Interview réalisée auprès de Guillaume Eudeline, militant de notre organisation en France
Quelle est la cause de la crise du régime en France ? Est-ce que c'est, comme l'affirment certains médias, la faute de Macron ?
Il est vrai qu’on entend très souvent quand on allume la télévision : « La crise est créé par l’irresponsabilité de Macron, en dissolvant l'Assemblée nationale. » En réalité, ce n'est pas le cas.
En fait, ils inversent la cause et l'effet en quelque sorte. C'est à cause de la crise de régime que Macron a dissout l'Assemblée nationale. En réalité, cette crise plonge ses racines dans le déclin irréversible du capitalisme français. Un capitalisme français qui recule depuis des années, qui recule sur tous les marchés. Il est de plus en plus concurrencé sur le marché mondial, sur le marché européen, même sur son marché national.
Alors pourquoi est-ce que la bourgeoisie française n'a pas réussi à faire comme ses concurrents, en réduisant ‘le coût de travail’ en faveur de la bourgeoisie ? Tout simplement parce qu'elle est effrayée par les grandes traditions révolutionnaires de la classe ouvrière française. Elle a été effrayée par mai 68, effrayée par la grande grève de 95, puis par le mouvement de 2006 avec le CPE.
De ce fait la classe dirigeante marchait sur des œufs. Sauf qu'après la crise de 2008, elle a dû commencer à attaquer la classe ouvrière frontalement, au détriment de la stabilité politique du régime capitaliste.
Sarkozy, en 2008, a sauvé les banques et les multinationales en injectant massivement des centaines de milliards d'euros d'argent public dans les banques et les multinationales. Ensuite, François Hollande est arrivé au pouvoir. Et c'est par le biais du Parti socialiste (PS), donc de la gauche, que la classe dirigeante a intensifié ses attaques envers les travailleurs avec la loi travail en 2016. Hollande était tellement impopulaire qu'il ne pouvait pas se représenter pour une seconde candidature. La crise du régime s’accentuait.
Macron, en 2017, va gagner sur une sorte de politique de rejet des partis traditionnels, de la gauche et de la droite, sur fond de forte abstention et de polarisation politique, la France insoumise et le RN feront un gros score.
Ensuite arrivent les Gilets jaunes. En 2022, Macron gagne encore sur fond de polarisation politique encore plus forte et d’une dynamique plus forte à l'extrême droite qui s’accentue. Mais il n’a pas de majorité absolue au Parlement. C’est dans ce contexte qu’il choisit de dissoudre l’assemblée de juin dernier. Cette crise de régime prend ses fondements directement dans la crise économique du capitalisme français. Tous les partis qui ont mené des politiques d’austérité lorsqu’ils étaient au pouvoir sont profondément détestés.
La dette française explose. Il y a plus de 3 000 milliards de dette publique, soit 112% du PIB. Les investisseurs attaquent la dette française : le seul paiement des intérêts pourrait atteindre les 100 milliards d’euros d’ici 2028. La bourgeoisie a besoin de rapidement mettre en place des politiques d’austérité, sauf qu’elle ne dispose d’aucun socle stable à l’Assemblée nationale. Par ailleurs, cela risque à tout moment d'entraîner de fortes mobilisations sociales, comme avec le mouvement contre la réforme des retraites.
Vu le caractère structurel de cette crise, on se demande si un parti politique de gauche, comme la France insoumise (FI), peut mettre un terme à cette crise de régime et faire tomber Macron?
Ça dépendra de la FI, si elle se dote d’un programme radicalement à gauche ou pas. Lors des dernières élections elle s’est alliée sous la NUPES puis le NFP, avec les partis discrédités tels que le PS, les Verts et le PCF. C’est précisément l’opposé de ce qu'il s'agirait de faire, au lieu de radicaliser leur programme à gauche, qui serait pourtant nécessaire pour tenter de rallier les masses, LFI dissout peu à peu son programme dans les revendications "communes" des ces mutliples alliances et autres fronts.
Aujourd'hui, la FI pousse pour la destitution de Macron. C'est quelque chose qui est vu de manière favorable par des millions de travailleurs qui détestent Macron. Mais en s’en tenant au cadre de l’Assemblée nationale ce ne sera pas possible. Ce que devrait faire la FI, c'est, au lieu de ne mener qu'une lutte parlementaire, se servir de la tribune que leur offre le Palais Bourbon pour expliquer que l'axe de la lutte ne se trouve plus à l'Assemblée nationale, mais dans la rue, dans les entreprises. Ils doivent participer à l'organisation d'un mouvement social puissant de grèves reconductibles, de manifestations pour renverser le gouvernement, Macron y compris. C’est la seule solution et c'est ce qui leur permettrait aussi de concurrencer le RN.
Parce que pour le moment, la dynamique est à l'extrême droite. Le ‘Front républicain’ lors des élections législatives a poussé des candidats de la FI à se désister au profit de candidats macronistes. Le RN s’en sert de manière très habile par sa démagogie, sa rhétorique antisystème, sociale, etc.
En fait, le RN, comme l'extrême droite un peu partout, monte à cause des trahisons des réformistes de la social-démocratie. À cause des trahisons du PS qui a mené la même politique que la droite quand elle était au pouvoir, le RN gagne du terrain, il profite aussi des erreurs de la FI qui empêchent de convaincre des électeurs du RN exaspérés par la situation et ainsi que les abstentionnistes qui font partie des couches les plus opprimées, les plus exploitées de la population qui attendent vraiment une alternative radicale à la politique de Macron.
Le gouvernement Bayrou promet d’être un gouvernement austéritaire. Est-ce qu'il y a des actions syndicales qui sont prévues pour répondre à ça ?
La direction confédérale de la CGT se refuse à organiser un véritable mouvement à l’échelle nationale malgré l’appel à des journées d’actions par-ci, par-là. Ce qui est désolant c’est que plus le gouvernement est faible, plus les directions syndicales modèrent leur position... Parce que ce qui effraie la direction confédérale de la CGT, c'est un mouvement social qui les dépasserait et qu'elle ne pourrait plus contrôler. Et vu la radicalité de la situation, vu la colère qui existe dans la société, un mouvement d'une telle ampleur pourrait émerger à tout moment. Par exemple suite à la vague de licenciements, il y a 200.000 emplois qui sont menacés directement par les fermetures de sites industriels. La CGT a appelé à un moratoire sur les licenciements. Ça revient à demander gentiment au gouvernement « s'il vous plaît, faites que les patrons n'agissent pas dans leur intérêt ». Et on sait que c’est quelque chose qui est totalement impossible si on ne les y contraint pas.
Cette stratégie des journées d'action qu'utilisent les directions des syndicats depuis des années ne fonctionnent tout simplement pas. En réalité, ils font cela pour ouvrir un peu la soupape, pour calmer les masses. Et pour limiter la portée d'un mouvement. Pour qu'un mouvement, justement, ne devienne pas assez puissant pour menacer le gouvernement et la domination de la bourgeoisie.
Face à une telle direction syndicale, une aile gauche dans la CGT, qui s'appelle Unité CGT, se développe.
En 2023, en pleine lutte contre la réforme des retraites, s’est tenu le congrès de la CGT. L'aile gauche y est arrivée en force et le bilan de la direction sortante a été rejeté. Les dirigeants d’Unité CGT critiquaient cette stratégie des journées d’action et pointaient la nécessité d’une grève reconductible dans un nombre croissant de secteurs de l’économie. Par ailleurs, face à la vague actuelle de licenciements, ils proposent un autre programme que la direction confédérale. Ils parlent de “nationaliser, sous contrôle ouvrier, les grands groupes industriels, des donneurs d’ordre aux sous-traitants”. Nous sommes d’accord avec cela !
Unité CGT devrait mener une vaste campagne, au sein de la CGT, pour doter l’ensemble du syndicat d’un tel programme. Cela signifie qu'il y a une polarisation à l'œuvre dans le mouvement syndical, qui commence dans la CGT. Mais elle devrait prendre place dans l'ensemble du mouvement syndical. Et d'ailleurs, les fermetures d'usines et les licenciements pourraient accélérer cette polarisation.
Beaucoup de travailleurs se rendent compte que la dette publique vient des quantités astronomiques d'argent public que l'État a donné aux grandes entreprises (CICE, cadeaux fiscaux...) qui sont maintenant en train de licencier alors même qu’environ 150 milliards d’argent public par an ont été donnés aux grandes entreprises sous prétexte qu'elles favorisent l'emploi.
En réalité ce n’est pas parce qu'on leur donne de l'argent public qu'ils vont investir dans la production. Non, ils investissent dans la production que s'ils pensent que ça leur sera profitable. Or, avec la réduction de la demande qui existe actuellement, pour eux, c'est beaucoup plus profitable de licencier que d'investir dans la production pour maintenir l’emploi.
Quel est le rôle d'un parti communiste révolutionnaire dans cette situation explosive ?
Si un tel parti était massif, il pourrait pousser vers une crise révolutionnaire. Il pourrait amener la classe ouvrière à la victoire en donnant les bons mots d'ordre au bon moment, et amener les processus de la révolution jusqu'au bout, jusqu’à la prise de pouvoir. Le problème est que ce parti n'existe pas encore, nous ne sommes pas encore assez nombreux, donc il faut le construire. Alors, comment le construire ? La crise du capitalisme provoque une radicalisation brutale, notamment dans une fraction de la jeunesse qui s'oriente aujourd'hui rapidement vers les idées communistes révolutionnaires.
Il y a des sondages qui l'avaient montré, que 30% des jeunes de 18 à 24 ans en France pensent que le communisme était une idée d'avenir. Notre rôle aujourd'hui est de s'adresser le plus directement et le plus clairement possible à cette couche-là, de recruter les meilleurs éléments et de les former politiquement. C'est pour ça qu'on a fondé le Parti Communiste Révolutionnaire le mois dernier. Ensuite, cette couche de cadres, bien formés et organisés, pourra devenir un point de référence pour l’avant-garde de la jeunesse et des travailleurs. C’est la seule voie vers la construction d’un authentique Parti de la classe ouvrière en France.