On n’est jamais vraiment préparé à une fermeture. Les 150 travailleurs de l’entreprise de logistique DSV Logistics à Feluy ont reçu la nouvelle début février. Ils se sentent trahi par leur direction et leur client mais ne se laissent pas aller à leur sort. Ils disposent d’un butin de guerre de 14.000 palettes de marchandises pour une valeur totale de 50 millions d’euros et sont bien décidé à en faire usage. Le bras de fer a commencé. Un première victoire de taille a été obtenue.
Un travailleur qui veut rester anonyme nous plante le décor. Pour en savoir plus sur l’entreprise, nous vous renvoyons au cadre ci-dessous.
Révolution : L'annonce de la fermeture de DSV Logistics, entreprise de logistique à Feluy a surpris les travailleurs et leurs syndicats. Pourquoi cette décision? et que se passe-t-il dans le secteur de la logistique?
Travailleur de DSV Logistics: Certes nous avons été surpris d’une telle nouvelle, mais nous pressentions déjà depuis juillet 2016, que le vent tournait. A notre insu, le client utilisait depuis des mois un entrepôt à Wilrijk, géré par un autre prestataire. Depuis des mois, il nous était demandé d’expédier notre stock marchandise vers ce site, faisant fondre le nôtre à vue d’œil puisque plus aucune marchandise ne rentrait. La délocalisation était en marche.
Malgré l’expression de nos vives inquiétudes, notre direction, et le client, nous assuraient que c’était normal de faire jouer la concurrence entre plusieurs sites. Ce 10 février, DSV nous annonçait que le client Dow souhaitait rompre le contrat commercial, 6 mois avant échéance, et qu’ils mettaient en vente leur bâtiment dans lequel nous travaillons, ce que nous considérons comme une expulsion pure et simple.
Je ne sais pas ce qu’il se passe dans le secteur de la logistique mais notre client a depuis toujours mis en concurrence les transporteurs afin d’obtenir des contrats au rabais. Le client est toujours intervenu à outrance dans la gestion des opérations du prestataire, s’immisçant sans cesse dans les décisions prises et ce, jusqu’à avoir leurs bureaux dans le même bâtiment que notre employeur. Aussi, avec l’arrivée de Dow, Dow Corning Europe n’a pas su vendre l’importance du site stratégique de Feluy et encore moins les qualités des travailleurs présents sur site, certainement aussi parce qu’une partie de ce personnel comptait de nombreux délégués syndicaux désobéissants. Sur leur site de Wilrijk, la résistance syndicale est aujourd’hui inexistante.
Révolution : Comment réagissent les travailleurs? Et quelle est la réponse syndicale?
Les travailleurs se sont unis, les employés et les ouvriers ont rapidement donné le ton. Ils se sont sentis profondément trahis et ont rapidement réagi en refusant de laisser sortir leur dernière monnaie d’échange pour des négociations sur leurs conditions de licenciement : un stock resté en nos murs d’une valeur de 50 millions d’euros.
Les délégations ont transmis les demandes légitimes des travailleurs à la direction DSV lors des différentes réunions, insistant sur l’urgence de proposer des conditions de départ dignes pour les 150 travailleurs bientôt lâchement licenciés.
Révolution : Que voulez-vous obtenir et comment envisagez-vous l'obtenir?
Le bâtiment est en vente, aucun repreneur n’est intéressé et ne le sera pas dans les 6 prochains mois. Ce délai est trop court. Il n’y a quasi aucune chance que l’on nous assure la continuité de notre emploi. Donc, les travailleurs demandent des dédommagements financiers, estimant ne pas devoir subir la décision prématurée de la rupture de contrat du client.
Après 1 semaine de rudes discussions avec notre employeur, nous avons voté et accepté à la majorité de laisser une marge de manœuvre pour la négociation en laissant sortir la marchandise de manière contrôlée et organisée. Ces négociations sont toujours en cours. Les travailleurs menacent d’arrêter le travail à tout instant si de franches avancées dans les négociations ne sont pas obtenues.
Si les négociations vont dans notre sens, tout le stock sortira à notre rythme, si pas, nous n’avons plus rien à perdre !
Révolution : Qu'est-ce que cette fermeture peut-il nous apprendre sur les patrons et leur système?
Dans ce cas, les patrons (et les actionnaires) des diverses parties avides de profits se sont associées et ont précipité notre perte, nous travailleurs. De par leur incompétence, de par leurs (dés)intérêts personnels et communs, ils n’ont pas hésité une seule minute à nous broyer dans leur machine capitaliste. L’un (le client Dow) et l’autre (l’employeur DSV), tout comme de nombreuses autres entreprises, utilisent ces stratégies de concentration/fusion/rachat pour devenir des monstres géants prêts à tout engloutir. Le savoir-faire, la technologie, la qualité de la main d’œuvre ne sont plus des critères déterminants dans leurs stratégies.
Lors de réunions de crise, le management démuni face à notre résistance, se paie le service d’avocats et d’huissiers, leur laissant gérer le pan social qu’ils veulent largement ignorer. Le client Dow lui se pavane indécemment encore dans les bureaux où ils ont sacrifiés les travailleurs, les harcelant de reprendre le travail, alors ceux-ci sont encore choqué de la nouvelle de leur licenciement prochain.
Si les délégations syndicales n’étaient pas présentes, nous nous serions fait jetés comme de vulgaires déchêts sans aucune considération alors que certains d’entre nous comptent une ancienneté de près de 30 ans, au service de ce même client. Heureusement, les délégués syndicaux sont là pour les rappeler à l’ordre et leur rappeler leur inhumanité.
Révolution : Quelle solidarité peut-il être organisée avec votre lutte ?
Beaucoup ont compris que seule notre solidarité pourra nous faire arracher un peu de dignité. Notre organisation, notre réflexion, notre détermination pourront seulement avoir raison de leur folie. Eux ont déjà compris qu’en s’unifiant, ils deviennent invincibles, qu’attendons-nous pour faire de même !??
Cadre 1 : Pour bien comprendre : DSV Logistics et son client unique Dow Corning Europe
UTi Logistics en tant que prestataire de service, détenait le contrat transport/logistique pour un seul client, Dow Corning Europe depuis 2002. En 2015, UTi Logistics a perdu le contrat transport au profit de Essers mais a continué la gestion logistique. Il y a un an, le danois DSV a racheté UTi et licencié des milliers de travailleurs « doublons » de par le monde cette dernière année. Aucun licenciement n’avait encore été effectué par DSV sur le site de Feluy. Le contrat qui liait DSV à Dow venait à échéance en avril 2018.
Dow Corning Europe, client unique et leader dans le silicone, possède un site de production à Seneffe. Il a toujours utilisé un partenaire transport/logistique pour ses expéditions air/mer/route. Dow Corning Europe a été absorbé par les deux géants Dow et Dupont et est devenu Dow en 2015. Durant sa 1ere année d’intégration, Dow a licencié une centaine de travailleurs à Seneffe fin 2016, et des milliers d’autres travailleurs dans le monde entier.
Aussi, le bâtiment construit en 2012 à Feluy est la propriété du client Dow Corning Europe, DSV n’en est que locataire et il est l’employeur d’un personnel de 100 ouvriers et 50 employé(e)s.
Cadre 2: Victoire syndicale unique obtenue face au géant de la Chimie: une prolongation du contrat a été signée jusqu’au 11 février 2018!
Ce 3 mars, après 3 semaines d’âpres négociations, de ténacité acharnée et de solidarité de tous les travailleurs, les délégués, épaulés par leurs permanents syndicaux, ont fait plier la multinationale américaine Dow.
Celui-ci fait un revirement à 180° et prolonge son contrat avec DSV Logistics jusque mi-février 2018!
Pourquoi ? Leur site de Wilrijk n’était pas dans les temps logistiquement pour assurer le transfert d’activité, il a rapidement été dépassé et n’a pas su absorber les retards occasionnés suite à l’annonce de fermeture de Feluy. En perte, Dow s’est vu obligé de faire marche arrière.
Une belle victoire qui permet aux travailleurs de se sortir temporairement la tête hors de l’eau. Cette prolongation permettra d’une part, de retrouver peut-être un nouveau client et de sauver un maximum de travailleurs et d’autre part, elle permettra de négocier le plan social un peu plus sereinement.