Depuis l'effondrement de l'auvent de la gare de Novi Sad le 1er novembre 2024, qui a fait 16 morts, des occupations, des blocages et des manifestations menées par des étudiants ont été organisés dans toute la Serbie. Cette catastrophe, causée par la corruption, a déclenché une vague d'indignation dans tout le pays. Au moment de la rédaction de cet article, en avril, plus d'un million de personnes dans toute la Serbie ont participé et exprimé leur soutien aux revendications des étudiants en lutte. Des manifestations sont organisées dans tout le pays.
La mobilisation de masse déclenchée par les étudiants s'est récemment intensifiée avec une gigantesque manifestation organisée à Belgrade le 15 mars, qui a rassemblé pas moins d'un demi-million de personnes. Il est difficile d'estimer l'ampleur de la manifestation, mais il est probable qu'entre 10 et 15% de la population serbe soit descendue dans les rues pour soutenir les revendications des étudiants. La Serbie est un petit pays de 6,6 millions d'habitants. S'il s'agissait des États-Unis, cela équivaudrait à une mobilisation de plus de 50 millions de personnes. Des mobilisations de masse d'une telle ampleur sont sans précédent dans l'histoire moderne de l'ancienne Yougoslavie. La presse contrôlée par le régime a bien sûr tenté de dissimuler le nombre réel de participants, affirmant qu'il n'y avait "que" 107 000 personnes - mais ces mensonges ne trompent personne.
Le jour de la manifestation géante, le 15 mars, les étudiants ont prudemment déplacé la manifestation d'un endroit à l'autre, y mettant fin une heure plus tôt en raison de l'utilisation de la violence par les voyous du régime notamment par l’emploi d'une arme sonique contre les manifestants, dans le but de provoquer un incident grave pour les dissuader de revenir en manif.
Ni les manifestations de masse, ni la vague géante de soutien aux étudiants (80 % de la population selon des sondages récents) n'ont jusqu’à présent été en mesure d'arrêter le régime. Cependant, le courage et l'esprit combatif des étudiants, ainsi que l'interconnexion culturelle, les conditions similaires et les régimes capitalistes corrompus qui ont échoué dans les pays de l'ex-Yougoslavie - qui ont tous souffert des conséquences de la restauration du capitalisme dans les années 1990 - ont permis aux protestations de trouver un écho et d'inspirer les jeunes et les travailleurs de toute cette région.
La solidarité est venue de Croatie, où le débordement au-delà des frontières de la Serbie a pris une forme différente. La grande grève actuelle des travailleurs de l'éducation, la plus importante de ces dernières années, est également inspirée en partie par les événements en Serbie.
La Croatie a connu une série de grèves gigantesques en 1999 - environ 246 pour cette seule année - pendant les bombardements de l'OTAN sur la Serbie. Nombre de ces grèves se sont soldées par l'occupation d'usines par les travailleurs pendant des mois. En raison de circonstances historiques spécifiques et des traditions de la classe ouvrière en Croatie, le mécontentement s'exprime moins par des manifestations de masse que par des grèves. Lors de l'éclatement de la Yougoslavie dans les années 1990, la Croatie a connu une série de grèves générales visant à stopper le processus de privatisation.
Une manifestation de masse a également éclaté en Macédoine le mois dernier en réponse à un incendie qui a cruellement coûté la vie à 62 personnes et 193 blessés dans une boîte de nuit de Kočani. Cette tragédie a mis en lumière la corruption et l'incompétence des autorités et a provoqué une vague d'indignation de masse similaire aux événements survenus en Serbie. De l'autre côté de la frontière, la tentative du président serbe Vučić de tourner cette tragédie à son avantage s'est retournée contre lui. Dans une minable tentative de redorer son blason, Vučić est entré dans l'unité de soins intensifs de l'une des victimes traitées en Serbie, compromettant ainsi leur sécurité alors qu'elles luttaient pour leur vie. En conséquence, les étudiants protestataires de Serbie exigent désormais que celui qui a autorisé Vučić à pénétrer dans l'unité de soins intensifs soit poursuivi en justice.
Zborovi
Les masses apprennent par l'expérience, y compris les étudiants. Grâce à la lutte qu'ils ont initiée, ils tirent aujourd'hui de nouvelles conclusions. Ce mouvement n'a pas été planifié - il a été improvisé et spontané dès le début. Il a été plus profond que sa cause immédiate, catalysant la colère accumulée depuis longtemps contre le système.
Dans sa première phase, le mouvement consistait en des manifestations de masse organisées et dirigées par les étudiants qui utilisaient les « plénums » (assemblées) comme forme d'auto-organisation de la lutte. Nous avons déjà écrit sur les avantages des plénums. En l'espace de deux mois, la lutte et la conscience des étudiants ont évolué, se manifestant aujourd’hui par un appel à la grève générale.
Le 24 janvier 2025, après deux mois d'occupations étudiantes, de manifestations et de barrages routiers, les appels à la grève générale ont réuni les étudiants et les travailleurs des secteurs de l'informatique, du journalisme, de l'éducation et de la culture. Bien que la grève n'ait été que partielle et n'ait touché que quelques secteurs, elle a montré l'élan croissant du mouvement de protestation. L'idée d'une grève générale a bénéficié d'un soutien massif, plus de 80 % des personnes ayant soutenu les étudiants étant favorables à la grève. Avec la démission du Premier ministre, Vučić a décidé de sacrifier son propre gouvernement pour tenter de désamorcer le mouvement et gagner en marge de manœuvre. Cependant, cette manœuvre a lamentablement échoué, conduisant à l'étape suivante du mouvement, qui a culminé dans la plus grande manifestation de l'histoire de la Serbie le 15 mars. Les images de Belgrade débordant de monde ont fait le tour du monde.
Les étudiants, tirant les leçons de leurs expériences dans le mouvement, sont maintenant arrivés à leur conclusion la plus progressiste jusqu'à présent. Le mouvement étudiant s'est renforcé en s'organisant autour de plenums dans les facultés et les écoles. Ils appellent maintenant à la création et à la diffusion d'assemblées de masse dans les quartiers (zborovi, le pluriel de zbor, qui signifie "assemblée"), un appel qui a trouvé un large écho avec la formation de centaines de zborovi. Le mouvement entre dans une deuxième phase, plus décisive. Les étudiants disent : "Tout le monde dans les zborovi" - ce que le "plenum" est pour les étudiants, le zbor l'est pour le peuple.
Mais pour comprendre pourquoi le mouvement a besoin de zborovi, il faut connaître quelques détails de l'histoire de la Serbie et, plus largement, de la région de l'ex-Yougoslavie.
Le terme "assemblées" (zborovi) est apparu pour la première fois dans la région au cours de la lutte contre l'Empire ottoman et a été utilisé pendant la révolution serbe (premier soulèvement serbe) au début du 19e siècle. Les communautés locales se sont organisées en assemblées de masse, où elles ont pris des décisions collectives sur la manière de poursuivre leur lutte pour l'émancipation nationale.
Des choses similaires se sont produites à Lika et dans certaines parties de la Dalmatie en Croatie. Plus tard, pendant le Royaume de Yougoslavie, le terme a persisté, et pendant la République fédérale socialiste de Yougoslavie (RFSY), la constitution autorisait les travailleurs en assemblées à prendre des décisions concernant certains aspects de la gestion des usines et des lieux de travail.
Après l'éclatement de la Yougoslavie, la Serbie, la Croatie, la Slovénie et d'autres anciennes républiques ont conservé le concept de zborovi comme forme d'autonomie régionale locale - en Macédoine, le terme sobranie est toujours utilisé, avec la même signification. C'est pourquoi l'appel des étudiants à la tenue d'assemblées de masse est lié à une structure juridique qui, techniquement, existe déjà, car ces assemblées de masse de citoyens font partie de notre histoire lors des soulèvements et des révolutions. Il est également intéressant de noter qu'en 1920, de nombreux zborovi ont également été organisés dans le Royaume de Yougoslavie, juste avant la proclamation de l'Obznana, qui interdisait le Parti communiste de Yougoslavie et toute organisation qui lui était liée. L'opposition à l'Obznana culmine dans une grève générale à Zagreb.
La situation en Serbie est souvent décrite dans les médias régionaux et internationaux comme emprunte de nationalisme serbe, certains évoquant même le spectre du mouvement ultra-réactionnaire des Tchetniks. Cependant, la large solidarité avec le mouvement, notamment de la part de la Croatie, et les images inspirantes d'unité entre Serbes et Musulmans à Novi Pazar montrent que derrière le mouvement lui-même se cache un désir général d'unité dans la lutte de tous les peuples yougoslaves, en opposition au nationalisme et aux divisions ethniques et religieuses.
L'importance des zborovi en Serbie
Les assemblées de masse (zborovi) ont commencé à pousser comme des champignons dans toute la Serbie après l'appel lancé au début du mois de mars. À l'heure où nous écrivons ces lignes, des centaines de zborovi ont eu lieu dans tout le pays. Rien que le jour de l'appel initial, plus de 50 villes et municipalités ont répondu à l'appel. Parallèlement à l'appel, les étudiants ont publié un manuel pour l'organisation d'assemblées. Ce manuel explique que les assemblées de citoyens sont identiques aux plénums d'étudiants, mais qu'elles sont elles organisées sur une base régionale.
Dans un article précédent, nous écrivions que l'organisation de plénums conjoints entre travailleurs et étudiants constitue un pas en avant décisif pour le mouvement. Les étudiants ont tiré la bonne conclusion : la lutte doit être reliée aux masses plus largement. L'appel lancé par les étudiants en mars résonnait déjà dans la classe ouvrière et les masses, qui y répondent avec une plus grande détermination.
Par exemple, les enseignants de Serbie, qui ont participé à diverses formes de grève depuis le début des manifestations, organisent depuis longtemps leurs actions par l'intermédiaire de leur propre assemblée plénière.
Inspirés par les enseignants, des "strukovni zborovi" sont en train de voir le jour. Il existe des assemblées de travailleurs pour le secteur des technologies de l'information, les éducateurs et, récemment, une nouvelle assemblée de travailleurs du secteur de la santé. La semaine dernière, une assemblée a été créée par les travailleurs d'une chaîne de télévision actuellement occupée, dans le cadre de laquelle les travailleurs ont formulé leurs propres revendications.
L'apparition généralisée d'assemblées est une conséquence de la radicalisation généralisée des masses / Image : fair use
En tant que communistes, nous appelons à la généralisation de ces assemblées comme une étape nécessaire pour organiser la participation indépendante de la classe ouvrière, afin qu'elle puisse soulever ses propres revendications et se tenir à l'avant-garde de ce mouvement contre le régime.
Les commentaires des professionnels de la santé sont particulièrement intéressants, car ils soulèvent des questions sur le rôle des assemblées et sur ce qu'elles sont censées faire. L'un d'entre eux rapporte les propos suivants :
« Les travailleurs de la santé se sont exprimés sur les réseaux sociaux pour appeler au rassemblement et à l'unité des professionnels de la santé, dans le but de se réunir, de s'organiser et d'agir ensemble pour protéger leur profession. Ils ont déclaré que les syndicats ne font pas leur travail, qu'ils sont « endormis » et qu'il est nécessaire d'agir ensemble, de s'organiser et de créer un plan collectif et réalisable. »
Les étudiants de la Faculté de médecine ont soutenu le rassemblement en fournissant des modérateurs, des unités de protection et des rapporteurs.
Les assemblées sont organisées spontanément via les médias sociaux ou l'application Viber. Les élèves y participent souvent en tant que modérateurs et rapporteurs.
En outre, les assemblées prennent souvent des décisions qu'elles n'ont techniquement pas le droit de prendre, du moins selon les statuts du gouvernement local. Par exemple, le zbor de Čačak a voté pour remplacer le maire actuel, et des manifestations de masse sont maintenant organisées jusqu'à ce qu'il démissionne.
L'apparition généralisée d'assemblées est une conséquence de la radicalisation généralisée des masses. Par exemple, à Niš, les gens ont jeté des œufs sur le maire actuel. À Kragujevac, le zbor a décidé que la ville devait payer les salaires des travailleurs de l'éducation. Si leurs demandes n'étaient pas satisfaites, ils ont menacé de se rendre à l'hôtel de ville le mercredi à 18 heures pour y organiser une manifestation.
Récemment, il y a eu une tendance à la centralisation des assemblées populaires. Par exemple, la ville de Novi Sad dispose d'une "Zbor svih Zborova" (assemblée de toutes les assemblées) qui a été utilisée pour organiser l'occupation de la station de télévision. Plusieurs zborovi différents ont également été partiellement centralisés et utilisés pour envoyer des « unités de défense » dans toute la Serbie afin de protéger les étudiants pendant leur blocus de la chaîne de télévision.
Nous devons être clairs. L'étape de centralisation des zborovi et d'introduction de méthodes de démocratie ouvrière, telles que l'élection et la révocation de représentants par les zborovi locaux à un conseil central, représente le pas primordial vers la construction d'un pouvoir alternatif dans la société. Elle pose la question de "qui décide" - la grande majorité des travailleurs et des étudiants ou le régime corrompu des oligarques capitalistes, incarné par le régime Vučić. En tant que communistes, nous soutenons pleinement toute mesure prise dans ce sens.
Que représentent les assemblées (zborovi) ?
Même les médias traditionnels parlent des assemblées comme d'un moyen pour les masses de s'engager politiquement. Radar Nova a rapporté les propos d'un étudiant, qui a résumé la situation :
« Les assemblées sont une occasion pour les citoyens de s'exprimer publiquement sur la crise politique dans leur communauté et, par leur participation, de se rappeler que la politique n'est pas qu'une affaire de partis. Au lieu de la politique descendante habituelle, nous avons maintenant un changement copernicien où les citoyens définissent leurs propres besoins et invitent d'autres personnes à participer directement à des groupes de travail. Tenir son propre avenir entre ses mains est une idée puissante - et naturellement, elle mobilise les gens. »
Les médias rapportent que les assemblées « donnent le pouvoir politique au peuple », ce faisant ils séparent inconsciemment les assemblées naissantes des structures officielles de la ‘démocratie’ libérale, s'interrogeant sur l'importance des assemblées. Un média a même demandé si elles ne représentaient pas une "réalité parallèle" ? Ils ont raison. Il s'agit d'un organe de pouvoir parallèle potentiel qui se développe sous nos yeux.
La Serbie, comme tous les pays de l'ex-Yougoslavie, possède des structures syndicales relativement faibles. Seuls 20 % des travailleurs serbes sont syndiqués, principalement dans le secteur public, qui comprend les soins de santé, l'éducation et les services publics. Toutefois, d'après les commentaires des travailleurs des secteurs de la santé et de l'éducation, il est clair que les assemblées représentent une nouvelle forme d'organisation englobant tous les travailleurs, une occasion pour eux de contourner le frein que représentent les bureaucraties syndicales, dans lesquelles ils ont perdu confiance.
Le site web du magazine culturel serbe Oblakoder, par exemple, a publié un article qui soulève la question de l'insuffisance de l'organisation syndicale et affirme qu'une grève générale ne peut être réussie que si les masses s'organisent comme les étudiants en plénum.
Le mouvement a été marqué par la méfiance à l'égard des ‘institutions’ dès le début / Image : fair use
Cela a naturellement soulevé la question dans les médias : « Les assemblées peuvent-elles remplacer les syndicats ? » Dans une interview, un enseignant répond par l'affirmative en disant qu'il s'agit d'une « nouvelle façon de s'organiser ». Les assemblées de travailleurs doivent organiser tous les travailleurs, en particulier lors d'une grève ou d'une lutte. L'essor de la participation des travailleurs à tous les niveaux doit également conduire les couches les plus avancées à prendre le contrôle des syndicats, qui sont les organisations permanentes de la classe ouvrière, pour les transformer en syndicats militants. Au moment où nous écrivons, les travailleurs utilisent les assemblées pour rendre les syndicats existants plus militants, plus combatifs. Les assemblées des travailleurs de l'éducation, en particulier, tendent vers la centralisation au fur et à mesure qu'ils organisent leur lutte.
Dès le début, le mouvement a été marqué par la méfiance à l'égard des « institutions », considérées comme détournées par le Parti Progressiste Serbe (SNS) actuellement au pouvoir. Les masses et la classe ouvrière en viennent de plus en plus à la conclusion qu'elles ont besoin de leurs propres « institutions ». Les étudiants expliquent dans des interviews accordées aux médias qu'avec l'idée de de former des assemblées, ils voulaient surmonter la capacité limitée du mouvement à s'articuler politiquement et essayer d'en faire un mouvement de masse. En outre, ils sont devenus eux-mêmes, par inadvertance, des leaders politiques, comme en témoigne le fait que les masses se tournent actuellement vers les étudiants pour obtenir des conseils politiques.
L'ordre du jour des assemblées de travailleurs inclut parfois des questions telles que les grèves et les salaires impayés des enseignants. Normalement, les travailleurs non syndiqués n'ont pas d'autre choix que d'écrire aux autorités locales et de faire appel aux « institutions compétentes ». Il est essentiel qu'ils forment eux aussi leurs propres assemblées de travailleurs - comme celles déjà formées par les travailleurs de l'informatique, les enseignants, les professionnels de la santé et les travailleurs de la télévision. Au sein de ces assemblées, ils peuvent décider des prochaines étapes, discuter des grèves et même les organiser, comme l'a fait le plénum des travailleurs de Niš lorsqu'il a voté la grève. Ils peuvent également se battre pour rendre les syndicats existants plus militants.
Mais avant même que les étudiants ne lancent l'appel à se rassembler dans les assemblées, les travailleurs de toute l'ex-Yougoslavie connaissaient les traditions de ce qu'on appelle les « syndicats de travailleurs ». Un cas intéressant est celui des travailleurs de TENT, une centrale électrique, qui ont organisé une grève en janvier avec des revendications qui allaient bien au-delà du cadre d'une grève ordinaire. À l'époque, ils ont annoncé :
« La loi stipule que les activités de grève ne peuvent commencer qu'après l'annonce. Nous devons obtenir l'accord de l'UGS Nezavisnost [fédération syndicale] et ensuite nous commencerons. Mais il y aura une grève sans leur consentement, si c'est ce que le zbor des travailleurs décide. »
Leurs revendications étaient les suivantes : « la satisfaction des revendications des étudiants du blocus, la détermination de la responsabilité de la situation catastrophique de l'industrie de l'électricité - mais aussi la révocation du directeur général d'EPS AD [l'opérateur public de TENT], de l'ensemble du conseil d'administration, du conseil de surveillance, de l'assemblée d'EPS et du ministre des mines et de l'énergie ».
Protéger les grèves, les protestations et les manifestations
Au fur et à mesure que le mouvement s'intensifiait, il s'est heurté à des provocations constantes de la part de l'État, de Vučić, du SNS et de leurs voyous. Les menaces ont été suivies dans de nombreux cas par des attaques ignobles. La nécessité d'organiser l'autodéfense et l'intendance efficace des manifestations, des blocages, des occupations et des grèves est désormais largement comprise.
Très tôt, les étudiants ont formé des unités d'autodéfense appelées Dabre pour se protéger des attaques brutales des voyous et des provocateurs du SNS. Dans le même temps, des unités d'autodéfense spontanées ont été formées par des vétérans de l'armée serbe et des motards, qui ont commencé à protéger les étudiants lors des manifestations.
En outre, les assemblées des TI en Serbie collectent des fonds pour payer les salaires en retard des travailleurs de l'éducation, avec le soutien d'autres travailleurs dans toute la Serbie.
Ce niveau de solidarité de classe n'est pas courant pendant les périodes de soi-disant paix sociale. Tout indique qu'une assemblée n'est pas « juste une assemblée », et que le délitement du pouvoir est bien plus qu'un simple délitement.
Une profonde méfiance à l'égard de l'ensemble du système
L'une des principales caractéristiques de la situation politique actuelle en Serbie est que les étudiants et les autres personnes qui se mobilisent contre le régime se méfient profondément de l'ensemble du système, y compris des partis établis qui sont dans l'« opposition ».
Le renversement de Milošević par la mobilisation révolutionnaire de la classe ouvrière en octobre 2000 a porté au pouvoir une opposition qui ne s'est pas révélée capable de réaliser le changement fondamental exigé par le mouvement de masse. Cette trahison a créé les conditions pour le régime actuel de Vučić. Pour cette raison, les masses disent à la fois « Vučić n'est pas bon », et « l'opposition n'est pas bonne », et désirent un changement systémique. Les couches les plus avancées ont déjà conclu qu'il fallait un mouvement qui devienne finalement une révolution capable de balayer tout cela.
D'où vient le mouvement ?
La crise économique mondiale de 2008 a déstabilisé le capitalisme dans le monde entier et provoqué des changements tectoniques dans les consciences. La crise persistante a provoqué un déclin général de la qualité de vie dans le monde entier. Au cours des 30 dernières années, la Serbie a connu une baisse continue de son niveau de vie en raison de la restauration du capitalisme. Dans l'ensemble, il n'y a pas un seul secteur ou élément d'infrastructure en Serbie qui puisse recevoir la note suffisante pour passer - des transports publics à l'agriculture, tout est sous-développé et négligé.
Depuis la Grande-Bretagne, Ted Grant décrit le rôle joué par les étudiants à la veille de mai 1968 en France :
« C'est dans cette atmosphère que s'est développée la rébellion étudiante. Elle était le symptôme du mécontentement de la société. Les fils et les filles de la classe moyenne, de la classe moyenne supérieure et même de la bourgeoisie se sont rebellés contre les valeurs pourries de la classe dirigeante. Ce mouvement était un symptôme de la crise du monde capitaliste. Les manifestations étudiantes ont été violemment attaquées par la police anti-émeute, connue pour sa brutalité. Le passage à tabac des manifestants n'a fait qu'exaspérer davantage les étudiants, entraînant des batailles de rue sur les barricades du Quartier latin, des occupations d'universités à Paris, puis dans toute la France. Ces actions ont à leur tour déclenché un mouvement parmi les lycéens ».
La description faite par Ted Grant du mouvement en France ressemble fortement au mouvement actuel en Serbie. Ce n'est pas une coïncidence si les étudiants disent ouvertement qu'ils s'inspirent de mouvements antérieurs comme ceux de 1968 en France et en ex-Yougoslavie. Le mouvement de 1968 a pris une forme différente par endroit, en Yougoslavie les étudiants ne revendiquaient pas contre le socialisme en soi, mais contre la bureaucratie, qui a finalement préféré restaurer le capitalisme à terme. Même les reportages ordinaires indiquent souvent que le mouvement actuel en Serbie ressemble aux luttes étudiantes de 1968.
La mobilisation des étudiants est un symptôme d'une crise beaucoup plus profonde du système capitaliste. Dans les périodes normales de calme et de stabilité relatifs, durant lesquelles les illusions de la démocratie libérale s'imposent, la plupart des gens ne participent pas activement à la vie politique. Au contraire, ils sont souvent complètement désintéressés. Seule une minorité est politiquement active. Certes, en Serbie, la participation aux assemblées de masse, notamment sur les lieux de travail, n'a pas encore atteint le niveau d'une mobilisation générale. Cependant, elle devient de plus en plus forte.
Les chiffres sont éloquents. Pour le seul mois de mars, selon l'agence de collecte de données CRTA, il y a eu 1 697 manifestations dans 378 lieux, avec des centaines de milliers de personnes impliquées, et 200 zborovi en Serbie. Des milliers de personnes sont impliquées dans les seules assemblées de Novi Sad. Nous pouvons nous attendre à ce qu'actuellement des dizaines, voire des centaines, de milliers de personnes en Serbie participent à des assemblées. Et Vučić tente de les mettre de côté en les qualifiant de « non démocratiques », les qualifiant d'inventions bolcheviques. Il n'est pas étonnant que dans les médias, certains journalistes relient ces zborovi à une révolution en Serbie.
La mobilisation des étudiants est un symptôme d'une crise bien plus profonde du système capitaliste / Image : Bracejerkovic, Wikimedia Commons
Trotsky, dans L'histoire de la révolution russe, définit la révolution comme le moment décisif où les masses interviennent directement dans les événements historiques. On en voit aujourd'hui la concrétisation en Serbie. Si nous considérons ce que Lénine a décrit comme les conditions de la révolution, nous pouvons constater ce qui suit :
La première condition est que la crise provoque des divisions et des hésitations au sein de la classe dirigeante. La bourgeoisie serbe en témoigne incontestablement, et les classes dirigeantes balkaniques locales craignent les répercussions d'un mouvement qui résonne sous diverses formes dans les pays de l'ex-Yougoslavie. Vučić pourrait difficilement apparaître plus nerveux et erratique, et le « Parlement serbe » transpire le désespoir. Depuis des mois, les étudiants sont publiquement accusés dans les médias de soutenir le bolchevisme, le communisme et la révolution.
La deuxième condition est le flottement de la petite bourgeoisie, qui cherche à échapper à la crise, soit par le biais de la classe ouvrière, soit par celui des capitalistes. Comme l'a expliqué Lénine, une politique ferme de la classe ouvrière (porteuse d’espoirs et de solutions), dans de telles conditions, permettrait de gagner le soutien de la classe moyenne.
La troisième condition est que la classe ouvrière soit prête à se battre. Malgré les nombreux appels à la grève générale et à la mobilisation lancés par les étudiants, cet objectif n'a pas encore été pleinement atteint. Cela est dû en partie à l'attitude de la bureaucratie syndicale qui, jusqu'à présent, n'a apporté qu'un soutien verbal aux revendications des étudiants et n'a pas diffusé l'appel à la grève générale parmi ses membres. Instinctivement, les sections de la classe ouvrière qui commencent à se mobiliser, comme les travailleurs de l'éducation, ont créé leurs propres organes de lutte, à travers lesquels ils ont organisé des grèves. Récemment, de nombreuses grèves ont eu lieu en Serbie, dans le cadre de l'intensification de la lutte des classes sous la surface. Les travailleurs doivent se battre pour leurs propres revendications en créant leurs propres comités de grève.
Mais surtout, il manque la quatrième condition de Lénine : l'existence d'un parti révolutionnaire de masse, enraciné parmi les travailleurs, prêt à prendre les mesures les plus audacieuses pour assurer la victoire de la classe ouvrière.
En raison de l'absence d'un tel parti, le mouvement est soumis à la pression de différentes classes. L'« opinion publique » bourgeoise, alimentée par les médias capitalistes internationaux, tente de décrire le mouvement comme la « voie européenne » pour sortir d'un « système basé sur la corruption ». L'idée qu'un gouvernement dirigé par des « experts » pourrait guider la transition vers un « meilleur système démocratique » menace de faire dérailler le mouvement en poursuivant des réformes constitutionnelles stériles, alors que la source de la pourriture est le système capitaliste lui-même. Plusieurs médias bourgeois tentent de décrire ce mouvement comme une tentative d'établir l'« État de droit » et un « État constitutionnel », ou simplement comme de simples manifestations anti-corruption.
Il est cependant évident que cette campagne idéologique ne pénètre pas profondément dans la conscience des étudiants lors des plénums, et que les objectifs du mouvement vont bien au-delà de ce que les bourgeois souhaiteraient. La pression des idées bourgeoises sur les étudiants s'intensifie autour d'éventuelles tentatives de formation d'un « gouvernement de transition » et en forçant les étudiants à prendre une décision formelle concernant les futures élections. Dans le même temps, le régime devient de plus en plus agressif. Une provocation sérieuse de la part du régime pourrait faire pencher la balance et provoquer un soulèvement révolutionnaire encore plus massif et la généralisation des zborovi de masse.
C'est au cours de ces événements que les couches les plus militantes de ce mouvement contribueront à la formation d'un nouveau parti communiste révolutionnaire de masse, qui jettera les bases d'une future direction révolutionnaire.
Quelle est la prochaine étape ?
Le mouvement manque actuellement de mesures décisives et concrètes, mais il devient de plus en plus audacieux. Des plénums aux appels à la grève générale, en passant par la formation d'assemblées populaires de masse et d'assemblées de travailleurs de masse. Ces organes de lutte de masse émergent et commencent à prendre une forme plus centralisée.
Le mouvement se poursuit depuis près de six mois, mais il ne peut pas continuer indéfiniment. Cependant, en continuant, les couches les plus avancées tireront inévitablement des conclusions de plus en plus révolutionnaires afin de se protéger des idées petites-bourgeoises et bourgeoises envahissantes.
Les étudiants, instruits par leurs expériences de lutte, seront poussés vers la conclusion qu'ils doivent appeler à une action unifiée entre les zborovi, les plénums et les syndicats, en vue d'une grève générale. Jusqu'à présent, les étudiants ont été le point central du mouvement et ils peuvent continuer à l'être. Leur appel à la généralisation de la formation d'assemblées de masse (zborovi) a été une bonne décision, car il y avait un risque réel que le mouvement soit isolé de la classe ouvrière. En adoptant une perspective sociale et en appelant le peuple à se mobiliser, ils ont bien jugé.
Les étudiants ont correctement reconnu la nécessité pour la classe ouvrière de jouer un rôle décisif en mobilisant pleinement ses forces contre le régime. Pour citer Ted Grant :
« Pas une roue ne tourne, pas un téléphone ne sonne, pas une ampoule ne brille sans l'aimable autorisation de la classe ouvrière ! Une fois cet énorme pouvoir mobilisé, aucune force sur terre ne peut l'arrêter. »
Mais l'histoire nous enseigne qu'un parti révolutionnaire ne peut être créé à la hâte, juste avant les grands événements. C'est exactement ce que montre le mouvement actuel, qui souffre chroniquement d'un manque de leadership. D'un autre côté, c'est aussi sa plus grande force : il n'y a pas de dirigeants réformistes, pas de partis stalinisés et pas d'options politiques à gauche qui pourraient orienter cette situation dans la mauvaise direction, comme cela s'est produit lors de la révolution manquée en France en 1968.
Cependant, les étudiants doivent également être conscients que la classe ouvrière ne se mobilise de manière décisive que lorsque certaines conditions sont réunies, et pas seulement parce qu'une telle mobilisation est souhaitée. C'est précisément la raison pour laquelle les appels à la grève générale n'ont pas encore produit l'effet explosif escompté.
Cependant, nous pouvons être sûrs d'une chose. La révolte des étudiants - dont la plupart en Serbie sont les fils et les filles de la classe ouvrière - nous permet de percevoir le mécontentement de la classe ouvrière elle-même. C'est le signe d'une explosion imminente et indique l'intensité de la fureur des travailleurs lorsqu'ils se soulèveront, non seulement en Serbie, mais dans l'ensemble des Balkans. Une partie de la jeunesse et de la classe ouvrière tirera de ce mouvement la conclusion qu'une direction révolutionnaire est nécessaire pour parvenir à un changement social fondamental - c'est-à-dire le renversement du capitalisme et son remplacement par une économie socialiste planifiée démocratiquement.
Ce à quoi nous assistons en Serbie, ce sont les prémices d'une crise révolutionnaire / Image : fair use
Mais pour l'instant, la tâche - de réaliser les demandes des étudiants, d'établir un système plus juste en Serbie et de renverser Vučić - appartient à la classe ouvrière de Serbie et à personne d'autre. Pour atteindre ces exigences, une mobilisation de masse et une grève générale révolutionnaire seront nécessaires - une grève sans précédent dans l'histoire récente de cette région. La grève sera menée par les travailleurs les plus jeunes, débarrassés des défaites passées et du cynisme.
En tant que communistes, nous soutenons l'appel à la généralisation de la formation des zborovi dans chaque quartier et sur chaque lieu de travail. Nous défendons également la nécessité de les coordonner et de les centraliser démocratiquement au niveau régional et national en introduisant des méthodes de démocratie ouvrière. Tous les délégués doivent être élus et révocables par les assemblées qui les ont élus. Le mouvement vers la grève générale renforcera la tendance à l'auto-organisation de masse par le biais des assemblées, des comités de grève et des conseils de délégués élus par les assemblées. Ceux-ci émergeront non seulement comme des organes de lutte mais aussi d'autogestion, comme un pouvoir alternatif aux institutions capitalistes corrompues.
Tout le pouvoir aux zborovi !
Ce à quoi nous assistons en Serbie, ce sont les prémices d'une crise révolutionnaire. L'ensemble de la société est touché. La conscience des masses est transformée par l'expérience de l'activité de masse et de la lutte des classes. La demande apparemment « conservatrice » des étudiants « que les institutions fassent leur travail » a débouché sur l'initiative spontanée des étudiants et de couches plus larges du peuple et des travailleurs de prendre leurs propres décisions concernant la société, de s'organiser en assemblées et de commencer à les coordonner et à les centraliser en tant que formations embryonnaires du pouvoir des travailleurs.
En substance, le mouvement représente une éruption dans le processus moléculaire de révolution qui se déroule en Serbie depuis l'éclatement de la Yougoslavie. Il est l'expression d'un mécontentement à l'égard du capitalisme en général et de son incapacité à fournir les conditions de base du développement.
Par conséquent, les assemblées représentent la volonté des masses de participer aux décisions politiques et à la politique en général. La volonté des masses ne peut se réaliser que lorsque les assemblées deviennent le gouvernement de facto de la Serbie. Ces assemblées - dans la mesure où elles impliquent la masse de la classe ouvrière, et où elles coordonnent et centralisent dans des conseils de délégués - sont essentiellement des soviets sous forme embryonnaire, semblables à ceux qui ont émergé pendant les révolutions de 1905 et 1917 en Russie. Le mouvement peut lutter pour bien plus que la justice pour les victimes de l'effondrement de l'auvent de Novi Sad. La force de la classe ouvrière peut non seulement renverser Vučić, mais aussi remporter des victoires massives et décisives.
Pour renforcer le pouvoir des assemblées, nous devons :
- Faire du zbor le principal outil de lutte. Unir les étudiants et les travailleurs pour organiser une grève générale.
- Créer davantage d'assemblées de travailleurs ! Les travailleurs doivent former leurs propres assemblées de masse sur leur lieu de travail, en les coordonnant par secteur, en suivant l'exemple des travailleurs des technologies de l'information, de l'éducation et des soins de santé.
Pourquoi ?
Parce que l'arme la plus puissante contre l'État est la grève.
Les travailleurs doivent créer leurs propres comités de grève - et l'assemblée est l'outil pour le faire ! Comme l'ont déjà montré les travailleurs de l'éducation.
Centraliser les assemblées !
Créer une assemblée centrale - une Zbor svih zborova - au niveau national, à laquelle seront envoyés des délégués des assemblées de toute la Serbie (représentants des assemblées de travailleurs et des assemblées populaires), ainsi que des délégués des plénums d'étudiants.
Notre objectif doit être de mieux coordonner les actions et de mettre en place des comités de grève et de blocage.
Organiser l'autodéfense sous le contrôle des assemblées.
Les étudiants bloquent les universités. Les travailleurs devraient occuper les lieux de travail.
En avant pour la grève révolutionnaire en Serbie !