Un des principaux constats de ce scrutin est le maintien des partis qui forment le gouvernement Di Rupo I. Certes ils ont perdu des voix et parfois même des sièges dans les parlements, mais leur poids politique est inchangé.Ce gouvernement n’a pas été puni dans les urnes. Mathématiquement la coalition sortante pourrait même être reconduite. Mais téméraire serait l’homme ou la femme politique du gouvernement sortant qui y verrait un chèque en blanc de la part de la population pour continuer sa politique d’austérité.
On reviendra là-dessus plus tard. Les grands perdants sont le Vlaams Belang en Flandre et Ecolo à Bruxelles et en Wallonie. Le parti de l’extrême droite flamande se rétrécit comme une peau de chagrin et continue son déclin amorcé il y a quelques années. Les voix du Vlaams Belang et aussi celles du plus petit LDD ont ‘migré’ massivement vers le parti de Bart De Wever. Ecolo paye le prix de sa participation gouvernementale, sa marque invisible sur la politique menée et l’affaire des panneaux voltaïques. Le parti perd jusqu’à deux tiers de ces sièges.
La percée électorale du PTB-GO/PVDA avec huit sièges, dont deux au parlement fédéral est tout simplement historique. Cela fait depuis 1985 qu’il n’y a plus eu d’élu à gauche du PS et du sp.a dans les parlements. Ce résultat révèle clairement une tendance politique vers la gauche dans de nombreux quartiers populaires et au sein du mouvement ouvrier. Cette radicalisation significative bien qu’encore modeste vers la gauche n’est pas une surprise. Les élections communales de 2012 l’avaient déjà révélée tout comme les sondages depuis plusieurs mois. En Wallonie le PTB-GO est devenu le cinquième parti, à Charleroi le 3ième et dans la périphérie rouge de Liège même le deuxième parti. A Bruxelles le PTB-GO entre avec quatre élus au parlement régional. Dans un contexte politique plus difficile marqué par une domination de droite le PVDA n’a pas réussi à gagner un siège à Anvers. A deux mille voix près. Mais il serait erroné d’en conclure que cette même tendance vers la gauche n’existerait pas en Flandre. A Anvers, première ville du Nord, le PVDA devance le Open VLD et le CD&V et fait près de 9% des voix. En tout, le PTB-GO/PVDA fait un quart de million de voix.
Le parti le plus fort et le N-VA avec plus d’un tiers des voix en Flandre et un cinquième des voix en Belgique. Mais la plus grande famille politique au parlement reste celle des socialistes (sp.a et le PS). Le N-VA obtient nationalement 20,26% des voix, les partis socialistes ensemble font le plein de 20,50% des voix. Mais ils étaient plus fort en 2010 avec 22,94% des voix.
Depuis 1985 aucun parti n’a réussi à rassembler autant de voix en Flandre. Le dernier parti était le CVP, l’ancêtre du CD&V. Dans la circonscription d’Anvers la N-VA frôle même les 40% et dans certaines communes de la périphérie de la métropole elle frise et dépasse parfois les 50%. Bart de Wever est même le champion des voix de préférences avec 314.650 de voix.
Comment cela se fait ? En essence, la N-VA a vidé le Vlaams Belang . Le parti d’extrême droite qu’est le Vlaams Belang a perdu trois quarts de ces voix. Il était déjà évident lors du scrutin communal de 2012 que le N-VA et le Vlaams Belang sont comme des vases communicants. En conclure que la Flandre a voté encore plus à droite qu’avant ne correspond pas à la réalité.
Il est intéressant de savoir que le N-VA et le Vlaams Belang ensemble comptent aujourd’hui moins de sièges qu’il y a quatre ans.
En 2010 le N-VA faisait 27 sièges et le Vlaams Belang 12 sièges. Cette année le N-VA obtient 33 élus et le Vlaams Belang plus que 3 élus. Au total, 39 sièges en 2010 et 36 en 2014. La victoire de De Wever est essentiellement le résultat d’une recomposition de la droite en Flandre. La ‘famille de gauche’ (sp.a, Groen, PVDA) est même en progression (1). Prenons par exemple les résultats du parlement flamand. Le sp.a perd 40.000 voix par rapport à 2009, mais le PTB en gagne 63.000 et Groen encore 88.000. Les partis progressent globalement de 23,08% à 25,22%. Les résultats des élections européennes sont encore plus éloquents. La Flandre de ‘gauche’ progresse de 22,11% vers 26,20%. Il est aussi évident que la N-VA n’a pas réussi à voler des voix au CD&V ou des autres partis.
Quelle est alors la différence avec avant ?Presque toutes les voix de la droite nationaliste et raciste sont concentrées dans un seul parti, le plus grand de Flandre et le plus grand parti de la Belgique. Les voix et l’efficacité politique du Vlaams Belang étaient pendant des années ‘neutralisées’ à cause du cordon sanitaire. Personne ou presque n’était prêt à se coaliser avec ce parti. Aujourd’hui, par contre, ces voix sont ‘activées’ politiquement par un parti ‘respectable’ et ‘fréquentable’. En plus, la N-VA bénéficie du soutien manifeste du patronat flamand (VOKA et UNIZO) et lui livre aussi des cadres importants. C’est une différence qualitative importante. La N-VA est donc ce pied-de-biche que le patronat flamand (et aussi Wallon, mais plus discrètement) envisage d’utiliser pour casser les verrous qui freinent le recul social.
La N-VA est à la barre pour la formation du gouvernement flamand et fédéral. Ou peut-être pas… La Libre Belgique l’a bien remarqué : ‘La N-VA a la clé, mais n’a pas la serrure’. La serrure c’est le CD&V qui l’a. Avec 20% des voix le CD&V est devenu un vrai pivot des négociations pour la formation d’un gouvernement. Voilà un des paradoxes de ces élections. La N-VA doit passer par le CD&V pour envisager les différentes formules de gouvernement. Une des variantes est un gouvernement sans la N-VA. Mathématiquement une réédition du gouvernement tripartite sortant est possible. Mais est-ce qu’un gouvernement Di Rupo est possible ?La pression du patronat flamand pour une politique socio-économique plus à droite avec la N-VA est forte. Il se peut aussi que certains partis du gouvernement sortant (en particulier la CD&V et Open VLD) aimeraient bien mouiller le parti de Bart De Wever dans une politique d’austérité.
Quel que soit le gouvernement les ‘marchés’ (c’est-à-dire les capitalistes) attendront de lui qu’il continue et approfondisse l’austérité et les attaques contre la sécu et les conditions de travail.
Groen capte des voix de gauche
Si Groen réalise, un bon score en Flandre s’est essentiellement dû à son image clairement progressiste. En soi, c’est une chose positive. Le problème est que Groen ne pense ni n’agit en dehors de la logique de l’austérité. L’alternative de Groen consiste surtout à déplacer l’austérité ou a un ralentissement du rythme des assainissements sur le dos de la population. Car ce qui s’est passé avec Ecolo après les élections suite à sa participation gouvernementale peut arriver aussi à Groen. Car Groen est impatient de prendre une place dans le prochain gouvernement et dit ne pas avoir de tabous. Un gouvernement avec la N-VA n’est pas un problème insurmontable pour Groen.
Le PS reste le plus grand parti, mais subit des pertes sur sa gauche.
Bien que le PS subi une perte nette de voix (au moins 2%) et perde trois sièges à la Chambre il reste le plus grand parti à Bruxelles et en Wallonie. Il obtient 31% au Parlement wallon, une perte de 1,8% par rapport à 2009,mais gagne 1 siège. Le MR ne réussit pas à détrôner les socialistes francophones . Dans la périphérie rouge de Liège le PS recule fortement et c’est le PTB qui y arrache la mise. Pour la Chambre le PS note un recul de 13% à Herstal, de 10,21% à Seraing, de 11,80% à Saint-Nicolas et de 11,13% à Grâce Hollogne. Les pertes sont aussi grandes pour le parlement wallon. Malgré ce recul le PS reste le premier parti avec un tiers de voix. A Charleroi le PS essuie des pertes semblables sur son flanc gauche.
La mission du nouveau président Paul Magnette consistait justement de protéger son flanc gauche contre la montée du PTB-GO et des critiques de la FGTB. Plusieurs parties significatives de la FGTB wallonne avaient d’ailleurs appelé à ne plus voter pour le PS, mais pour PTB-GO. La carte maîtresse du PS était l’appel au ‘vote utile’ contre le risque d’un ‘gouvernement des droites’, un discours basé sur la polarisation entre la droite et la gauche et certaines revendications volées du programme du PTB dans une version édulcorée. Au sein de la FGTB la lutte à fait rage autour de l’appel de vote. A plusieurs endroits le PS a pu compter sur des appels sans équivoque à voter pour le PS. Le soutien pour le PS ne se limite pas seulement aux appareils ou aux sommets syndicaux. Le PS dispose encore de réserves sociales importantes (parmi les couches les politiquement les plus inertes et passives, des militants peu critiques). Ce n’est pas une fatalité. Mais ignorer cela peut nous conduire à des erreurs sectaires. Il est important pour le PTB-GO et de ses points d’appui syndicaux de ne pas leur tourner le dos et d’engager un dialogue politique avec ces groupes de travailleurs. La tactique du front unique (proposition d’action commune du PTB et du PS autour de revendications concrètes qui vivent dans les quartiers et les entreprises) peut aider à démasquer la direction réformiste du PS ou peu provoquer des divisions internes entre une aile gauche et une aile droite. La direction du PS a abusés des sentiments sincères de rejet du N-VA et de la droite par sa base en faveur d’une politique du ‘moindre mal’. Mais le PS se trompe s’il s’imagine que les travailleurs qui lui ont encore accordé le soutien lui ont signé un chèque en blanc.
Le sp.a soulagé
Tout comme les dirigeants du PS, ceux du sp.a ont poussé un grand soupir de soulagement le soir du 25 mai. ‘Nous avons tenu le coup’, affirme Bruno Tobback. Il fut un temps ou le sp.a avait plus d’ambition. Bien qu’ayant obtenu moins de vois le sp.a garde le même nombre de sièges. La tendance à la baisse engagée depuis 10 ans n’est pas enrayée à l’exception d’un progrès en Flandre Occidental. Plus encore qu’en Belgique francophone la pression du ‘vote utile’ contre la N-VA a pesé en Flandre. Le soutien affirmé des dirigeants de la FGTB Flamande aussi. Pourtant, la position officielle de l’ABVV était un appel à voter ‘à gauche’ c’est-à-dire pour le sp.a, pour Groen ou pour le PVDA. Tout comme en Wallonie et à Bruxelles les dirigeants du sp.a ne doivent pas penser que ce résultat signifie une confiance sans critique de sa base pour la politique menée. Ils ne sont pas peu nombreux les militants qui à Anvers ont voté aussi bien pour le sp.a que pour Peter Mertens. Le sp.a annonce une ‘évaluation interne’. Quoi de plus normal. La première question est de savoir si le sp.a ne ferait pas mieux de s’engager dans une opposition combative. Le bourgmestre socialiste de Gand Daniel Termont à déjà dit que pour lui il n’est pas question que la sp.a entre dans une coalition avec le N-VA. Les différences programmatiques sont trop grandes. Hans Bonte de Vilvorde ne dit pas avoir peur d’une cure d’opposition. Le reste des dirigeants du sp.a choisit la participation gouvernementale sans exclusives. En ce qui nous concerne nous pensons que le sp.a ferait mieux de choisir l’opposition en d’engager le combat avec le mouvement syndical et le PVDA contre la politique d’austérité qui s’annonce. Mais cela nécessite un changement complet dans la façon de penser et du programme du sp.a.
Percée du PTB-GO/PVDA
Pour la première fois depuis 1985 le PTB-GO/PVDA réussit une percée électorale lors des élections régionales et fédérales. Le parti s’est hissé au-dessus du seuil électoral à Liège et Charleroi. Le PTB-GO envoie donc 2 élus au parlement fédéral, 2 au parlement wallon et encore 4 au parlement régional bruxellois. Ces élus sont portés par un vent de mécontentement et d’un virage à gauche parmi une partie de l’électorat. A 14 voix près le PTB-GO aurait encore pu gagner un siège wallon en plus à Charleroi. A Anvers par contre le siège est resté hors de portée. La déception est justifiée. Le PTB n’y a pas encore la force électorale que dans les deux grandes villes wallonnes. Mais ce serait erroné d’en conclure que ce même courant sous-terrain n’existe pas à Anvers ou en Flandre. Tous ceux qui ont participé à la campagne à Anvers le confirment : le message du PVDA passait très bien. Des milliers de discussions sur les marchés, dans les entreprises, porte à porte dans les quartiers populaires ont révélé la recherche d’une expression de gauche au mécontentement existant. Les votes du PVDA ont-ils alors été gaspillés ? S’agit-il en fin de compte de voix perdues pour la gauche à Anvers et en Flandre. Certains pensent aussi que ces voix auraient mieux fait de se reporter tout de suite sur le sp.a et Groen.
D’un point de vue strictement électoral, c’est-à-dire la possibilité d’obtenir des élus, ce raisonnement se tient. Il est vrai que ces voix ne connaissent pas d’expression institutionnelle. Mais d’un point de vue politique plus large, donc en terme de conscientisation et de construction de parti ce résultat est loin d’être négligeable. Ce résultat est un formidable levier pour les prochaines campagnes et surtout pour les luttes sociales. Ce n’est un secret pour personne que le PVDA regagne des électeurs qui votent pour la droite, la N-VA en particulier. Il est donc loin d’être certain que le sp.a et GROEN auraient obtenu ces voix-là.
Le risque d’électoralisme menace toujours ce genre de campagne. Sous électoralisme nous entendons la recherche superficielle de voix ou la mesure du succès de la campagne à la seule possibilité d’un ou une élue. Pour des marxistes l’enjeu des élections est plus vaste. C’est le moment ou une partie de la population se pose plus de questions politiques qu’à d’autres moments. Une opportunité pour entrer en dialogue avec une masse de personnes et d’expliquer son programme politique. Le message ne peut pas se limiter à ‘voter pour nous’ , bien que cela soit très important. Il s’agit surtout d’expliquer que voter n’est pas suffisant pour changer le monde et qu’un engagement personnel est nécessaire. Car sans organisation et sans action de masse un ou une élue du PVDA/PTB ne peut pas faire beaucoup dans ce parlement. La lutte extra-parlementaire sous-tend la lutte parlementaire.
Les élus du PTB/PVDA disposent dans le mouvement, sur le terrain, d’un plus grand levier que les autres partis. Cela sera vite visible. À côté de Charleroi et de Liège, les résultats sont très bons aussi à Anvers Ville avec 9% des voix et à Genk (8,8%). A Bruxelles, le PTB-GO obtient ses premiers élus grâce une campagne de terrain, mais aussi grâce aux accords techniques avec d’autres petits partis. Sans ses accords le résultat du PTB-GO (3,8%) aurait été insuffisant pour une présence au parlement bruxellois. Une chance unique se présente pour construire PTB-GO dans les quartiers et dans les syndicats.
Ce qui renforcerait le PTB aussi est de clairement se délimiter du stalinisme. Peter Mertens a eu l’occasion pendant la campagne de prendre ses distances avec la passé stalinien du parti. ‘C’est une faute idéologique’ a affirmé le président du parti sur le plateau de la télévision flamande, la VRT. Mais une explication en profondeur pourquoi le stalinisme était une faute, comment il est né et à quoi ressemble un projet de changement socialiste de la société fait encore défaut.
Une élection n’est qu’un instantané de la situation politique d’un pays. Une des caractéristiques de la situation politique en Europe est la volatilité des opinions politiques de la population. Les avis changent vite et brusquement. La crise capitaliste, la surexploitation de l’homme et de la nature qui l’accompagne, la perte de légitimité des institutions d’état et des partis établis, sont la base matérielle de ces mouvements brusques dans l’humeur politique. Les rapports de force politiques issus de ces élections vont subir des modifications. La date des prochaines élections n’est pas l’unique échéance de la lutte politique. Des changements politiques importants vont se dérouler aussi en dehors des élections. Les soubresauts révolutionnaires dans le monde en attestent.
Tous les partis seront mis à l’épreuve les prochains mois. Des illusions s’en iront en fumée. En premier lieu, le jour ou la N-VA mettra son programme socio-économique en pratique. Cela aboutira à des luttes sociales. A Anvers le personnel de la Ville est déjà parti en grève contre la politique de son bourgmestre Bart De Wever, les protestations contre le nouveau ‘ring’ ont repris de plus belle et spontanément des milliers de cyclistes ont agi contre l’interdiction de rouler en vélo sur la Turnhoutsebaan. Les tentatives du patronat flamand d’anticiper la victoire de la N-VA en supprimant des conventions collectives dans certaines entreprises n’ont pas été très heureuses. Chez Lanxess Rubber, une entreprise de la pétrochimie anversoise, les travailleurs se sont croisé les bras durant 6 semaines contre la suppression de leurs conventions collectives. En fin de compte, la direction a dû reculer. Il est vrai que dans plein d’autres entreprises c’est le fatalisme qui règne. Mais une attitude décidée des syndicats peut changer cela. Les partis socialistes qui se sont profilés comme les seuls et uniques barrages à la droite sont aussi sous pression. Leur crédit dans les syndicats a baissé. Ou bien ces partis choisissent une politique vraiment de gauche ou ils risquent de connaître le sort du PS français et du PASOK grec.
Dans la partie francophone du pays, l’extrême droite est encore faible. Le Parti Populaire obtient 2 sièges (au parlement fédéral et au parlement wallon). Mais sans véritable alternative de gauche, le PP ou d’autres partis d’extrême droite peuvent espérer une percée.
Le PTB-GO/PVDA est bien placé pour être le mégaphone de la lutte des classes dans les parlements les prochaines années. Le défi sera aussi de lier la lutte pour les revendications immédiates à une perspective plus large de transformation socialiste de société. Car à l’intérieur du capitalisme les travailleurs n’ont pas d’avenir.
1) http://blogs.politique.eu.org/Paradoxes-electoraux?var_mode=calcul