Comme l’a dit lui-même le réalisateur lors d’un débat qui s’est tenu après une avant-première, les films/documentaires récents sur l’histoire du mouvement ouvrier, sur la condition ouvrière… se comptent sur les doigts de la main. C’est donc en commençant par souligner ce fait et en remerciant le réalisateur Mr Michel (auteur de « Pays Noir, Pays Rouge », de « L’empire du silence »…) que nous commencerons notre critique. D’autant plus que le film montre assez bien cette condition ouvrière, les difficultés et les risques qui sont liés à ces métiers dangereux. Pourtant le documentaire nous a laissé sur notre faim de révolutionnaire.
Un documentaire actuel sur la condition ouvrière
Le film, via des images d’archive agrémentées de nouvelles images, de commentaires en voix off, également de longs passages d’interview de travailleurs (mais surtout de représentants syndicaux), nous plonge radicalement dans l’enfer sur Terre qu’est le métier d’ouvrier dans la sidérurgie. Les tabous concernant les conditions dures, les morts et blessés au travail, les suicides qui ont découlé des licenciements massifs etc… volent en éclats grâce aux différents témoignages. En cela, nous sommes heureux de voir à l’écran cette partie de l’histoire trop peu connue des régions sidérurgiques belges. Cette histoire de souffrance et d’oppression, de larmes et de combats, de solidarité et d’abnégation, en tant que militants communistes révolutionnaires issus de la classe ou organiquement liés à elle, nous la portons en nous également, nous l’étudions, nous la diffusons de toutes nos forces autour de nous, été comme hiver. Mais de cette histoire nous en faisons, nous marxistes, autre chose qu’un simple exposé des faits, nous y reviendrons.
Une autre qualité du film est de montrer avec brio les prouesses inimaginables du savoir-faire ouvrier. En effet, on y voit comment les métallurgistes réussissent l’impensable : relancer un haut fourneau (celui d’Ougrée) qui avait pourtant été totalement arrêté pendant près d’un an. Il s’agit ni plus ni moins d’une première en Europe, mais avant tout d’un exploit. Beaucoup d’ingénieurs s’imaginaient la chose impossible, mais le savoir-faire, l’amour de leur métier, la volonté et la détermination incroyable des ouvriers pour sauver leur emploi et ceux de leurs collègues sont venus à bout de cette tâche titanesque. Encore une preuve que ce sont bien les travailleurs qui créent la richesse et qui font tourner l’industrie et l’économie.
Pourtant ce savoir-faire est aujourd’hui perdu ou presque, la sidérurgie belge s’éteint dans l’indifférence alors que la demande en fer dans notre pays s’est maintenue, mais aujourd’hui nous l’importons, comme beaucoup d’autres choses… Ces fermetures stupides sont la conséquence du manque de courage politique des dirigeants de l’époque qui n’ont pas été capable de préserver les fleurons de l’industrie que sont ces usines si précieuses. Au lieu de cela ils ont fait ce qu’ils font le mieux, ramper devant les grands capitalistes qui eux ont fait valdinguer des dizaines de milliers de travailleurs et leur famille au gré des aléas puants du « marché libre », impactant toute la région. Et tandis qu’hier on laminait l’acier, aujourd’hui ce sont les chômeurs qui le sont.
Pour autant, on ne peut pas dire que les gens d’ArcelorMittal ne se sont pas battus, le documentaire s’attarde longuement sur ces combats sociaux dans lesquels ils ont inlassablement jeté toutes leurs forces pour le maintien de l’outil. Ils ont littéralement secoué la société en allant même jusqu’à empoigner les grands patrons pour les forcer à respecter leurs engagements, enfonçant les lignes de policiers belges et luxembourgeois et de CRS français pour tenter de se faire entendre des dirigeants politiques belges (et même européens). Tous leur ont tourné le dos. Le documentaire montre également ces moments de lutte intense, ces mobilisations monstres, mais au lieu de donner de l’espoir à ceux qui vivent aujourd’hui encore le même drame (comme ceux d’Audi Forest), le film s’attarde bien trop sur les détails « marrants » liés frasques des travailleurs en mouvement, un peu comme s’il fallait « amuser la galerie »… En effet quoi de plus divertissant que des hommes risquant des années de prison pour le simple fait d’avoir tenté de sauver leur avenir ?
Le bât qui blesse
De notre avis, le film est empreint d’un « petit-bourgeois-gaze ». Malgré qu’il soit focalisé sur la condition ouvrière et sur le long combat des ouvriers pour leur salut, il laisse un arrière-goût de fatalité inextricable. Voire même de désespoir.
À la lutte des travailleurs n’est pas associée la possibilité de réellement renverser la vapeur et d’obtenir une nationalisation sous contrôle démocratique des travailleurs. Les travailleurs sont systématiquement montrés comme tributaires des politiques patronales et non comme des opposants politiques (en puissance) au système qui les opprime, dotés d’un contre-projet propre à tout ce qui leur a été proposé à l’époque des fermetures.
On ressent la distance entre le confort de la mise en scène, du choix du montage, de certains témoignages et la dureté de la répression des ouvriers par la police ainsi que la misère à laquelle les patrons les condamnent in fine. Mais par-dessus tout, le film se range derrière une « neutralité » dérangeante dans un contexte où il n’y aucune raison d’être neutre. D’abord en ne pointant aucune responsabilité politique et, pire encore, en la cachant derrière les fluctuations du marché de l’acier et des politiques désastreuses de quotas européenne de production. Ensuite en donnant bien trop la parole à des responsables syndicaux qui pourtant se font alpaguer et engueuler à longueur de film par des travailleurs de la base légitimement à bout de nerfs, mais dont le discours reste complètement inaudible dans le documentaire... Et enfin, en mettant en avant « l’émotion » et le « larmoyant », du combat, des solidarités… plutôt que l’analyse politique et les solutions portées à l’époque par toute la « petite gauche » et dont, nous nous en souvenons très bien, les travailleurs d’ArcelorMittal se saisissaient avec entrain.
À l’époque nous disions la même chose que ce que nous disons aujourd’hui à propos de la fermeture d’Audi (appel à la nationalisation sous contrôle démocratique des travailleurs). En effet, il sera évident pour tout le monde que les travailleurs d’ArcelorMittal ont été totalement abandonnés par le monde politique. Mais il sera moins évident qu’ils l’ont également été par les directions syndicales qui se refusent obstinément à étendre la lutte à d’autres secteurs pour imposer, par un vrai rapport de force, une nationalisation pour le maintien de l’emploi pour préserver le savoir-faire et ces outils industriels si technologiquement avancés. Le film n’en dit pas un mot alors que pourtant la FGTB a, par exemple, mis (timidement) en avant ce mot d’ordre de nationalisation de l’outil à l’époque…
Pas un mot donc, et ce malgré un contexte économique et politique où le mécontentement va grandissant du fait que les salaires ne suivent que difficilement l’augmentation du coût de la vie et que les droits sociaux et les conditions de travail sont attaqués de toutes parts par les gouvernements austéritaires successifs.
Un contexte aujourd’hui chez Audi qui est peu ou prou le même qu’à l’époque de Mittal : après avoir gavé d’argent public (lisez « nos impôts ») les grands groupes et leurs actionnaires pourtant déjà si bien lotis, l’Etat laisse ces derniers délocaliser, fermer, jeter dans les griffes de la misère sociale des milliers de travailleurs et leur famille. À l’époque, il s’agissait du (feu) système des « intérêts notionnels », aujourd’hui ce sont d’autres mécanismes de défiscalisation, mais force est de constater que le résultat est le même : fermetures, délocalisations, restructurations, flexibilisation et perte d’emplois. En effet, on ne contrôle pas ce qu’on ne possède pas…
Tirer des leçons cette expérience
La force du marxisme est de comprendre l’histoire non pas comme une suite insensée de faits s’emboitant aléatoirement les uns dans les autres, mais bien comme un processus analysable sur le long terme et dont on peut tirer de précieuses leçons pour forger l’avenir. Le film documentaire ne s’inscrit pas dans cette logique malheureusement.
Une des leçons de l’histoire d’ArcelorMittal est que celui qui lutte seul ne peut pas gagner face à de si grands groupes. Si nous avons tant gagné par le passé, durant le XXème siècle, face aux mêmes capitalistes propriétaires d’industries en apparence si puissants, c’est parce que notre classe a su mobiliser largement, au-delà des limites de l’entreprise qui ferme, au-delà du seul secteur touché, et parfois même au-delà des frontières.
Si nous nous laissons faire, les lendemains qui nous attendent ne seront pas les plus heureux. Les recettes ratées que tentent les gouvernements néolibéraux sont indigestes pour les travailleurs. Mais il n'est pas trop tard, nous pouvons encore leur montrer comment nous faisons la cuisine !
Le prolétariat ne s’est que trop longtemps contenté des miettes. Parfois il réclame timidement une plus grosse part du gâteau, mais s’il veut l’obtenir il doit d’abord secouer le haut du cocotier syndical pour en faire tomber le fruit pourri de la collaboration de classe et de la « négociation sociale ». Alors peut-être demain, il gèrera toute la boulangerie dans l’intérêt collectif pour nourrir correctement tout un chacun et empêcher ainsi le gavage des actionnaires qui n’a visiblement servi à rien si ce n’est à accroître les inégalités et leur donner encore plus de pouvoir sur nos vies.
Nous devons quitter ce modèle capitaliste qui nous envoie à la banqueroute. Seule une planification démocratique de l’économie (nationalisée) permettra de faire se rencontrer offre et demande sans devoir passer par les affres du marché qui ont jusque-là servi d’excuse à Mittal, Audi et consort dans leur quête de profits pour licencier et fermer.
Malgré la faiblesse politique du film, l'O.C.R. appelle ses lecteurs à voir le film car l'histoire ouvrière ne sera jamais assez contée.
Lien du trailer :