Le 4 décembre 2024 à New York, un fils de famille aisée, brillant ingénieur, assassinait en plein rue à New York Brian Thompson le PDG de UnitedHealtCare, une des pires compagnies d’assurance des USA. Cet acte a suscité une vague de sympathie impressionnante aux USA alors même que l’establishment et les médias américains font leur possible pour dénoncer l’acte comme inadmissible, cruel, barbare…
Mangione, qui souffrent de problèmes de santé chroniques, a lui-même été confronté directement aux compagnies d’assurance. Voulait-il par son acte désespéré s’inscrire dans la logique de la tactique de « la propagande par le fait » issue des rangs des anarchistes de la fin du 19ème début 20ème ?
Les réactions de soutien à Luigi parmi les travailleurs américains montrent au moins une chose : les Américains les plus précaires sont prêts à s’en prendre avec violence au système de santé privé qui les opprime.
Le « business model » américain de la santé
Les messages de soutien à Luigi se comptent en centaines de milliers sur internet. Les influenceurs d’extrême droite qui tentent de condamner l’acte se prennent des back-clash monstrueux de la part de leurs propres followers. Les Américains relatent sans fin leurs – très – mauvaises expériences avec les compagnies d’assurance privées. On assiste même selon certains à un « me too » version sécurité sociale aux USA.
Il faut dire aussi que les Etats-Unis sont le pays au monde où la couverture santé coûte le plus cher – 700 $ en moyenne par mois et par personne – et UnitedHealth a la réputation d’être l’assureur qui indemnise le moins ses clients. Sa politique dite de « Delay, Deny, Defend » (« retarder, rejeter et contester » la prise en charge des soins) a poussé des millions de personnes à s’endetter ou à renoncer à se soigner, tandis que les profits de l’entreprise explosaient : ils ont doublé depuis 2017.
D'après le site StatNews, UnitedHealthcare savait que son algorithme avait un taux d'erreur extrêmement élevé et qu'elle avait sciemment rejeté les demandes des patients, tout en sachant que seul un faible pourcentage (0,2%) déposerait un recours pour tenter d'annuler la décision de l'assureur. Une plainte déposée par d’anciens patients allègue que l'algorithme, baptisé « NaviHealth Predict », a un taux d'erreur de 90%. Les avis favorables des médecins se trouvent ainsi cassés par la compagnie d’assurance…
Et ce pendant que la principale cause de « bankruptcy » (sorte de déclaration de faillite, mais pour les individus qui peuvent dès lors se retrouver exclus socialement ou pire à la rue, obligés de vendre leur maison etc.) sont les dettes médicales (qui affectent aujourd’hui presque la moitié des Américains…). Ce système de « soins » pousse également de manière perverse les personnes en situation de handicap et les malades de longue durée purement et simplement au suicide. La colère suscitée par cette situation dans les familles des victimes a été un carburant inespéré pour la campagne des fous furieux démagogues tels quel Trump et sa clique qui n’ont de cesse de dénoncer le déclin de l’Amérique.
Horreur et hypocrisie de la classe dirigeante
Pendant que les PDG américains se réunissaient en toute hâte et enlevaient leurs informations personnelles des sites comme Wikipédia pour se prémunir d’éventuelles répliques de l’acte de Luigi Mangione, tout l’establishment et les médias bourgeois condamnaient avec force cet assassinat politique. Mais ils se gardaient bien de parler des dizaines de milliers de morts prématurées dont les politiques injustes des compagnies d’assurance privées aux USA sont responsables chaque année.
Dans une moindre mesure nous avons ce même genre de débat en Europe, d’un côté la droite et l’extrême droite, qui rêvent de tout privatiser à part la police et l’armée, cherchent à rogner sur la sécurité sociale (que Bart de Wever appelle même « la maladie belge »), de l’autre, chiffres à l’appui, le monde associatif, les syndicats, les organisations vraiment de gauche… qui rappellent et expliquent sans relâche que toute coupe dans la sécurité sociale, particulièrement dans les soins de santé, entraine de graves problèmes sanitaires, de précarité, d’exclusion… qui coûtent au final bien plus cher sur le long terme à la collectivité que d’assurer correctement les individus via les services publics. De plus, la sécurité sociale est un conquis social important arraché dans le sang des luttes collectives par nos aïeux pour faire face à la difficulté de la vie sous l’exploitation capitaliste !
Nous avons besoin de militants pas de martyrs
Une vie de lutte vaut mieux qu’une minute de silence. Même si nous ne condamnons pas une seconde l’acte de Luigi, nous, les marxistes révolutionnaires, sommes opposés à la méthode du terrorisme individuel. Cependant il est primordial de rappeler que les vrais terroristes sont les pays impérialistes qui font régner la terreur dans le monde néocolonial, qui assassinent femmes, enfants et innocents par dizaines de milliers, à Gaza et ailleurs, depuis bien trop longtemps. Créant ainsi les conditions de chaos dans lesquels prospèrent les groupes terroristes.
Au lieu de gâcher le potentiel de futurs éventuels militants par des actes de désespoir isolés tel que celui de Mangione, il est bien plus utile pour l’émancipation des travailleurs, des colonisés, des opprimés… de développer ce potentiel dans la construction d’organisations liées à la classe des travailleurs, comme les organisations révolutionnaires telle que l’OCR. Pour former des cadres, intervenir collectivement le plus longtemps possible dans les mouvements sociaux pour tenter d’augmenter le niveau de conscience des travailleurs, et pousser pour que les méthodes efficaces, et historiquement porteuses, du mouvement ouvrier soient employées correctement. En effet, 1000 assassinats politiques ne vaudront jamais dans la conscience collective ne serait-ce qu’une seule grève générale insurrectionnelle victorieuse.
Les révolutionnaires, et même une majorité des anarchistes en réalité, ont tiré les leçons de période dite de la « propagande par le fait » du 19ème siècle depuis longtemps déjà. Cette façon de procéder, qui consiste en des assassinats de hauts représentants de la classe dominante pour tenter de créer de l’émulation politique dans la société, est la conséquence d’une démoralisation politique, du pessimisme (ou « doomerism » comme on l’appelle aujourd’hui). Elle traduit un manque de confiance évident dans les forces pourtant incommensurables du mouvement ouvrier organisé, qui, lorsqu’il se mobilise, est capable de déplacer les montagnes !
À la suite de ce genre d’attentat politique, on assiste souvent à un bref sursaut de soutien moral parmi la masse des exploités, mais qui s'essouffle ensuite sans laisser d'organisation pérenne derrière lui. Il en fût de même au 19ème siècle. De plus, la classe dirigeante utilise à chaque fois ce genre d’actes comme prétexte de plus pour justifier le tout sécuritaire et la répression.
La nécessité d’une révolution prolétarienne
Le capitalisme, que ce soit aux USA ou ici, va de crises en crises, il est actuellement dans un état de putréfaction tel qu’on doit certainement pouvoir en sentir l’odeur depuis l’espace. Dans ce contexte, il était quasiment inévitable que ce genre d’actes individuels se produisent à nouveau.
Du fait de la « perma-crise » capitaliste, la conscience collective des travailleurs que le système leur roule littéralement tous les jours dessus va en augmentant. À cause de la violence qu’ils subissent au quotidien, une colère légitime, et de plus en plus grande, se fait jour chez les travailleurs. Au lieu d’exploser aléatoirement, et de façon peu conséquente au final, elle doit au contraire, pour espérer vaincre, trouver une expression organisée dans la construction d’un rapport de force sur le long terme via des mouvements sociaux d’ampleur. Pour cela il s’agit de renouer avec les grèves générales, occupations, blocages de l’économie, mobilisations massives et contagieuses, via un plan, une coordination d’actions nationale, décidée démocratiquement par la base qui construira la solidarité.
Ces mouvements doivent être déterminés à mener un combat collectif pour le renversement du capitalisme et pour la mise en place d’une société socialiste. Une société où les travailleurs gèrent démocratiquement et collectivement les caisses dans lesquelles ils cotisent tous les jours pour s’assurer que chacun ait un toit, de quoi manger, une assurance santé, un accès à l’éducation, à la culture, un travail qui sert le bien commun, des loisirs, du temps libre…
Ces mouvements sociaux ne tarderont pas à (re)éclore aux USA (comme ailleurs). Et ce même si les dirigeants capitalistes américains tentent de maintenir les plus pauvres enchaînés dans une forme « d’esclavagisme » par la dette médicale.
Les parasites capitalistes ne sont pas au bout de leurs surprises !