« Nous ne pouvons que constater qu’aucun acte d’enquête actif ne peut encore être posé dans ce dossier ». C’est en ces termes que la nouvelle procureure fédérale Ann Fransen, la mine grave, s’est adressée à la presse réunie au Justitia à Haren le vendredi 21 juin 2024 en fin de matinée. Et pour cause, la fermeture du dossier des Tueries du Brabant est un échec pour la justice belge.

Cette série de crimes sanglants perpétrés en Belgique entre 1982 et 1985 ont semé la terreur dans le pays et restent à ce jour l'une des affaires criminelles les plus troublantes de l'histoire belge. Les attaques, qui ont fait 28 morts et de nombreux blessés, se caractérisaient par une brutalité extrême et ciblaient principalement des civils dans les supermarchés, notamment ceux de Delhaize. Parmi les nombreuses théories avancées pour expliquer ces crimes, l'implication de groupes d'extrême droite occupe une place centrale, même si l’enquête, qui est maintenant close et qui a duré 40 ans, n’a abouti à aucune condamnation ou à ne serait-ce qu’un seul nom.

Les réseaux « Stay Behind »

Les Tueries du Brabant se distinguaient par une organisation militaire et une violence extrême. Les assaillants, utilisaient des armes lourdes, tuant hommes, femmes et enfants indistinctement. Les crimes semblaient soigneusement planifiés et suivaient une logique de terreur plutôt que de gain matériel. Bien que des vols aient parfois été commis, les butins étaient vraiment dérisoires. Tout laisse à penser que les assaillants n’étaient donc pas de simples braqueurs. Les vols n'étant pas assez rentables, la motivation de leurs actes doit forcément être ailleurs. Mais où ?

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Les années 1980 ont vu des phénomènes similaires se produire. Plusieurs groupes d'extrême droite en Europe ont adopté des stratégies de « tension » visant à créer un climat d'insécurité pour faciliter la mise en place d’un régime autoritaire. En Belgique, une piste a avancé que les Tueries du Brabant étaient une manifestation de cette stratégie visant à déstabiliser le pays et à renforcer les sentiments de peur pour qu’émerge une demande d’un Etat plus fort et plus répressif des mouvements sociaux (et des organisations de gauche) alors que ceux-ci connaissaient un regain d’intensité.

Durant ces années le contexte politique et social en Belgique est marqué par une instabilité notable. L'intensification de la guerre froide, la montée de l’extrême droite, la peur de la bourgeoisie de voir s’étendre l’influence communiste ont poussé certaines institutions anticommunistes à réactiver des réseaux « Stay Behind ». Ces réseaux de militants d’extrême droite ont été impulsés à la fin de la Seconde Guerre mondiale, dans le plus grand secret, dans l’unique but de contrer une éventuelle invasion soviétique. Visiblement les membres de ces réseaux liés à l’OTAN, on ne peut plus secrets et protégés, ont fini par passer à l’acte malgré l’absence d’invasion.

Comme lors des « années de plomb » en Italie, où une série d'attentats ont secoué entre les années 1960, 70, 80. Des groupes d'extrême droite comme « Ordine Nuovo » commettaient des attentats contre des civils pour instiguer la terreur dans la population et tentaient de faire accuser l’extrême gauche pour monter cette dernière contre elle. Les attentats les plus marquants des années de plomb incluent le massacre de la Piazza Fontana à Milan en 1969 (16 morts et 88 blessés) et l’attentat de la gare de Bologne en 1980 (85 morts et 200 blessés – le plus gros attentat de l’histoire de l’Italie).

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Les auteurs de l’attentat de la Piazza Fontana sont les membres d’Ordine Nuovo, mais l’enquête n’a abouti sur aucune arrestation de ses membres, peut-être parce qu’un des enquêteurs principaux sur l’affaire, Carlo Digilio, était en réalité un agent secret italien membre d’Orine Nuovo qui avait participé lui-même à l’attentat.

Concernant l’attentat de la gare de Bologne, des membres d'un groupe d'extrême droite ont fini par être condamnés grâce à l’abnégation des familles des victimes qui n’ont jamais lâché l’affaire. De plus, Licio Gelli, un homme d’affaire (recruté par la CIA en 1944 pour organiser le Stay Behind) qui était également un « vénérable maître » de la loge maçonnique « Propaganda Due », ainsi que deux officiers des services secrets militaires italiens ont également été condamnés dans cette affaire pour entrave à l'enquête. Ces événements ont suscité une grande méfiance de la population italienne envers les forces de sécurité et les institutions de l'État, à juste titre.

Au vu du contexte, cette piste est donc sérieuse en Belgique, ce qui force la police à l’investiguer. Elle va suspecter, entre autres, le groupe WNP (Westland New Post), un groupe néo-nazi belge, et recueillir certains témoignages qui vont relier le mystérieux « Géant », pseudonyme d’un des membres présumés des tueurs, à des milieux paramilitaires.

Mais ces pistes, comme toutes les autres, ne permettront pas de retrouver les tueurs. Comme pour l’Italie, il est plus que certain que les enquêtes ont été sciemment sabotées par les autorités et les institutions belges pour empêcher de trouver les coupables.

L'échec de la Stratégie de Tension

Même si, étant donné les résultats décevants de l’enquête qui laissent les familles des victimes dans une grande incompréhension, on ne peut prouver que cette piste est la bonne, on peut affirmer que si elle l’est, cette stratégie a clairement échoué. En Belgique comme en Italie les attentats n’ont pas réussi à incriminer la gauche radicale et n'ont pas réussi à la discréditer suffisamment. Ils n’ont pas non plus réussi à mettre en place un Etat répressif fort et autoritaire.

Au contraire, ces actes, de par leur brutalité et leur sophistication, ont accentué la perception d'impuissance des forces de l'ordre et ont alimenté des théories du complot, suggérant une complicité (plus que probable) des autorités. Les enquêtes qui ont révélé des liens possibles entre certains suspects des tueries et des membres des forces de l'ordre ou de l'armée ont exacerbé cette méfiance. En Belgique, plusieurs commissions parlementaires ont été formées pour enquêter sur les possibles complicités et manquements au sein des forces de l'ordre, mais n’ont pas abouti. En 2017, un ancien policier a été identifié comme un possible suspect, relançant les spéculations sur une connexion avec l'extrême droite, mais sans aboutir non plus à des conclusions définitives.

De plus, les travailleurs et travailleuses belges, déjà préoccupés par l'instabilité politique et les tensions sociales, n'étaient pas enclin à accorder davantage de pouvoir à un Etat perçu comme potentiellement complice ou inefficace dans la protection des citoyens.  

L’extrême droite aujourd’hui 

La puissance de la gauche de l’époque, et notamment des syndicats, a réussi à tenir l’extrême droite en échec. Aujourd’hui on aimerait pouvoir en dire autant.

La montée de l’extrême droite, due aux trahisons à répétition de la gauche et à la faiblesse de ceux et celles qui portent une alternative au capitalisme à réussir à se profiler comme suffisamment crédibles, pousse de nouveau des groupes d’extrême droite à passer à l’action, parfois très violement. De plus, les tentatives d’attentat liées à l’extrême droite font régulièrement les choux gras de la presse.

Encore tout récemment, le premier juillet dernier, un groupe d’extrême droite (le « Voorpost ») a attaqué un centre d’hébergement d’urgence pour migrants où résidaient notamment des femmes et des enfants en situation de détresse accrue.

Au poison du racisme diviseur, la classe des travailleurs et ses organisations doivent opposer un programme qui ancre la solidarité au cœur de la société et qui va chercher ses maux à la racine. Battre l’extrême droite nécessitera la mise en place de mesures de rupture avec le système capitaliste lui-même, car c’est ce système qui est la source du mécontentement général, des inégalités, de la violence, des oppressions et de la mise en concurrence des individus, immigrés comme autochtones, dans une logique du diviser pour mieux régner. C’est également ce système qui est la cause de la majorité des départs migratoires dans les pays néocolonisés soumis aux impérialismes, aux guerres et aux crises.

Partout, ici comme là-bas, l’extrême droite monte, se fait de plus en plus violente, et pire que tout, elle reçoit de plus en plus de soutien des capitalistes, comme ils l’ont fait par le passé au moment des stratégies de tension et des réseaux Stay Behind.

L’Organisation Communiste Révolutionnaire se bat et s’organise pour enfin trouver le moyen d’obtenir une victoire concrète de notre classe face à tous ceux qui nous pourrissent la vie dans le seul but de maintenir leurs positions sociales et l’exploitation capitaliste qui les enrichit au détriment de la majorité de la classe laborieuse.

 

Sources :

https://www.rtbf.be/article/tueurs-du-brabant-le-parquet-federal-annonce-officiellement-avoir-pris-la-decision-de-cloturer-l-enquete-11396596

https://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMEve/1014#:~:text=L'acte%20est%20attribu%C3%A9%20%C3%A0,dans%20un%20train%20en%201974.

http://antonella.beccaria.org/libri/attentato_imminente_definitivo.pdf

https://www.rtbf.be/article/tueurs-du-brabant-implique-par-un-temoin-libert-presente-vdb-comme-un-des-leaders-du-westland-new-post-9929385

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