Révolution : Quelle est ton opinion sur l'état du mouvement des femmes aujourd'hui ?
Nous sommes à un stade intéressant : le mouvement pour les droits des femmes a repris depuis quelques années, en réponse au besoin de la population de trouver une solution à l'urgence des féminicides et du harcèlement sexuel qui augmentent partout d'année en année. À un stade précoce, la sensibilisation et le débat public peuvent déjà constituer un bon point de départ, mais je pense que nous devrions voir plus loin et reconnaître qu'aucune voie vers l'émancipation et la protection des femmes ne peut se faire en collaborant avec le système. Il est clair que la sensibilisation ne suffit pas à changer les conditions de vie des femmes aujourd'hui, et qu'une plateforme de lutte organisée est nécessaire pour que le gouvernement prenne sérieusement en compte nos demandes et agisse en conséquence.
Quels sont les résultats obtenus et quelles sont les demandes à formuler ?
Le mouvement qui a vu le jour ces dernières années a réussi à remettre la question des droits des femmes sur le devant de la scène avec une grande dénonciation sociale tout en produisant un programme politique qui vise à l'amélioration concrète des conditions de vie et de travail des femmes en Belgique. Le 8 mars, en tant que journée de grève importante, a un grand potentiel pour développer l'ampleur et l'intensité du mouvement. Cependant, nous devons rester vigilants face aux risques à venir. Il s'agit maintenant de reconnaître les racines systémiques de ces problèmes et de construire une alternative révolutionnaire autour d'une question aussi émergente et urgente dans la société belge.
Dans de nombreux pays, le 25 novembre et le 8 mars sont désormais des dates symboliques. Pour éviter qu’elles ne se limitent à des rituels, le mouvement émergent pour les droits des femmes dans notre pays doit relever des défis politiques. Il est crucial que la mobilisation lors des manifestations s'accompagne d'un engagement politique, en rassemblant un nombre croissant de personnes, quel que soit leur genre, et en structurant son programme autour des mécanismes systémiques d’oppression.
Égalité des salaires, égalité des conditions de travail et des possibilités de promotion, mais aussi crèches et structures d'accueil pour les personnes âgées : le gouvernement devrait prendre en charge ces besoins et fournir les moyens de réduire l'écart entre les hommes et les femmes.
Le gouvernement actuel est particulièrement dur avec les femmes qui travaillent. Peux-tu développer ce point ?
Le gouvernement laisse clairement les femmes de côté en mettant en place des politiques susceptibles d'accentuer leur précarité financière et d'aggraver les inégalités de genre dans le pays. Par exemple, le départ en pré-pension sera pénalisé, ce qui affectera les femmes exerçant des métiers dans le domaine du nettoyage ou des soins, dont les conditions physiques ne leur permettent pas de travailler jusqu'à l'âge de la retraite. Les pensions de survie ou de divorce seront progressivement supprimées. Les femmes ayant des carrières plus fragmentées ou à temps partiel verront leurs prestations réduites. De même, la suppression progressive de l'avantage fiscal pour les couples mariés affectera les ménages dont l'un des partenaires travaille à temps partiel ou dispose d'un revenu plus faible, généralement les femmes.
Le gouvernement vise également à accroître la flexibilité de l'emploi, ce qui pourrait aggraver les conditions de vie des femmes. Les employeurs peuvent désormais imposer jusqu'à 240 heures supplémentaires non rémunérées par an, en réduisant la compensation pour le travail supplémentaire. Les femmes étant souvent chargées des tâches domestiques, elles pourraient décider de réduire leur temps de travail ou de quitter leur emploi en raison de cette nouvelle pression sur l'équilibre entre vie professionnelle et vie privée. L'écart entre les hommes et les femmes risque de se creuser davantage en raison de ces changements.
Quelle est la meilleure façon de s'organiser dans la lutte pour l'émancipation des femmes ?
Nous devons partir de nos conditions dans la société de classe, nous devons être là où l'oppression se manifeste. Ce système est basé sur la production et la vente de biens afin d'obtenir des profits que seuls quelques-uns accumulent. Aujourd'hui, plus que jamais, les femmes sont massivement impliquées dans la production et le seul levier pour faire chanter les propriétaires est la grève : une action collective et organisée entre les employés.
A titre d'exemple, en 1966, environ 13 000 femmes travaillant à l'usine d'armement Fabrique Nationale à Herstal ont fait grève pendant 11 semaines avec le slogan : "A travail égal, salaire égal". Elles ont obtenu une victoire partielle, mais cette expérience a marqué la lutte des femmes dans notre pays. En 1974, une nouvelle grande grève de trois semaines seulement a permis d'obtenir bien plus que ce qu'elles avaient demandé.
Aujourd'hui, le souvenir de ces luttes disparaît, alors qu'il serait utile de tirer les leçons de ces expériences. Nous devons nous préparer avec un plan d'action qui a des objectifs clairs et qui définit les moyens de les atteindre.
Enfin, est-il vraiment possible de parvenir à une émancipation totale dans le cadre du capitalisme ?
Jusqu'à présent, j'ai délibérément parlé d'"améliorer" la condition des femmes : prétendre qu'une véritable solution à l'inégalité de genre est possible dans cette société serait un mensonge, et nous en avons déjà entendu bien trop. Ce système repose littéralement sur l'exploitation des inégalités entre les hommes et les femmes, rendant cette lutte sans fin. En effet, les avancées obtenues peuvent être aisément remises en cause par les décisions gouvernementales. La question de l’émancipation des femmes est un dysfonctionnement systémique et fonctionnel du capitalisme.
Pour moi, il est clair qu'il ne s'agit pas seulement d'une question de genre : les hommes eux-mêmes sont instrumentalisés par le système et souffrent également de la violence patriarcale qu'ils subissent depuis leur enfance. Au contraire, les hommes de notre classe sont nos premiers alliés dans la lutte contre le capitalisme et nous devrions tous nous unir sous un même drapeau pour construire une société différente.