois, 10 000 mineurs ont été arrêtés. Deux furent tués. La classe dirigeante britannique a dépensé des sommes colossales, utilisant à fond la presse, la télévision, la répression policière et les tribunaux pour assurer la défaite de cette grève exemplaire, qui marquait la plus haute expression de la lutte des classes en Grande-Bretagne depuis la grève générale de 1926.
La défaite des mineurs n’avait rien d’inéluctable. Elle fut liée à un ensemble de facteurs. Le gouvernement avait délibérément accumulé d’importantes quantités de charbon britannique, en prévision du conflit. En outre, pendant toute la durée de la grève, la Pologne « communiste » a livré de grosses quantités de charbon à la Grande Bretagne. Cela ne pouvait qu’affaiblir le mouvement. A ceci s’ajoutent certaines erreurs stratégiques de la part de la direction de la NUM, dont notamment le refus d’organiser un vote national des mineurs. La décision de faire grève était prise région par région. Cela a été largement exploité par les médias, qui ont accrédité la thèse d’une grève « anti-démocratique » – et ce malgré un taux de participation supérieur à 80% ! En l’absence d’un vote national, les mineurs de Nottinghamshire n’ont pas fait grève, et ont continué à produire du charbon, sous la protection de la police.
Mais ces facteurs n’auraient pas pesé aussi lourd dans la balance si la direction de la confédération nationale des syndicats (TUC) ne s’était pas obstinément opposée à l’organisation de grèves de solidarité au-delà du secteur minier. Or, les conflits qui ont éclaté, pendant la grève des mineurs, dans les chemins de fer, chez British Leyland (automobile) et dans les ports montraient bien le potentiel qui existait pour une généralisation du mouvement. La mollesse de la direction confédérale était complétée par celle du dirigeant du Parti Travailliste de l’époque, Neil Kinnock. Soucieux de prouver ses « qualités d’homme d’Etat », ce dernier ne cessait de dénoncer les grévistes. A toute peine sa récompense : anobli, « Sir Neil Kinnock » défendait les intérêts du capitalisme britannique comme membre de la Commission Européenne sous la présidence de Romano Prodi.
La défaite des mineurs, en 1985, a donné lieu à une certaine démoralisation du mouvement ouvrier britannique. Au sentiment d’avoir été trahi s’ajoutait un certain fatalisme : « si les mineurs ont été battus, que pouvons-nous faire, nous autres ? » En 1979, 55% des travailleurs britanniques étaient syndiqués, soit 13,2 millions de salariés. Ce chiffre est progressivement tombé jusqu’à 9 millions dans les années 90. Le rapport de force dans les entreprises basculait en faveur des employeurs. D’autres défaites majeures ont suivi celle des mineurs, comme par exemple, en 1986, celle des syndicats du livre (SOGAT, NGA) dans les grandes entreprises de la presse. Ces défaites, aux conséquences sociales dramatiques, alimentaient le sentiment de résignation qui, à son tour, favorisait le mouvement vers le droite au sommet du mouvement syndical et travailliste. Le Parti Conservateur a remporté les élections de 1987 et 1992. Mais en 1997, le Parti Travailliste a remporté une victoire spectaculaire contre la droite, avec une majorité parlementaire de 197 sièges – la plus grande de toute l’histoire du parti.
Cependant, sous la direction de Tony Blair, la politique du Parti Travailliste a brusquement viré vers la droite. Le « nouveau réalisme » de Blair ne signifiait rien d’autre que l’adoption d’un programme ouvertement pro-capitaliste. Dans le Financial Times du 16 janvier 1997, Blair résumait son orientation ainsi : « Je veux une situation comparable à celle des Démocrates et des Républicains américains. Le caractère pro-capitaliste du Parti Démocrate n’étonne personne. Et nul ne devrait s’en étonner à propos du Parti Travailliste. » Au lieu de s’attaquer aux problèmes sociaux, Blair se contentait de vanter les vertus de « l’économie le plus déréglementée d’Europe ». Les conditions de vie des travailleurs se dégradaient sans cesse. Mais dès 2002, le nombre de jours de grève s’élevait à 1 300 000, soit deux fois le chiffre de 2001. Les grèves de 2002 impliquaient plus d’un million de salariés, contre seulement 180 000 en 2001. Ceci indique clairement que, dès 2002, le pendule politique repartait vers la gauche.
L’humeur plus combative des travailleurs britanniques s’est exprimée dans une série de victoires de l’aile gauche du mouvement syndical – c’est-à-dire par l’éjection des soutiens de Blair. Ce fut le cas notamment dans le syndicat des pompiers, le syndicat des communications, le syndicat des journalistes, chez les Cheminots et dans les syndicats industriels tels que le GMB et l’EEPTU/Amicus (800 000 adhérents).
Le processus de radicalisation dans le mouvement syndical a miné la position de Tony Blair au sein du Parti Travailliste. Ce processus n’en est qu’à ses débuts, mais, de toute évidence, les jours des dirigeants droitiers du Parti travailliste sont comptés. La manifestation de 2 millions de personnes contre la guerre en Irak, le 15 février 2003 – la plus grande de l’histoire du pays – illustre le changement qui est en train de s’opérer. Dans les années à venir, le mouvement ouvrier britannique n’occupera certainement pas la dernière place dans la lutte contre le capitalisme qui s’impose à tous les travailleurs européens.