Le 5 décembre dernier nous avons organisé via notre cercle étudiant à l'Umons une projection débat autour du film documentaire : le balai libéré.
Le débat s'est ouvert sur la mini introduction suivante :
« L'autogestion apparaît tout à fait spontanément pour les travailleurs en lutte.
Que ce soit en 1974 avec la coopérative du « Balai libéré » ici en Belgique quand les femmes refusaient la dégradation de leur conditions de travail et ont lancé une coopérative qui a duré 14 ans après avoir licencié leur patron ;
Ou avant ça durant mai 68 en France, où 10 millions de travailleurs ont occupé leurs usines et où même les universités étaient occupées et réquisitionnées par les étudiants pour les besoins de la lutte. Les étudiants occupaient des locaux jour et nuit pour produire les milliers d’affiches emblématiques de cet énorme mouvement social qui a secoué la France et pour organiser la lutte.
Ou bien comme en Argentine en 2001-2002 lors de l’énorme mouvement d’occupation d’entreprises fermées et relancées en autogestion suite à une énième crise économique capitaliste.
Depuis l’an 2000, l’Amérique du Sud a en effet connu de grands mouvements d’occupation autogestionnaire des lieux de travail.
Au Brésil et au Venezuela, le slogan ‘usine fermée, usine occupée’ a inspiré de nombreuses relances d’entreprise sous la gestion des travailleurs, nationalisées ou sous la forme de coopératives.
En Europe, plus récemment en 2015-2016 en Grèce quand, durant la crise, certains patrons grecs sont partis avec les capitaux et ont laissé les travailleurs face aux choix de soit regarder l'outil de travail moisir sur place, soit de le faire tourner pour leur propre compte. Un cas emblématique est celui de l’entreprise de détergents Viome. Cette entreprise reprise par ses travailleurs a réorganisé la production pour produire des détergents davantage respectueux de l’environnement. De plus, les travailleurs autogestionnaires ont mis en place durant cette expérience une véritable démocratie participative en entreprise dans laquelle toute décision importante se prenait en assemblée générale.
Mais malheureusement, de nombreuses expériences d’entreprises autogérées ont échoué. Je vais expliquer pourquoi après.
En effet, pour beaucoup de gens qui promeuvent le modèle coopératif, les coopératives sont vues comme une « troisième voie » entre étatisation et marché libre privé. Entre capitalisme et socialisme. Mais cette « troisième voie » n’existe pas. C’est une des raisons de cet échec, je vais développer cela plus tard.
De plus, la construction d’une coopérative se fait paradoxalement au détriment de la conscience socialiste de la classe ouvrière. Car dans cette tentative de coexistence pacifique avec le capitalisme, la lutte pour la transformation de la société (et l’augmentation de la conscience collective qui va avec), est supplantée par les besoins directs nécessaires au maintien à flots de la coopérative dans le cadre du marché libre et de sa concurrence. Je vais y revenir ce sera plus clair.
En tant que marxistes nous soutenons néanmoins les autogestions de travailleurs car :
On voit ici que 1. Une reprise de production par les travailleurs peut aller très loin et va remettre en cause les lieux communs véhiculés par le patronat et ses suiveurs comme les fameux : « sans nous, plus rien dans la société ne peut plus fonctionner », « les patrons sont les innovateurs de la société », « ils prennent des risques pour oser faire avancer les choses » etc.
Toutes les expériences dans lesquelles les ouvriers prennent contrôle sur leurs usines montrent au contraire qu'ils sont nettement capables de gérer la production dans la société, et même mieux. En effet, ils témoignent d'une conscience très développée des besoins sociaux dans la société. En opposition à la production sous la direction des capitalistes, les ouvriers, une fois en position de contrôle, font preuve d'une créativité remarquable pour reconvertir leur production et la transformer pour des produits socialement nécessaires. Et ce tout en étant beaucoup plus attentifs aux besoins de chaque travailleur.
2. L'occupation d'une usine par les travailleurs s'attaque directement au droit de propriété capitaliste. Pas étonnant donc que l'occupation d'usine soit illégale en France et que les capitalistes prennent chaque occasion pour poursuivre les occupants en justice. Une lutte disciplinée et organisée par un comité d'occupation, soutenue par la totalité des travailleurs est toujours une condition de base pour l’autogestion.
3. La démocratie est la base de l’autogestion. Et en tant que marxistes, contrairement à ce que disent les médisants qui nous diffament, nous sommes de farouches partisans de l’extension de la démocratie à toutes les sphères de la société. En effet, nous ne considérons pas que le fait de voter tous les 4 ans, ou même tous les 2 ans, puisse être une forme de démocratie suffisante et même attirante pour les jeunes et les travailleurs.
MAIS sous le capitalisme des problèmes vont se poser aux travailleurs en autogestion :
Premièrement, les coopératives continuent à fonctionner dans un contexte de marché capitaliste. Cela signifie que les travailleurs vont être mis en concurrence avec les entreprises capitalistes. Pour continuer à exister, ils vont être obligés de s'exploiter eux-mêmes, ou de faire appel au travail salarié et devenir eux-mêmes leurs propres capitalistes. Le cas de la plus grande coopérative du monde Mondragon (d'origine basque, devenue une véritable multinationale) le montre bien. Depuis quelques années, suite à des problèmes financiers à cause de la crise et de la concurrence provenant des pays à bas coût de main-d’œuvre, l'entreprise a été obligée de licencier des salariés.
Deuxièmement, pour rester compétitif (et au-delà, simplement socialement utile), il faut avoir accès à de larges sommes d'argent afin d'innover l'appareil productif. C'est un problème qui est admis par le mouvement défendant les coopératives en France, qui voudrait donc y pallier en érigeant une véritable banque coopérative. Seulement il n'est pas possible, surtout avec la détérioration des conditions de vie de la classe ouvrière, de réunir de telles sommes en faisant appel aux travailleurs. L’expérience de NewB chez nous en Belgique le démontre assez bien.
Troisièmement, le mouvement pro-coopératives ne prend pas en compte l'Etat, l'instrument le plus puissant des capitalistes pour faire valoir leurs intérêts. Donc même si un mouvement « coopérativiste » était capable de devenir une menace pour le système capitaliste, il serait écrasé par l'appareil de répression de l'Etat. Il n'est simplement pas possible de créer des « îlots de socialisme » dans le système capitaliste.
On comprend alors le problème essentiel de ce mouvement défendant le système de coopératives est la question du pouvoir. Sans lutte pour le pouvoir et l’abolition du capitalisme, les coopératives ne pourront devenir la base de la société.
En conclusion, pour nous l'occupation d'usine est une stratégie parfaitement adaptée à la situation de la crise du capitalisme et pour faire face aux délocalisations massives. La capacité des ouvriers à produire sans capitalistes montre très bien l'inutilité et le parasitisme de cette classe de possédants.
Les usines « autogérées » sont donc de véritables ateliers d’expérimentation du socialisme mais elles ont besoin d’un soutien large d’une lutte généralisée pour faire émerger le socialisme démocratique : une société qui produira selon les besoins réels des individus et qui respectera les limites écologiques de notre planète, pour que l’Humanité puisse enfin être totalement émancipée ! ».