Nous recommandons la lecture du livre « Class Conflict and Trade Unions in Amazon », qui se compose de deux textes précieux : le premier de Chua et Cox, contributeurs d'« Amazonians United », l'organisation para-syndicale des travailleurs d'Amazon aux États-Unis ; le second, de Marco Veruggio, résume le travail effectué par le projet « Amazon, la società del futuro? » (« Amazon, la société du futur ? ») et traite de la condition des travailleurs d'Amazon en Italie.
L'histoire commence en avril 2022, lorsqu'un groupe de travailleurs dirigé par Chris Smalls est licencié de JFK8, le centre de distribution d'Amazon à Staten Island, après avoir mené une grève pour dénoncer des conditions de travail insalubres. Chris Smalls a subi de nombreuses représailles de la part de l'entreprise, un licenciement, deux arrestations et toutes sortes de pressions, mais les travailleurs ont fini par l'emporter en obtenant la reconnaissance officielle du syndicat local. C'était une victoire de David contre Goliath, d'une vingtaine de militants contre une entreprise pesant 470 milliards de dollars !
Chua et Cox décrivent en détail comment Amazon a réussi à se transformer depuis 2008, passant d'un détaillant de niche à la plus grande entreprise de commerce électronique au monde, et ce grâce à une évasion fiscale systématique, surpassant dans le domaine des entreprises comme UPS et US Mail, qui ont des chauffeurs syndiqués avec des salaires élevés, alors que la main-d'œuvre d'Amazon est en grande partie précaire et indécemment payée. La stratégie d'Amazon consiste en effet à attirer une main-d'œuvre expulsée des centres urbains et qui provient des banlieues industrielles délabrées des États-Unis. Dans ces lieux désertés et abandonnés par le capital industriel, le géant de Seattle recrute pour ses entrepôts une main-d'œuvre en grande partie immigrée.
Amazon possède actuellement 264 grands centres de distribution aux Etats-Unis, ce qui constitue 13,2% des lieux de travail de plus de 1000 travailleurs !
Le visage de la nouvelle classe ouvrière
Dans chaque site, on trouve un mélange de travailleurs récemment immigrés, de Sud-Américains, d'Asiatiques, d'Africains, de Noirs et de Blancs, d'évangéliques, de catholiques, de musulmans, de gays et de transgenres, et les femmes sont souvent plus nombreuses que les hommes. En d'autres termes, les travailleurs d'Amazon sont le nouveau visage de la classe ouvrière américaine.
Il est intéressant de noter que les syndicats les plus performants (Amazonians United et Amazon Labor Union) sont des organisations indépendantes qui ont mis en place des formes d'organisation contrôlées par la base, par les travailleurs.
Les syndicats traditionnels, totalement bureaucratiques, se contentent d'exercer une pression politique sur les institutions, une ligne qui a totalement échoué. Pour gagner, il faut créer des rapports de force favorables et une conscience révolutionnaire. C'est ce que concluent Chua et Cox, conclusion que nous partageons pleinement.
Veruggio, quant à lui, évoque les types de contrats qui prévalent en Italie. Temps partiel vertical, temps partiel horizontal (1), travail temporaire. Des contrats qui ne durent que quelques mois, les travailleurs étant souvent renvoyés à la maison après un an de travail, le renouvellement ou le non-renouvellement du contrat étant souvent communiqué au travailleur la veille, voire le jour même.
Malgré la victoire de JFK8, Amazon reste une entreprise largement non syndiquée aux États-Unis. En Europe, grâce à la force du mouvement syndical, le syndicat a réussi à entrer dans les entrepôts : en Allemagne depuis la fin des années 1990, ainsi qu'en France (où le taux de syndicalisation est cependant faible) et en Grande-Bretagne (où, par la lutte, des augmentations de salaires ont été obtenues. Ces dernières, bien que jugées insuffisantes par le syndicat, ont entraîné une perte pour Amazon de l'ordre de 200 millions d'euros).
En Italie, la grève du 23 mars 2021 a eu un large écho et a abouti à un accord reconnaissant la présence syndicale dans les hubs et l'application de la convention collective du secteur de la logistique. Des augmentations salariales ont également été reconnues en octobre 2021, puis en 2022.
Flexibilité dans la lutte
Chez Amazon, le facteur temps est crucial pour l'action syndicale. Dans les entrepôts, il y a des bouleversements soudains et brutaux, qu'il faut organiser immédiatement. Les syndicats traditionnels, même lorsqu'ils sont présents, sont incapables d'assurer le niveau de démocratie et de mobilisation spontanée qui ne peut être imposé que par les travailleurs eux-mêmes.
À Colleferro, entre Rome et Frosinone, en décembre 2021, un millier de travailleurs se sont inscrits à un chat organisé par l'UIL (Unione Italiana del Lavore, l'un des principaux syndicats en Italie). Comme la confirmation du renouvellement de leur contrat n’était toujours pas faite après Noël, la bureaucratie syndicale a déclaré qu'une solution serait trouvée grâce à une négociation avec l'entreprise. Mais le temps a passé et la solution n'est pas arrivée, si bien que les travailleurs ont décidé de former un nouveau chat de 150 à 200 membres et ont organisé la mobilisation. Là encore, le choix du moment était crucial : il fallait prendre l'initiative au bon moment, lorsque la volonté de se battre était la plus forte.
Cela montre la nécessité de remettre les syndicats sous le contrôle des travailleurs et de bannir les pratiques bureaucratiques et institutionnelles qui ont caractérisé l'action syndicale traditionnelle ces dernières années. Ces pratiques, déjà peu efficaces en général, le sont encore moins chez Amazon, alors que les formes de lutte les plus audacieuses et les plus immédiates sont favorisées par la grande familiarité des travailleurs avec l'utilisation des réseaux sociaux et de la technologie dans le cadre de leur travail.
Une autre faiblesse d'Amazon est qu'il est très compliqué d'organiser une tactique de « diviser pour régner », étant donné qu'une grande partie de la main-d'œuvre est peu qualifiée et donc peu stratifiée.
Selon les chiffres, plus de 44 000 travailleurs, dont 13 394 ont été prolongés, sont passés par les entrepôts d'Amazon en Italie jusqu'en 2021.
À cela s'ajoute le secteur des chauffeurs, qui est largement externalisé dans la chaîne de sous-traitance selon le modèle d'exploitation établi dans l'ensemble de la logistique.
Plus de la moitié des travailleurs (50,7 %) ont entre 15 et 29 ans, et 35,7 % de la main-d'œuvre est féminine. Une classe ouvrière jeune, multiethnique et avec une forte composante féminine ne manquera pas de faire entendre sa voix.
Toutes les sections et cellules du Parti Communiste Révolutionnaire (Italie) devront s'orienter dans les mois et années à venir vers les travailleurs d'Amazon. Il s'agit d'un facteur stratégique pour nous, comme le confirme l'intérêt que nous avons constaté ces dernières années aux portes des entrepôts.
1) Le temps partiel vertical est un régime de travail à plein temps pendant des jours décidés par l'employeur. Le temps partiel horizontal est un régime de travail où l'employé travaille tous les jours pendant seulement quelques heures.