Ce lundi 9 décembre, le CHR (l’hôpital régional de Verviers dans la Province de Liège) était en grève. Nous avons échangé avec une infirmière qui a participé au mouvement ; forte de plusieurs années d’expérience, elle nous explique sa situation en tant que travailleuse gréviste. Dans cette interview, nous l’appellerons Rosa.
Révolution : Pouvez-vous vous présenter et nous expliquer votre travail au CHR ?
Rosa : Je suis infirmière, je travaille en oncologie et j’ai déjà travaillé dans un autre hôpital auparavant. Je suis arrivée ici il y a quelques années.
Révolution : Pourquoi avez-vous fait grève lundi ?
Rosa : Au départ, il y a un problème concernant une prime de fin d’année. Les syndicats ont signé des accords au sujet des primes, stipulant qu’elles ne peuvent être versées aux employés que si l’hôpital a réalisé une certaine marge bénéficiaire. On touche normalement cette prime au mois de juin ; or, cette année, l’hôpital n’a pas fait de bénéfices. La direction ne voulait donc pas nous payer de prime. Pourtant, les syndicats ont remarqué que l’hôpital avait retouché au mois de juillet pour l’année fiscale précédente. L’obtention de la prime n’était donc qu’une question de quelques jours, après lesquels l’hôpital aurait eu les chiffres nécessaires. La direction nous a donc finalement payé 80 % de notre prime en juin ; les 20 % restant ont été l’objet de négociations avec les syndicats et sont, pour l’instant, bloqués. Pour l’année prochaine, ils ne veulent pas non plus nous donner notre prime de fin d’année. C’est pour cette raison que l’on s’est mis en grève. A la place, ils veulent compenser avec une augmentation des chèques repas, un chèque cadeau pour les personnes nommées et mettre une prime fixe de 400 euros. Mais tout ceci atteint seulement la moitié de la prime qu’on est censé avoir actuellement.
Révolution : Quelles sont vos revendications ?
Rosa : Avoir notre prime de fin d’année. Mais ce n’est que la goutte qui a fait déborder le vase : on est surtout cruellement en manque de personnel. Moi, étant infirmière, je réclame plus de personnel infirmier sauf qu’ils n’en ont pas. Ils voulaient augmenter le personnel brancardier, les assistants logistiques, et sûrement le personnel de maintenance, en tous cas plusieurs postes, mais pas le personnel infirmier. La direction nous demande toujours plus avec moins. Jouer sur la prime de fin d’année en la retirant, vu la tension qui règne à l’hôpital, c’était comme agiter une carotte pour faire avancer l’âne. Mais nous voulons avoir plus de reconnaissance.
Révolution : Comment a réagi l’établissement suite à la grève de lundi ?
Rosa : Il y a eu une réunion syndicale hier (10 décembre) avec la direction, et nous allons avoir une réunion prochainement pour connaître la décision de la direction. Le directeur général de l’hôpital est d’accord de nous donner les 20 % cette année, c’est le conseil d’administration qui est au-dessus qui refuse.
Révolution : Suite à la réunion syndicale du 10 décembre, avez-vous eu des nouvelles concernant les décisions ?
Rosa : Non, nous n’avons pas encore de nouvelles, ce ne sont que des bruits de couloir. Je sais qu’à l’hôpital, il n’y a plus de syndicats bleus parce qu’ils ont démissionné ; il ne reste que les verts et les rouges. Je pense que l’assemblée des verts est vendredi et celle des rouges, demain (12 décembre). Donc je pense que les syndicats envoient leurs affiliés pour discuter de ce que la direction leur a dit et pour aller en réunion lundi.
Révolution : De quels syndicats avez-vous le soutien ?
Rosa : Les bleus ont démissionné, donc on se retrouve juste avec la CSC, mais seule la FGTB soutient la grève. La CSC n’était pas d’accord avec la grève, elle voulait bien accepter les avantages proposés par l’hôpital, c’est à dire une prime fixe à 400 euros, les chèques repas à 8 euros et les chèques cadeaux d’une quarantaine d’euros pour les personnes nommées. Les verts auraient voulu signer ça ; j’ignore ce qu’il s’est dit aux réunions qui ont eu lieu depuis lors.
Révolution : Pouvez-vous décrire les conditions de travail à l’hôpital ?
Rosa : En oncologie c’est une catastrophe : nous sommes un service où nous devrions être uniquement des spécialistes, or ce n’est pas le cas. Comme on est en sous-effectif, la direction a fini par engager des aides-soignantes pour essayer de compenser ce manque de personnel, mais cela signifie que nous n’avons pas l’expertise nécessaire. Apparemment, il n’y a pas assez de spécialistes sur le marché, et les infirmières spécialisées manquent aussi. On se trouve donc dans une impasse. En oncologie, je pense qu’on est une ou deux spécialisées, si on est trois c’est une chance. Outre la qualité du travail, essentielle, on nous sollicite et on nous rappelle tout le temps, on nous demande des changements d’horaires incessants. Nous n’arrivons pas à décrocher du boulot et, ça, je peux en parler au nom de tous mes collègues.
Révolution : D’après vous, quelle est la cause de cette détérioration des conditions de travail ?
Rosa : On nous en demande toujours plus avec toujours moins de moyens. Les patients ne peuvent même plus être appelés « patients » mais « clients ».
Révolution : Avez-vous encore quelque chose à ajouter ?
Rosa : Nous espérons vraiment avoir de nouvelles infirmières sur le terrain pour pouvoir améliorer la qualité de soin. Nous pourrions prodiguer d’excellents soins en oncologie, mais malheureusement, avec ces problèmes de personnel en moins, c’est plus difficile. Alors nous compensons toujours plus, jusqu’à ce que nous soyons tous en burn-out et que la qualité de soin se détériore.
Nous encourageons les travailleurs à s’unir et à continuer à se mobiliser, à interpeller eux-mêmes les syndicats, et à trouver des solutions avec eux. Un mouvement aura toujours plus de poids s’il est soutenu par le front commun syndical ; il faudrait que le personnel arrive à se mettre d’accord avec les 3 syndicats pour obtenir ses revendications.
Cette situation nous révèle aussi à quel point un hôpital public financé par les cotisations sociales est aujourd’hui soumis aux impératifs des bénéfices financiers.