L'unité nationale est le nouveau mantra du gouvernement et de la plupart des partis politiques. Il est répété indéfiniment dans chaque déclaration politique, dans chaque éditorial des médias grand public, dans chaque communiqué de presse du gouvernement. Dans les situations de crise, les gouvernements impopulaires font souvent appel à ce sentiment. Ils espèrent ainsi cacher leurs propres divisions, mais surtout, ils tentent de dissimuler les véritables antagonismes de classe.
Des œillères
« L'unité nationale » est un slogan creux. Il n'y a pas d'unité possible entre d’un côté les patrons qui, dans de nombreuses entreprises, donnent la priorité à la poursuite de la production et de l’autre, les salariés, qui doivent travailler dans des conditions dangereuses pour leur santé. L'unité est impossible entre le personnel hospitalier qui essaie de sauver des vies avec trop peu de ressources et un ministre qui, pendant des années, a réduit les budgets de la santé. Qu'est-ce qui pourrait bien lier les caissières sacrifiées d'un grand magasin à leur direction qui ne veut pas perdre de temps dans les règles de protection de base ? Rien. L'unité nationale ressemble à des œillères que la classe dirigeante voudrait nous mettre. « Ayez confiance en nous ! Oubliez votre intérêt personnel ! Nous nous occuperons du bien commun. » Plus les tensions sociales sont vives, plus la classe dirigeante pousse ce cri d' « unité nationale », pour faire passer le message : « Les différences politiques ou les antagonismes sociaux ne comptent plus. » Rien n'est plus éloigné de la vérité. Les chefs de gouvernement, les hommes politiques traditionnels et les patrons se rendent compte qu'ils sont assis sur le sommet d'un volcan qui entrera tôt ou tard en éruption. Ils essaient donc de prétendre qu'ils veulent notre bien, qu’ils existent pour veiller sur notre santé, qu’ils font tout pour nos emplois et pour notre avenir. De cette façon, ils tentent de se mettre à l'abri de la colère populaire qui explosera tôt ou tard. Ce n'est pas non plus un hasard si le gouvernement se montre solidaire des actions d’applaudissement chaque soir à 20 heures pour le personnel de santé. Il veut faire oublier que, des années durant, il a raboté le budget de la santé, que les tâches de soins dans les hôpitaux sont désormais minutées, que les méthodes de ‘just-in-time’ et de ‘zéro stock’ empruntées à l'industrie manufacturière se sont généralisées et mènent aux pénuries actuelles de matériel de soin.
Les erreurs du système deviennent visibles à l'œil nu
Les situation de crise produites par des tremblements de terre, des tempêtes, des épidémies, etc., révèlent toujours de nombreuses failles d’un système. Ce qui était autrefois invisible à l'œil nu devient soudain visible. En dehors de ces crises, une loupe (ou même un microscope) est souvent nécessaire pour distinguer les défauts dans la structure de la société. La commotion sociale produite par une catastrophe a l’avantage de secouer la population et de la sortir de plusieurs années d'apathie politique.
Une crise sanitaire comme celle du coronavirus nous oblige à considérer la santé non pas comme une affaire individuelle mais comme un problème social. La santé est désormais analysée comme une question collective, politique et sociale. Elle devient un sujet débattu vivement par toutes les couches de la population : dans la famille, sur le lieu de travail, à l'école. Personne ne peut plus se permettre d'être indifférent ; tout le monde a une opinion ou demande l'opinion de quelqu'un d'autre.
De plus en plus de monde prend conscience que le système de santé a été sous-financé pendant des années, soumis aux intérêts du secteur privé et géré comme une entreprise industrielle. Ce sont là les signes d’une politisation à grande échelle.
Pas de quarantaine pour la lutte des classes
Avec « l'unité nationale », la classe dirigeante prétend introduire une pause dans les luttes sociales et politiques. C'est une autre escroquerie. Ce qu’elle souhaite, c'est que le mouvement syndical mette sa lutte en « quarantaine ». Entretemps, elle pourra ainsi mieux imposer son programme antisocial : c’est, entre autres, l’objectif des pouvoirs spéciaux accordés au gouvernement par tous les partis sauf le PTB (le Vlaams Belang s’est abstenu). En réalité, l’ « unité nationale » cache une lutte de classes menée unilatéralement par les patrons. Heureusement, de nombreux travailleurs ne sont pas impressionnés par cette injonction. Sous la forte pression de la base dans les entreprises, les directions ont temporairement arrêté leurs activités économiques. Dans des dizaines de grandes entreprises, c'est grâce à l'initiative des travailleurs et de leurs délégués syndicaux que le chômage économique a été introduit. Chez Audi Bruxelles, par exemple, le syndicat socialiste du métal a menacé de faire grève. Dans les succursales de Brico à Bruxelles, ce sont les travailleurs eux-mêmes qui ont pris l'initiative de fermer les magasins ; les dirigeants sont restés totalement sourds aux inquiétudes des employés. Il en va de même pour les usines de Volvo Cars et Volvo Trucks. Mardi dernier, un responsable du syndicat chrétien METEA a décrit la situation dans les entreprises comme étant « explosive ». Dans le secteur des titres-services, les syndicats, sous la pression de leurs membres, demandent la fermeture temporaire de tout le secteur. Dans la chimie, les syndicats exigent également l'arrêt de toute activité non essentielle.
Dans le secteur de la santé, les syndicats souhaitent désormais que le financement fédéral des établissements de soins de santé soit garanti et qu’il n’y ait pas de nouvelles coupes budgétaires. Le cabinet de Maggie De Block leur a donné une réponse négative. Les syndicats espéraient pourtant un geste du gouvernement après avoir « mis à disposition » le fonds blouses blanches (400 millions normalement destinés à améliorer les conditions de travail des infirmiers) pour combattre le coronavirus… Quelle naïveté ! Le nouveau gouvernement Wilmès reste dans la continuité des politiques d’austérité des gouvernements précédents.
Syndicats, imposez l’arrêt des activités non essentielles !
Le mouvement ouvrier, en commençant dans les entreprises et avec les délégués militants, a demandé et pris des mesures pour la protection de la santé des travailleurs. Cela a souvent eu lieu par la pression de la base, par des grèves ou par le recours massif au congé de maladie. Néanmoins, les syndicats auraient dû imposer, dès le début de la situation d’urgence, l'arrêt temporaire et immédiat de toute activité non essentielle. Trop de dirigeants syndicaux restent englués dans la collaboration de classe et ne misent pas sur la lutte de classes pour changer le rapport de force. Cela explique leur timidité, parfois même leur opposition, à la demande de cessation de l'activité économique.
Or cette demande est toujours d'actualité : elle demeure le meilleur moyen de contenir la propagation du virus. Piet Vanthemsche, qui conseille le gouvernement au sein du Economic Risk Management Group, s'obstine à affirmer que les gens devraient continuer à travailler "dans la mesure du possible". Dans la liste établie par un nouvel arrêté du gouvernement, deux tiers des activités économiques sont considérées comme essentielles. C’est une mauvaise blague ! Cette liste a été établie unilatéralement avec le patronat, sans concertation avec les syndicats : c’est donc une liste patronale. On voit bien à quoi sert l’unité nationale : à faire passer les intérêts du patronat pour l’intérêt général. En Italie, après de nombreux et trop longs contretemps, le gouvernement a finalement pris la décision de paralyser l'économie non essentielle. Le report de cette mesure a coûté de nombreuses vies. Une fois de plus, le profit prime sur la santé ! Les syndicats sont devant un choix : accepter cette liste (ou l’amender en concertation avec le patronat), ou bien imposer par l’action de grève la fermeture des secteurs non essentiels. Il en va de la vie des travailleurs et de leurs familles.
En coulisses aussi, le FEB, la VOKA, l’UWE, etc., préparent leurs plans d’après confinement. Sans en connaître tous les détails, on peut être certain que le patronat va lancer une offensive sans pareille contre les travailleurs, le droit social, la sécurité sociale et les droits syndicaux. Bart De Wever parle ainsi d'un véritable « bazooka » pour la « gestion d’après crise du coronavirus ». Ce « bazooka » risque d’être une véritable arme de destruction sociale massive.
Plus de demi-mesures
L'économie mondiale s'effondre actuellement. Le virus n'en est pas la cause, juste un catalyseur. L'économie internationale était déjà en difficulté partout dans le monde, avant que le virus ne commence à faire rage. En Belgique, nous avons aujourd'hui 200 à 300 000 chômeurs économiques. Certaines études prévoient un million de chômeurs dans un avenir proche. Cette situation est intenable. Certains des chômeurs économiques seront licenciés au bout d'un certain temps. Ceux qui restent dans les entreprises se verront imposer un régime social draconien. Comme en 2008, les patrons vont vouloir nous faire payer leur crise. Les gouvernements accumulent maintenant partout des dettes énormes pour amortir les effets de la crise. Au lieu d'un impôt d'urgence sur les millionnaires et les milliardaires, ils optent pour un déficit budgétaire et une dette publique accrus. Tout comme en 2008, nous en paierons le prix.
C'est pourquoi, à partir d'aujourd'hui, nous devons établir notre propre feuille de route et préparer nos propres « bazookas ». Le temps des demi-mesures est révolu. La révolution socialiste est la seule alternative. Beaucoup de gens n'y croient pas encore. Mais les événements des semaines précédentes et surtout ceux des mois à venir vont changer cela. Nous en sommes convaincus. De plus en plus de gens commencent à réaliser que le capitalisme est l'autre maladie que nous devons combattre.