Rarement un patron a mobilisé autant les tribunaux, les huissiers de ‘l’injustice’, la police et les agents de sécurité contre le personnel en lutte comme chez Delhaize.

Rarement un même patron a autant méprisé la sacro-sainte concertation sociale ‘à la belge’, ses mécanismes de dépannage, comme la conciliation, et les conventions collectives pour faire passer ses plans. Les deux sont en réalité indissociables. La répression judiciaire et policière ainsi que le refus de toute négociation représentent les deux bras d’une même tenaille avec laquelle la direction tente de comprimer la résistance déterminée des travailleurs et travailleuses. Il va sans dire, que Delhaize avait préparé son mauvais coup bien avant de l’annoncer publiquement début mars. Le bureau d’avocats ‘patronal’ Claeys et Engels, travaillant pour la marque au lion, est à la pointe du combat juridique contre les syndicats. Ce ne sont pas des amateurs. Ils ont fait leurs armes dans de nombreux autres conflits sociaux.

Les tribunaux contre les travailleurs

Un rapide inventaire des moyens répressifs mis en œuvre par la direction montre l’ampleur et l’audace du patronat de la grande distribution. Tout d’abord, il y a le recours systématique à la requête unilatérale devant les tribunaux civils. Ceux-ci jugent sans débat contradictoire et émettent des ordonnances en faveur de Delhaize. Fait exceptionnel et unique: un tribunal a interdit sous menace d’astreinte tous les piquets de grève devant les 128 supermarchés en lutte dans le pays. Le piquet de grève est un élément indispensable à l’usage de la grève. Enlever le piquet signifie vider la grève de son contenu. Pire encore, les tribunaux ont placé le 'droit au commerce' au-dessus d’un droit, d’une liberté fondamentale, celui de pouvoir faire grève. Il est évident que l’efficacité d’une grève se mesure aux ‘dégats économiques et financiers’ provoqués. Pour mettre en œuvre les ordonnances, une petite armée d’huissiers de justice (au moins un par supermarché) a été recrutée. Accompagnés d’agents de police, ils ont intimidé les travailleurs. Parfois même, des militants et des permanents syndicaux qui ne faisaient que distribuer un tract d’information aux clients se sont retrouvés menottés et embarqués vers le commissariat de police. Informer les clients d’un magasin est devenu selon la police et les huissiers de justice un ‘trouble à l’ordre public’, une intimidation. Autre nouveauté dans l’arsenal répressif: l’assignation (c'est-à-dire la remise et la lecture de l'ordonnance du tribunal) préventive à domicile ! C’était le cas avec plusieurs militants et secrétaires syndicaux qui ont eu le douteux honneur de se voir assigner l'ordonnance à leur adresse privée… Leurs adresses et identités avaient été fournies par la direction de Delhaize. Lors des derniers blocages des dépôts de Zellik, des agents de police accompagnés de huissiers (ou l’inverse) ont arrêté des automobilistes sur base de leur plaque d’immatriculation pour les informer du contenu de l'ordonnance. Jan Buelens, avocat du bureau Progress Lawyers explique comment les patrons de Delhaize se radicalisent contre le droit de grève  :« La direction a aussi demandé que la police puisse relever lʼidentité des grévistes. En principe, cʼest lʼhuissier qui peut le faire et personne dʼautre. Ces demandes ne sont pas forcément suivies par les tribunaux. Mais on voit que dans les ordonnances, les grands patrons vont toujours plus loin dans leurs demandes. Et il ne faut pas croire que cʼest fini… Ils veulent pouvoir faire interdire a priori tout piquet de grève sur lʼensemble du territoire belge, en prenant le droit au commerce comme prétexte. »

« À côté de ça, sur le terrain, les jugements sont appliqués de façon très large. Même la distribution de tracts ou se trouver aux alentours dʼun magasin devient interdit… Si on met tout cela ensemble, on voit que, même s’ils disent le contraire, les grands patrons veulent l’interdiction du droit de grève. Et ça se traduit déjà en pratique. Ils sont malins, ils avancent pas à pas histoire de se montrer raisonnables aux yeux de la Justice. Mais ils sont en fait très radicaux. » (1)

Notre force: le nombre et la solidarité

Quand le tribunal de Gand tranche en faveur des arguments syndicaux ou que celui du Brabant Wallon le 8 juin donne tort à Delhaize (2) et confirme que le piquet de grève fait partie du droit de grève, cela n’a aucune conséquence concrète. Quelques jours plus tard le piquet des grévistes du Delhaize de Waterloo se fait tout de même éjecter par la police et l' huissier (3). Alors, ne nous réjouissons pas trop vite de telles ‘petites victoires’ ! Ce ne sont pas les tribunaux qui vont nous défendre contre les attaques contre le droit de grève, mais bien la force du nombre et la solidarité.. La manifestation massive de plus de 20.000 syndicalistes venus de tous le pays, les actions de solidarité devant les magasins par le comité de soutien, les affichages de grande ampleur appelant au boycott et autres montrent la voie. La répression n’entame pas non plus le grève et les fermetures de magasins par les travailleurs eux-mêmes qui durent depuis 3 mois. Une grève dans le secteur du commerce voir même une grève interpro et nationale aiderait a faire basculer le rapport de force en faveur des travailleurs. Cela n'exclut pas évidemment de recourir aux tribunaux pour faciliter notre combat, mais le centre de gravité ne peut se trouver là.

C’est aussi à dessein que Delhaize tente de criminaliser les syndicalistes. Comment expliquer sinon la fouille systématique des permanents et des délégués syndicaux lors des premières réunions avec la direction au siège social. Ou la présence d’agents de sécurité à l’intérieur de la salle de réunion. Ou la présence d’une autopompe de la police fédérale lors de la première réunion de conciliation au ministère. 

Halte au patronat de combat

Face à un patronat de combat, il est contreproductif d’appeler à un retour au ‘dialogue social’. Ceux-ci s’engagent dans le ‘dialogue’ seulement si les syndicats acceptent de se rendre co-responsables du recul défavorable aux travailleurs. En même temps les patrons font tout pour neutraliser l’arme par excellence des travailleurs, c'est-à-dire la grève. Le retour au ‘partenariat social’ comme le revendique par exemple Myriam Delmée du Setca, est une chimère. La ‘concertation sociale’ n’a jamais été une question de principe pour le patronat mais seulement un moyen pour atteindre un but : la paix sociale. Aujourd’hui, de plus en plus de patrons laissent tomber les gants et se permettent tous les coups. Ils se préparent à une séquence beaucoup plus conflictuelle des relations sociales. En d’autres mots, ils se préparent à une exacerbation de la lutte des classes. Exit le rêve réformiste de trop nombreux dirigeants et militants syndicaux d’un patronat assagi suite à l’expérience de la pandémie et leur sauvetage grâce à l’aide publique. La seule attitude à la hauteur de la situation de la part des travailleurs et de leurs organisations c’est de se placer fermement et sans ambiguïté sur le terrain de la lutte des classes. Nos intérêts sont et restent inconciliables avec ceux des capitalistes. Ne nous en lamentons pas, ne pleurnichons pas mais relevons le défi.

  

1) https://lavamedia.be/fr/la-repression-des-delhaiziens-est-une-menace-pour-tous-les-travailleurs/

2) https://www.setca.org/fr/fed/delhaize-victoire-judiciaire?fbclid=IwAR1E5gazE0hl8dnf7BIeP-f6Ip0MRS21l2eqUGoKInXZpE6XnZc-_Des_j4

3) https://www.lesoir.be/518518/article/2023-06-09/delhaize-piquet-de-greve-leve-par-un-huissier-waterloo?fbclid=IwAR1E5gazE0hl8dnf7BIeP-f6Ip0MRS21l2eqUGoKInXZpE6XnZc-_Des_j4

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