Entretien avec Charlie Vande Mergel, élève d’une école secondaire en immersion à Gand.

Révolution : Commençons depuis le début. Comment as-tu été impliqué dans le mouvement des grèves pour le climat?

Charlie : Le premier mardi qui a suivi les vacances d’hiver, une amie qui fréquente la même école que moi m’a demandé : “Est-ce que tu veux sécher les cours pour le climat ?” J’ai mis deux jours pour me décider. Je pensais que nous allions être une bonne centaine à Bruxelles. Nous sommes allés trouver la directrice pour lui expliquer que nous voulions manifester le jeudi. Nous lui avons dit : “On aimerait bien que vous nous couvriez, mais si vous ne le faites pas nous irons quand même”. Elle a marqué son accord à la condition que nous lui écrivions un mail de motivation. Ce que nous avons tous fait !

Le jeudi nous étions à Bruxelles, pas une bonne centaine mais trois mille manifestants ! Le rassemblement était prévu devant la gare de Bruxelles Centrale. Il n’était pas question de se rendre autre part. Mais bien vite la situation a débordé. Des personnes parlaient dans un micro, mais on n'entendaient pas bien car il n’y avait pas d’installation sono. A un certain moment, des personnes se sont mises à crier “Parlement, Parlement”, et nous nous sommes mis en route pour le Parlement. Nous passions entre les voitures, comme les rues n’étaient pas bloquées par la police. Il y avait des gens qui n’étaient pas contents, mais je trouvais ça bien. Ca a eu un grand impact symbolique. Nous sommes passés dans de nombreux médias.

Hilde Crevits, la Ministre flamande de l’éducation, a parlé et nous a invité à venir discuter avec elle le mercredi suivant. Mais comme cette entrevue n’a pas donné grand chose, nous avons continué les grèves du jeudi.

Révolution : Il a dû y avoir beaucoup de discussions entre les élèves du secondaire. Quelles étaient les revendications et les idées par rapport au climat?

C : Le premier jeudi, nous étions une dizaine de notre école à nous rendre à Bruxelles. La semaine suivante, la direction de notre école a écrit un mail à tous les élèves, pour organiser une discussion le lundi midi, et proposer des idées afin de réduire notre empreinte climatique. Suite à ça, nous avons réalisé des affiches avec des idées pour réduire l’utilisation du plastique ou encore supprimer le distributeur Coca-Cola et mettre une fontaine d’eau à la place.

R : On a l’impression qu’il y a la pression des médias, des directions d’école pour détourner le mouvement vers un modèle de changement individuel, alors que les revendications du mouvement des élèves du secondaire sont orientées vers un changement du système. Ce sont quand même les grosses entreprises qui produisent le plus de pollution…

C : En fait, les écoles ont envie qu’on suive les cours et ils ont tenté de nous culpabiliser. Les solutions que notre école propose sont des solutions individuelles. Mais je ne pense pas que ce soit si mal, dans le sens que ça sensibilise les gens.

En même temps, c’est le système qui nous culpabilise pour éviter qu’on ne le change. Sur les réseaux sociaux, on a vu passer beaucoup de commentaires qui laissaient entendre qu’on était toujours sur nos portables, qu’on polluait nous mêmes, qu’on allait aux manifs en voiture - ce qui est absurde. Ils se focalisent là-dessus, alors qu’il faut changer le système.

Parfois on n’a pas le choix ! On n’a pas d’autre choix que de prendre la voiture pour aller quelque part car il n’y a pas de transports en commun. Même chose avec les McDo’s. On est toujours incités à s’y rendre. Tous ces publicités, ça donne faim et envie d’y aller. On doit supprimer ces publicités. Moi, j’essaie de ne pas aller au McDo mais il est possible que je n’y résiste pas. En gros, je pense qu’on doit changer de système pour que le comportement des gens change. De nombreux partis disent l’inverse. Le MR, par exemple, est assez en mode “on va attendre des innovations technologiques et, entre temps, on peut essayer de limiter un peu les dégâts.”

R : Comment penses-tu que le mouvement va évoluer?

C : Comme ça dure depuis des semaines, il est possible que ça commence à diminuer, à se disperser. Ce jeudi (le 21 février), il y aura beaucoup de monde avec la venue de Greta Thunberg. Puis le 15 mars, avec la grève mondiale pour le climat, on sera nombreux.

Toutes les couches de la société doivent nous rejoindre. Il y a maintenant les étudiants, les “papys” aussi. Mais on a surtout besoin des travailleurs, car c’est la couche la plus importante avec le plus de pouvoir. Quand eux font grève, toute l’économie est à l’arrêt, alors que les grèves que nous avons faites ont surtout eu un impact symbolique. Et n’oublions pas aussi que nous sommes les futurs travailleurs !

Pour l’instant, les ministres se foutent de nos gueules. Suite à l’envoi d’un mail aux ministres avec l’action Wake Up My Minister, deux m’ont répondu. Ils disent : “Oui, je comprends votre frustration mais on a déjà fait ça et ça. On comprend que c’est pas assez, mais on fait pour le mieux, etc.” - Alors qu’il y a une urgence climatique. Il faut se bouger le cul quoi ! Il faut tout changer. Même les choses concrètes qu’ils proposent ne suffisent pas. Par exemple, la Loi Climat que Ecolo a proposée : c’est bien d’inscrire l’urgence climatique dans la loi. Mais premièrement, ce n’est pas sûr qu’elle passera. Et deuxièmement, elle n’est pas suffisante. De ce que j’ai pu voir, il s’agit d’une réduction de tonnes d’émissions de CO2 pour 2030, mais ce ne sera pas assez si on suit les avis des scientifiques. Il y a aussi cette campagne Sign for my Future, soutenue parles plus grosses entreprises qui polluent le plus. Il y a par exemple la banque BNP Paribas, qui a des investissements dans les centrales à charbon. C’est assez hypocrite. J’en ai discuté avec le WWF qui a signé la pétition Sign for my Future. Ils m’ont répondu qu’effectivement, ils doivent changer, mais que entre temps, ils peuvent aussi aider à changer la politique. Pour moi, c’est juste un coup de “com”. Comme ça, ils peuvent affaiblir des mouvements qui sont plus radicaux, qui veulent changer le système.

En somme, j'espère qu’on restera avec 10.000 élèves chaque semaine, et que sur certaines dates comme le 15 mars on sera encore plus nombreux. Comme ça, le gouvernement n’aura plus le choix. Il ne faut pas lâcher, puisqu’on voit que ça marche. Dans l’histoire, ce sont ces rassemblements et les protestations massives des gens qui ont créé les gros changements.

Entretien fait par Kyle Michiels à Gand, le 20 février 2019.

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