Une vague de manifestations contre le racisme déferle sur les États-Unis depuis des semaines. Le meurtre de George Floyd par la police de Minneapolis attise l’indignation des jeunes noirs, rapidement rejoints par des jeunes d’autres couleurs. Black Lives Matter, mouvement né en 2013, rebondit suite à ce nouveau meurtre policier.
Cette fois-ci, il devient rapidement un mouvement international, s’étendant jusqu’en Belgique. Malgré l'interdiction des manifestations suite à la crise du coronavirus, 20 000 personnes se sont mobilisées contre le racisme et les violences policières à Liège, Gand, Anvers et surtout à Bruxelles. Dans le sillage de ce nouveau sursaut anti raciste, les statues du roi Léopold II ont été déboulonnées ou badigeonnées de peinture. D’autres statues, celles du roi Baudouin, ont également été repeintes. Les militants s'attaquent ainsi, à juste titre, aux symboles du passé colonial de la Belgique.
Ces statues représentent une glorification de la colonisation. Elles sont une insulte aux Noirs et à tous ceux qui luttent contre les injustices d'hier et d'aujourd'hui. Il est ainsi beaucoup question de la "décolonisation de l'espace public".
Pour nous, ces statues peuvent et doivent être déboulonnées et remplacées par des nouvelles à l’effigie de Patrice Lumumba ou en hommage aux Noirs qui se sont souvent révoltés contre l'oppression belge. D’autres statues doivent être placées dans un nouveau contexte historique. Mais le colonialisme n'est pas seulement visible dans l'environnement urbain : ses vestiges sont encore présents dans l'esprit de nombreuses personnes, dans les institutions de l’Etat belge et dans le monde des entreprises.
Héritage toxique
Le racisme en Belgique, en particulier le racisme anti Noirs, est un héritage empoisonné du pillage colonial d’Afrique Centrale. La colonisation de la population noire a produit sa propre idéologie, infantilisant les Noirs pour justifier leur asservissement. Qui d’autre que le colon blanc et le bon roi Léopold, pour jouer le rôle du « père sévère mais juste » ? On les a aussi déshumanisés, c'est-à-dire réduits à l’état animal, et donc traités comme tels. Leur passé culturel a également été effacé avec l'aide « civilisatrice » de l'Église catholique chargée de leur éducation. Les travaux forcés brutaux et les punitions cruelles qu'ils ont subies ont servi le progrès du capitalisme blanc. « Jusque dans les années 1950, la colonie est restée un pays où la "ségrégation raciale" a pris des formes plus dures que dans l'Afrique du Sud de l'apartheid. Tous les postes de direction dans l'administration, l'armée et les entreprises étaient entre les mains des Européens et la chicotte (le fouet à lanières tressées n.d.t.) appartenait pleinement à l'arsenal répressif des administrateurs de la région », nous rappelle l’écrivain Ludo De Witte. (1)
La pensée coloniale et son racisme n’ont pas disparu avec l'indépendance de la colonie. Ce ne sont pas seulement les "vieux" belges qui sont restés imprégné des préjugés coloniaux, mais ce poison contamine parfois aussi les jeunes. Rappelez-vous l'incident au festival Pukkelpop, il y a un an. Des jeunes filles noires y avaient été agressées par des jeunes blancs chantant en chœur, « Handjes kappen » (Coupons les mains) et le « Congo est à nous ». « Couper les mains », désigne la punition infligée aux travailleurs noirs dont les mains (ou celles d'un membre de la famille) étaient coupées s'ils ne travaillaient pas assez durement. La police, qui recrute parmi les couches politiquement les plus arriérées de la population, est aussi un vivier favorable aux idées racistes.
La classe dirigeante est clairement mal à l'aise avec ce nouvel iconoclasme anticolonial. Les élites politiques, économiques, universitaires et scientifiques sont sur la défensive. Elles aimeraient prendre des mesures permettant d'éteindre le feu. Mais ce qu’elles proposent est mou et artificiel. Le président du CD&V demande avec audace des excuses publiques de la part de la Monarchie. Il ose même proposer une date : le 30 juin, jour de l'indépendance congolaise. D'autres veulent une commission parlementaire « vérité et réconciliation » comme si la vérité sur le colonialisme n'était pas connue et largement étudiée. On pense aux ouvrages d'Amandine Lauro et de Benoît Henriet, ou aux livres révélateurs de Ludo De Witte.
Nous ne nous contenterons pas de plates excuses de la part du Roi. Il faut d’abord rapidement réécrire les livres d’histoire. L’enquête sur l’assassinat de Patrice Lumumba, le premier Premier ministre du Congo indépendant, doit également être menée jusqu’au bout et les coupables doivent être punis. Mais il faut surtout dénoncer ceux qui ce sont enrichis pendant des décennies de l’exploitation des ouvriers et des paysans noirs et qui ont pillé les ressources naturelles du pays.
Eglise, Roi et Capital
Le Congo était une mine d'or pour le capital belge. Sur l'ensemble des dividendes versés entre 1950 et 1955, 25 % provenaient d'entreprises actives dans la colonie, alors qu’elles ne représentaient que 3 % de l'ensemble des entreprises belges. Sur les 23 familles belges les plus riches aujourd'hui, 9 tirent leur capital du Congo. Voici leurs noms : Solvay, Emsens, Boël, Janssen, Bekaert, Lippens, Vandemoortele, Van Thillo, Bertrand, Dieryck et Van Baaren.
La colonisation du Congo, a donc été l'œuvre du capital industriel et financier belge, de la dynastie des Saxe-Cobourg-Gotha, de l'Église catholique et de l'État belge. La décolonisation de la Belgique, si elle ne veut pas se limiter à « l’espace urbain », doit aboutir à leur expropriation. N’oublions pas non plus que ces mêmes familles de capitalistes ont également exploité la classe ouvrière belge. Certes, pas aussi cruellement que les ouvriers et les paysans noirs ; mais leur richesse vient aussi du travail des salariés belges. Les travailleurs blancs et noirs ont donc un intérêt commun à une décolonisation totale. Sous de nouvelles formes, le colonialisme continue d'être actif aujourd'hui au Congo et dans toute l'Afrique. Le riche sous-sol du pays est encore convoité par les entreprises étrangères. Le pays est le théâtre de batailles de guerres par procuration entre différentes superpuissances, qui ont coûté la vie à des millions de Congolais ces dernières années. La décolonisation ne concerne donc pas seulement le passé, mais aussi le présent. L’indépendance de 1960 est inachevée. Une vraie indépendance du Congo n'est possible que si le pays se libère de la domination impérialiste et capitaliste. Dans cette lutte, les paysans, les pauvres et les travailleurs congolais doivent pouvoir compter sur le soutien de la gauche belge.
1)https://www.standaard.be/cnt/dmf20200614_04990737?fbclid=IwAR3rVqZDxu1y6ROmxtWMg9dAeg_a-tJDiY0LlJG6xZJHEcJOIMSR85lfSAc