Suite aux condamnations draconiennes par le Tribunal Suprême de l'Etat Espagnol contre les dirigeants nationalistes catalans, nous republions cet article de fond. Pour comprendre la crise en Espagne et en Catalogne, nous devons retirer nos lunettes Belges / Flamandes. Il est un peu trop facile de faire des comparaisons superficielles avec la Flandre de la N-VA pour donner au mouvement Catalan un aspect de droite et non démocratique.

A l’inverse, on parle rarement des liens historiques qui existent entre le nationalisme espagnol et la droite, l'extrême droite, l'Eglise conservative, l'armée ou encore avec les 40 longues années de dictature. Ce nationalisme est pourtant bien vivace et s’impose – si besoin avec violence - aux autres peuples qui composent l’Espagne, sans oublier l’Amérique latine. 

Nationalisme de riches ?

Certains disent que l'autodétermination de la Catalogne se fait sous la pression égoïste des riches qui ne veulent plus être solidaires du reste de l'Espagne, en particulier de ses régions les plus pauvres comme l'Andalousie. Le lien est donc facile à faire avec la N-VA et le Vlaams Belang en Flandre. Il existe en effet un nationalisme de ce type, mais ce n'est pas le courant majoritaire. La bourgeoisie catalane, ses organisations et ses personnalités les plus importantes, se sont clairement positionnées contre l'indépendance et font campagne en ce sens. Elles ont d'ailleurs agi en conséquence en délocalisant les sièges sociaux de centaines d'entreprises en dehors de la Catalogne.

A l'heure actuelle, le mouvement dominant en Catalogne est celui d'une aspiration démocratique profonde dénonçant un gouvernement espagnol de droite ainsi qu'un appareil d'Etat qui interfère systématiquement avec l'autonomie catalane. Cet appareil d’Etat nie les libertés démocratiques et ignore le droit à l'autodétermination. Ces dernières années, les Catalans ont subi toute une série de petits (et grands) harcèlements et humiliations de la part du régime de 1978 (voir plus loin dans l'article pour plus d'explications) qui a contribué à la naissance d'un sentiment de discrimination national et culturel. Avec la crise économique, ce sentiment n'a fait que se renforcer.

Le parlement Catalan a ainsi voté ces dernières années une série de lois (une soixantaine) qui ont toutes été annulées par la Cour Constitutionnelle suite à des plaintes du Parti Populaire (Partido Popular). Toutes ces lois avaient un caractère progressiste (contre les expulsions de logement, contre la pauvreté énergétique, pour un plafonnement des loyers etc.)

La "constitution" Catalane, l'Estatut de 2010, établissait dans son préambule que la Catalogne est une "nation" là où la constitution espagnole parle d'une « nationalité ». Cette partie a elle aussi  été annulée par la Cour Constitutionnelle.

Il y a également eu des cas de personnes interpellées par la police nationale (espagnole) car elles lui parlaient en Catalan.

Mais plus important encore, il existait un espoir d'inversion politique et de profonds changements dans tout le pays lors des élections du Parlement national en 2015 et 2016. La Catalogne a voté principalement pour la gauche, c'est à dire pour le ECP, une alliance entre le parti de la bourgmestre de Barcelone (Ada Colau), Podemos et ICV. La frustration a donc été grande lors de la mise en place du gouvernement minoritaire de la droite espagnole avec le PP et Ciudadanos. La seule issue que les Catalans voient en ce moment pour se libérer du régime de 1978 est donc... l'indépendance.

Avec le référendum du 1er octobre, c’est avant tout une aspiration démocratique et un vote pour la république qui s’est exprimé chez les Catalans. Il est tout à fait remarquable que, cette fois-ci,  des électeurs venant de quartiers peuplés d’immigrés espagnols intérieurs se soient  aussi exprimés pour le ‘oui’. C’est extrêmement progressiste. Les pompiers et les dockers se sont également mobilisés dans la rue afin d’y faire campagne pour le « Si ». Comment ce mouvement pourrait-il être celui de riches catalans égoïstes alors que les syndicats et les organisations de gauche ont manifesté ces dernières semaines dans toute  l’Espagne en appelant à la solidarité ? Si le contenu de ce vote n’était pas de gauche, pourquoi le député Diego Canamero, leader des travailleurs agricoles pauvres d’Andalousie, aurait-t-il pris position pour le « Oui » ? Pourquoi le Sindicato Andaluz de Trabajadores (qui s’occupe principalement des travailleurs agricoles pauvres) soutiendrait-il l’autodétermination des Catalans ?

La constitution de 1978

La constitution de 1978 ne reconnait pas la possibilité d’un référendum pour l’autodétermination. Un tel référendum n’est donc pas légal (même s’il reste tout de même bien démocratique).  Il y a en fait une bonne (en réalité une mauvaise) raison à cette interdiction. La constitution organise une soi-disant transition de la dictature de Franco à une démocratie parlementaire bourgeoise LIMITEE. Cependant, la constitution, tout comme le système juridique, contient encore des lois qui ont été des éléments constitutifs de la dictature de Franco. Ce régime a d’ailleurs été particulièrement remis en question dans la rue ces dernières années. Les principales caractéristiques de cette constitution sont :

  1. La famille royale, qui a réussi à s’imposer grâce à un soulèvement militaire fasciste et une longue et sanglante guerre civile dans les années 1930.
  2. L’unité et l’indivisibilité de l’Espagne, garantie par l’armée. Quand on sait qu’il existe un nationalisme espagnol autoritaire et réactionnaire qui s’impose aux autres peuples et  nations (comme les Basques, les Andalous, les Galiciens, les Catalans) qui composent l’Etat espagnol, on comprend ce que signifie réellement cette constitution : elle représente le déni d'une demande historique de la part de la gauche en Espagne pour le droit à l'autodétermination des peuples (cette demande figurait dans le programme du PSOE dans les années 1970).
  3. Une amnistie totale pour toutes les personnes responsables de 40 années de crimes, de tortures, de répressions, de meurtres etc. pendant la dictature. Aujourd’hui encore, beaucoup d’entre eux ont conservé leur place, leur fonction et leurs privilèges dans l’appareil d’Etat. En d’autres termes, l’appareil d’Etat n’a jamais été nettoyé des partisans du Généralissime Franco. Amnesty International combat d’ailleurs cette loi d’amnistie depuis des années en Espagne.

Ce régime de 1978 vit ses derniers instants. Partout en Espagne, et particulièrement parmi les jeunes, il est remis en question. Le mouvement des Indignés a également contesté profondément ces institutions. C’est désormais le cas en Catalogne.

Pour toutes ces raisons, les gauches de Flandre, Bruxelles et de Wallonie auraient tout intérêt à soutenir la lutte démocratique des Catalans pour une république indépendante et à la voir comme un premier pas vers une république fédérale dans toute l’Espagne. C’est un moyen d’affaiblir la droite et de se débarrasser du gouvernement de Rajoy.

En tant que Marxistes, nous donnons naturellement une nature sociale (c’est-à-dire anticapitaliste) et socialiste à cette république. C’est pourquoi tout bon démocrate doit réagir avec horreur à l’application de l’article 155 de la constitution, véritable coup « constitutionnel » contre la Catalogne

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