Le lendemain de l'interception de la Flotille Sumud, une école secondaire de Bruxelles, le LIRL, part en grève. Cette grève a surpris les professeurs, la direction, les médias, et probablement aussi les élèves eux-mêmes. Si vous aviez annoncé aux élèves la veille qu’ils feraient grève le lendemain, ils auraient bien ri… Et pourtant, elle a bien eu lieu. Mieux encore, elle a continué le lendemain, vendredi, et s'est étendue à d'autres établissements depuis. La Génération Z est-elle en marche ? Qui sont ces jeunes qui ont réussi à motiver leur école? Que veulent-ils? Pour répondre à ces questions, nous avons rencontré deux lycéens du LIRL. Voici un entretien à deux voix. À leur demande, ils veulent rester anonymes. Pour souligner le caractère collectif du mouvement. On les appellera donc X et Y.
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X: J'ai 17 ans, je suis étudiant en rhéto au LIRL et je fais partie d'un collectif appelé le CJI (Collectif de la jeunesse indépendante @cji.bxl). Je suis très intéressé par la politique et j'aime militer.
Y: Je suis également élève au LIRL, j'ai 16 ans, je suis en cinquième et je fais aussi partie du CJI.
X et Y démarrent l’entretien sur les chapeaux de roues….
Y: Je me rappelle que la veille, j'étais allé manifester avec mon frère devant le ministère des Affaires étrangères. Nous étions très surpris de voir qu'il n'y avait pas beaucoup de monde, alors qu'en Italie et dans les autres pays, des milliers de personnes manifestaient dans les rues pour la cause palestinienne. J'étais donc un peu « saoulé ».
Le lendemain, je me suis réveillé et je n'avais pas envie d'aller à l'école. J'avais envie qu'il se passe quelque chose, j'avais envie qu'on en parle. Je suis donc arrivé à l'école avec un camarade de classe. Je suis ensuite sorti et je me suis dirigé vers les autres. Je leur ai dit : « Les gars, je n'ai pas envie d'aller en cours. Il faut qu'on en parle. » Ce n'est pas possible. »
X : « Moi, c'est un peu la même chose : je l'ai vu partir pour cette manifestation, mais je n'ai pas pu y aller. » J'ai tout de même eu des échos et j'ai appris qu'il y avait eu de la répression. Ça m'a beaucoup marqué. Le matin, en allant à l'école, je me suis dit : « Non, mais ce n'est pas possible, la Flottille a été interceptée. » C'était le dernier espoir auquel on pouvait se raccrocher. En arrivant à l'école, j'ai décidé de prendre un carton pour faire une affiche annonçant la manifestation. Je me suis donc dit : « Bon, je prends un carton. » J'ai pris un énorme carton et je me suis mis au travail. Je me suis dit : « Peut-être qu'on peut faire quelque chose avec ce carton, faire une affiche, faire quelque chose au moins pour prévenir les gens qu'il y aura une manifestation. » Mais quand je suis arrivé à l'école, je me suis retrouvé avec un camarade et on s'est dit : « Non, mais en fait, on n'a pas envie d'aller à l'école. » Il y a des Belges sur les bateaux, il y a beaucoup de monde, on soutient à fond ce mouvement, on ne veut pas ne pas en parler, juste aller à l'école comme si de rien n'était.
On s'est donc dit : « OK, on lance le truc. » Tout s'est donc fait de manière assez improvisée. Cela s'est fait spontanément, et c'est aussi notre force.
Y : « On a dit : “Bah alors, on bloque tout”. » Nous sommes entrés dans la cour, nous avons posé la pancarte par terre et nous avons dit : « Là, nous allons faire des affiches. » J'ai commencé à rassembler les gens dans la cour. Nous sommes montés dans chaque classe avec ma camarade et nous avons fait un petit discours du genre : « Nous ne sommes pas d'accord avec ça. La Flottille a été arrêtée ce matin. Ses bateaux devaient apporter de l'aide humanitaire à Gaza, mais ils ont été arrêtés illégalement dans les eaux internationales. Nous ne sommes pas d'accord. Rejoignez-nous. » Nous avions déjà des amis en bas, dans la cour. Cela a créé une sorte d'euphorie générale et tout le monde a décidé de sortir de l'école. Nous sommes tous descendus et avons décidé de créer des affiches collectives. Nous avons donc créé ces affiches collectives. Nous avons sorti des pinceaux et de la peinture, puis nous sommes allés chercher du matériel dans le local d'art. Des professeurs nous ont aidés à récupérer des cartons dans la rue, car c'était le jour de la collecte des ordures. Comme nous ne pouvions pas sortir, quelques professeurs sont sortis pour nous aider et ont ramené des cartons. Nous avons utilisé le matériel dont nous disposions sur place. Nous avons ainsi créé ce moment très unificateur. Nous avons tous créé des affiches, nous avons discuté entre nous, entre copains, puis nous avons décidé de faire une assemblée générale avec tous les élèves descendus dans la cour.
X: Il faut également remercier la direction, car elle nous a donné l'opportunité de nous exprimer. Elle nous a fourni un microphone et une enceinte, ce qui nous a permis d'appeler tous les élèves de l'école, soit 600 élèves de la première à la sixième, dans la cour. Nous avons discuté de nos raisons d'être là et de nos objectifs. Nous avons fait quelques discours, puis nous nous sommes répartis en petits groupes. Oui, en gros, on a voulu faire un temps de proposition pour réfléchir ensemble à ce qu'on pourrait faire. On a trouvé qu'il fallait créer des sous-groupes. Grâce à ces différentes propositions, on a séparé en sous-groupes : un pour réfléchir à long terme à ce qu'on veut organiser dans l'école, un autre pour réfléchir à ce qu'on veut faire maintenant, un autre pour réfléchir à ce qu'on veut faire demain, et un dernier pour la communication. On a aussi créé un sous-groupe pour réfléchir à la façon de communiquer sur ce qui se passe. On a eu des contacts avec plein de journaux qui nous ont couverts. Pendant l'assemblée générale, BX1 est même arrivé avec des caméras et a interviewé des camarades, ce qui nous a permis d'exposer notre action aux journaux et à la télévision. Après ce moment de sous-groupe, on a fait une pause, si je me souviens bien. On a gardé le GR, car on a quand même une structure dans l'école où l'on a un moment de GR. C'est un travail en autonomie. On s'est dit que tout le monde avait besoin d'une grosse pause. Du coup, on a laissé tout le monde repartir dans ses classes. Tout le monde est donc reparti dans ses classes. Et l'après-midi, on s'est retrouvés pour une autre AG et on est répartis en sous-groupes pour continuer à travailler. C'est comme ça qu'on a fini la journée.
Y: Oui, il y a le sous-groupe Communication qui a écrit les communiqués pour les différents journaux. J'ai aussi vu quelque chose qui m'a fait très plaisir : il n'y avait pas d'organisation, et les gens étaient très réactifs. On a dit : « OK, on se divise en sous-groupes », et en cinq minutes, on était tous répartis en différents sous-groupes. Il y a eu une adhésion extraordinaire, même les professeurs et la direction étaient surpris, parce que tout le monde nous soutenait et soutenait la cause. Je pense que c'est aussi parce que, dans notre école, nous sommes très habitués à travailler en groupe, à réfléchir collectivement. C'est une éducation que nous avons reçue de l'école, mais aussi de notre collectif, le CJI , où nous nous sommes entraînés à organiser des choses comme ça lors de toutes nos réunions. C'est grâce à cette éducation que nous avons réussi à créer ce mouvement.
Révolution: Vous parlez de la “ cause” ? Qu'est-ce que la cause, en fait ? Qu'est-ce que ça signifie pour vous, la question palestinienne.
Y: En tant qu'individu, je crois que soutenir la cause palestinienne est un acte de résistance. C'est un acte de résistance et de lutte.
X reprend la parole : Je pense que c'est aussi une résistance à la montée du fascisme, et donc à la volonté d'expansion territoriale de l'État d'Israël. Et en fait, toute la question du conflit est hyper complexe. Il y a aussi l'envie de réfléchir à ce conflit, de le comprendre, de comprendre cette volonté de s'étendre, cette volonté coloniale en fait, de reprendre des terres à des gens qui y vivent. Ce conflit en Palestine est le reflet d'un fonctionnement global : toute une société soutient des crimes, l'Europe, les États-Unis, l'Occident et le monde entier soutiennent des crimes pour des raisons économiques.
Y : Pour des raisons économiques et pour des raisons qui n'ont plus rien d'humain. La cause, en somme, c'est de soutenir l'humanité, de soutenir une envie de... De vivre ensemble. Vivre ensemble, dans la paix et le respect mutuel.
C'est vraiment ça aussi : respecter l'individu pour ce qu'il est, et ne pas... C'est antiraciste, en somme, ne pas le considérer en fonction de sa religion, de sa culture ou de son ethnie. À son ethnie. La question palestinienne est donc le reflet de tout ce qu'il y a de pire dans la société.
Mais la cause palestinienne n'est qu'un prétexte pour parler de tous les peuples opprimés. C'est le message qu'on veut faire passer. Nous luttons en solidarité et en résistance avec tous les peuples opprimés.
Nous luttons pour un avenir meilleur, pour changer le gouvernement et mobiliser les élèves. Nous voulons mobiliser la jeunesse. C'est là notre but.
Parce qu'en gros, on ne veut plus de gouvernements qui soutiennent l’oppression. C'est inacceptable. C'est inacceptable. C'est inacceptable.
La cause palestinienne est donc une manière de dire : « On ne veut plus de ces gouvernements, on veut les écarter. » On ne veut plus qu'ils nous dirigent. Et qu'est-ce qui va se passer les prochains jours ? Des grèves ? Le lendemain, une autre étoile a suivi à Uccle.
Et ils nous ont rejoints, d'ailleurs. Ils nous ont rejoints, c'est vrai, vous avez vu les images, ils nous ont rejoints.
Révolution : Et maintenant, qu'est-ce qui va se passer ? Est-ce que c’était un ‘one-shot’ sans lendemain ?
X : Alors, en gros, demain, on s'est accordé avec la direction. Jeudi 9 octobre, on a contacté des historiens extérieurs qui vont expliquer en détail le conflit israélo-palestinien à l'école. Vers 11 h 30, on aura de grosses assemblées : les 1^(re), 2^(de), 3^(e) et 4^(e) seront ensemble dans la salle du bas, et il y aura des intervenants qui expliqueront le conflit. On s'est en effet rendu compte qu'il y avait des individus qui ne le connaissaient pas, et qui ne connaissaient pas les causes. On ne veut pas bloquer tout ça pour faire du bruit, mais l'objectif, comme on l'a dit, c'est de politiser les gens, et de leur faire comprendre que c'est important de lutter pour ça. Après, les 5^(e) seront dans la bibliothèque avec une autre personne. intervenante qui va venir nous expliquer le conflit. Les deux historiens vont venir à l’école.
On pense que c'est vraiment hyper important et que c'est vraiment la base de la lutte de s'éduquer à ce pourquoi on lutte donc on a prévu ça pour demain.
Y : Bien sûr la lutte elle va continuer à fond on s'est vu avec d'autres écoles là juste cet après-midi on vient de se retrouver avec plein d'autres écoles, plein de représentants de d'autres écoles/ La semaine prochaine on organise les gros mouvements tous ensemble donc on attend d'abord que chaque école fasse un peu unité chacun un peu de leur côté on se soutient mutuellement, on s'apporte matériel, tout ce qu'on peut et on fait des réunions ensemble et la semaine prochaine on continue et ça va continuer après les vacances, ça va continuer aussi on va continuer jusqu'à ce qu'en gros on ait ce qu'on veut et qu'on ait réussi à créer un grand mouvement de jeunesse.
Révolution : Combien d'écoles sur la région bruxelloise participent ?
Y: On ne peut pas donner les noms des écoles. On en a compté neuf à la réunion je crois mais qui vont être réellement actives je pense qu'il va y en avoir 5 ou 6 pour le moment mais ça va être un procès lent mais en même temps vite ça dépend de comment les écoles vont réagir aux mobilisations mais donc, pour le moment, actif il y en a cinq inclus, il y en a neuf et l'objectif c'est d'éparpiller ça en toute la Wallonie, en toute la Flandre. Et en gros le but je pense que c'est pour l'instant d'envoyer un message fort avant les vacances et d'après les vacances revenir et continuer le mouvement jusqu'au bout et donc là on va essayer d'être très fort avant et puis dès les vacances on revient en force aussi.
Révolution : L'année passée vous étiez déjà actif dans les grèves contre l'Arizona Quel est le lien pour vous entre les deux ? Est-ce que c'est deux luttes séparées ?
X : Non c'est complètement la même lutte, on est là pour ça Le CJI. Il s'est créé pour être un collectif qui rassemble toutes les écoles secondaires, car c'est de la jeunesse dont on parle quand on parle des écoles secondaires. Après un an, notre rêve s'est en partie réalisé, car nous avons créé un groupe dans lequel nous nous sommes éduqués de manière autodidacte pour gérer le collectif. Nous sommes maintenant en mesure de créer un mouvement qui rassemble plus d'écoles. Dans le CJ, au moins quatre écoles sont déjà impliquées, mais nous parvenons à rassembler beaucoup plus que cela. Ce mouvement, c'est le CJ. Cet après-midi, nous en avons discuté et nous avons décidé qu'il s'appellerait le mouvement de la jeunesse indépendante. Nous savons qu'ils vont essayer de nous réprimer et de nous faire peur avec leur violence, mais nous allons répondre avec la solidarité des écoles. Nous sommes là, nous ne lâcherons rien, même s'ils essaient de nous faire peur. faire peur, on ne lâchera pas, on continuera à lutter jusqu'à ce que les choses changent.
Révolution: J'ai vu ce qu'il s'est passé en Italie la semaine dernière : la grève générale, les blocages, c'est impressionnant, non ? Qu'est-ce que cela vous inspire ?
Y: On n'en est pas encore là, on est en Belgique. On est en train de le créer. On est au début. On crée un mouvement de jeunes. En Italie, c'est pareil, beaucoup de jeunes participent à ces blocages. Les jeunes sont très impliqués en politique en Italie. À Bologne, ils ont bloqué toutes les écoles. C'est vraiment incroyable le travail qu'ils sont en train de faire, nos camarades. On les respecte et on est en solidarité avec eux.
Révolution: Un ou plusieurs mots de la fin…?
X et Y: On appelle toutes les écoles à nous rejoindre. Tu peux mettre ça dans l'interview. Il faut faire un appel à toutes les écoles qui descendent dans les rues maintenant. Aujourd'hui, bloquez vos écoles, mobilisez vos amis, vos camarades. Éduquez-vous, politisez-vous, lisez des livres, parce qu'en fait, s'instruire, c'est la meilleure arme qu'on peut avoir pour faire la révolution, et c'est ce qu'on veut. Si on veut renverser le gouvernement, d'accord ?
Révolution; D’accord!
X et Y : Il y a aussi un truc important à dire, c'est que par rapport au fait qu'on a invité des personnes à parler, à éduquer les élèves sur la question du conflit israélo-palestinien, c'est aussi parce qu'on ne veut pas tomber dans des généralités. On sait qu'il y a des gens qui peuvent attaquer dessus sur le fait qu'on fait des grosses généralités, et c'est réel qu'on a des jeunes avec nous qui ne sont pas encore très informés, et donc c'est hyper important pour lutter contre l'antisémitisme et les généralisations. Donc ça, ça rentre dans ce qu’on veut souligner : étudier, s'instruire, apprendre l'histoire colonisatrice des pays européens. L’Europe n'est pas le centre du monde ! Lisez des livres, allez à l'école, et changez le système scolaire, parce que l'éducation c'est de la politique, l'instruction c'est de la politique, et il faut qu'on parle de ça dans les écoles.