Au cours de ces derniers mois, l’instabilité du régime du général Musharraf, au Pakistan, est apparue au grand jour. Après le mouvement des avocats, en mars, contre la suspension du chef de la Cour Suprême du pays, Iftikhar Chaudry, il y a eu l’assaut militaire contre la « Mosquée rouge », en juillet. Ces deux événements illustrent une crise profonde de l’appareil d’Etat, qui est la conséquence de la complète faillite du capitalisme pakistanais.


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Un demi-siècle après son indépendance formelle, le Pakistan demeure largement dominé par l’impérialisme. Les politiques d’« ajustement structurel » dictées par la Banque Mondiale et le FMI y ont provoqué, comme partout ailleurs, un véritable désastre économique et social.

74 % de la population vit sous le seuil de pauvreté. L’inflation des produits alimentaires a dépassé la barre des 15 %. La santé publique est en ruine : 82 % de la population est obligée de recourir à des médecines non-scientifiques. 52 % des enfants – dont une nette majorité de filles – ne vont pas à l’école primaire. La mortalité infantile est la plus forte de toute la région : 88 pour 1000 naissances. 80 % de la population n’a pas facilement accès à l’eau potable. Le chômage est endémique. Chaque jour, 10 000 pakistanais sombrent dans la pauvreté.

Les fondamentalistes exploitent la pauvreté et le désespoir des masses de la façon la plus cynique. Cependant, il ne faut pas oublier que le fondamentalisme est la créature de l’impérialisme américain et de l’Etat pakistanais. La dictature du général Zia, arrivé aux commandes par un coup d’Etat, en 1977, s’est efforcée de se consolider en recourrant au fanatisme religieux, avec l’appui enthousiaste des Etats-Unis. Par la suite, les Etats-Unis et l’Arabie Saoudite ont financé à coups de milliards de dollars la « guerre sainte » menée à partir du Pakistan contre le gouvernement du PDA, en Afghanistan, puis contre les troupes soviétiques qui y étaient intervenues, en 1979.

L’ISI (les services secrets pakistanais) a joué un rôle déterminant dans ce processus. Il s’est transformée en une structure parallèle – un Etat dans l’Etat – contrôlant une fraction toujours plus large du pouvoir. Depuis, sous tous les régimes qui ont succédé à celui du général Zia, mort en 1988, l’ISI n’a jamais cessé d’exercer son emprise sur le pays, y compris après le coup d’Etat de Musharraf, en 1999.

Corruption

Arrivée trop tard sur la scène de l’histoire, la classe capitaliste pakistanaise est faible, dégénérée, gangrenée par la corruption. Elle est incapable de développer les infrastructures économiques et de régler les conflits nationaux qui ensanglantent le pays. Pour couvrir ses intrigues et ses basses œuvres, elle n’a eu de cesse de s’appuyer sur l’appareil d’Etat, qui en conséquence a joué un rôle économique toujours plus important. C’est particulièrement le cas de l’armée. Aujourd’hui, les hommes d’affaires les plus riches sont les généraux.

Désormais, les différentes fractions de l’appareil d’Etat sont en lutte ouverte. L’épisode sanglant de la Mosquée rouge en est une illustration. En 2006, les écoles coraniques et les mosquées ont poussé comme des champignons : 60 dans la seule ville d’Islamabad. Le gouvernement s’en est inquiété et a commencé à les détruire, provoquant une réaction vigoureuse du clergé. L’escalade a mené à l’assaut contre la Mosquée rouge, qui était le centre névralgique des fondamentalistes – mais aussi, pour mémoire, le centre militaire de la « guerre sainte » en Afghanistan.

Comme si Musharraf n’avait pas assez de problèmes, l’administration américaine exerce une pression permanente pour qu’il intensifie sa « guerre contre le terrorisme » à la frontière avec l’Afghanistan. C’est d’ailleurs plus facile à dire qu’à faire. L’armée pakistanaise a déjà perdu plus de 800 soldats, et d’innombrables civils sont tués, avec pour seul résultat d’avoir apporté aux Talibans de nouvelles recrues pachtounes. La population est foncièrement opposée à cette guerre. Elle brûle de haine contre l’impérialisme américain, devant lequel Musharraf courbe l’échine.

Dans ce contexte, et étant donnée l’impasse dans laquelle se trouve l’économie pakistanaise, les possibilités d’une stabilisation politique et sociale sont très faibles. En fait, le régime de Musharraf ne tient déjà que par un fil. Il peut chuter à tout moment, et Musharraf lui même a échappé à plusieurs attentats très sérieux.

Après Musharraf ?

Qu’est-ce qui remplacerait ce régime ? A en croire les grands médias occidentaux, les fondamentalistes sont aux portes du pouvoir. Loin de nous l’idée de sous-estimer ce danger. S’ils arrivaient au pouvoir, les fondamentalistes instaureraient un régime ultra-réactionnaire et chercheraient à écraser le mouvement ouvrier (ce qui semble avoir échappé à certains clowns gauchistes qui les considèrent comme des alliés « anti-impérialistes »).

Cependant, les bases des fondamentalistes, dans la population, sont très fragiles. Leur influence décroît, surtout depuis qu’ils sont au pouvoir dans les provinces du Baloutchistan et du Pakhtoonkhwa (l’ancienne Frontière Nord-Ouest). Ils ont montré qu’ils ne constituaient pas une alternative, qu’ils poursuivaient la même politique réactionnaire que les autres, dictée par le FMI et la Banque Mondiale. Par ailleurs, les nombreuses grèves spontanées, à Karachi et dans le reste du pays, indiquent que l’opposition au régime actuel et au despotisme en général se développe, dans le mouvement ouvrier.

Les Américains semblent n’avoir pas d’autre alternative à Musharraf que de remettre en selle Benazir Bhutto, ex-premier ministre et actuelle dirigeante en exil du PPP (Parti du Peuple Pakistanais). Le PPP a surgi à l’époque de la révolution de 1968-69 et bénéficie d’une assise de masse. Ses textes fondateurs sont imprégnés d’idéaux socialistes et révolutionnaires, mais sa direction actuelle, complètement corrompue, est acquise à la cause du capitalisme.

Benazir Bhutto est un pion des Américains. Récemment, elle a engagé avec Musharraf des négociations en vue de former un régime « libéral » et pro-américain. Cependant, si Bhutto entraîne le PPP dans cette voie, cela provoquera de puissants remous dans la base militante du parti. Dans tous les cas, l’extrême droite de l’appareil d’Etat ne l’accepterait pas, et le régime de coalition ne durerait pas longtemps.

La classe ouvrière

Lorsque la classe ouvrière se jettera dans la bataille, d’énormes possibilités s’ouvriront pour les marxistes pakistanais (La Lutte), qui constituent l’aile gauche du PPP et représentent déjà une force significative, dans le pays. Si la direction du PPP est obligée de prendre le pouvoir en renversant le régime de Musharraf, elle entrera en conflit ouvert avec l’appareil d’Etat et ne pourra pas contrôler le puissant mouvement de radicalisation qui s’enclenchera, dans la population. Nos camarades seront alors en très bonne position pour se transformer en une force de masse.

Il y a longtemps, Lénine expliquait quelles étaient les conditions d’une révolution. Premièrement, la classe dirigeante doit être divisée et ne plus être en mesure de gouverner comme par le passé. C’est clairement le cas, au Pakistan. Deuxièmement, les classes moyennes doivent être dans un état de grande effervescence. Le mouvement des avocats indique précisément une violente oscillation des classes moyennes. Troisièmement, la classe ouvrière doit être déterminée à se battre et à faire de grands sacrifices pour vaincre. La lutte des travailleurs de l’acier, entre autres, montre que cette volonté existe. Quatrièmement, il faut une direction révolutionnaire capable de se placer à la tête du mouvement et de le mener à la victoire. La croissance rapide de l’organisation marxiste pakistanaise nous permet d’avoir pleinement confiance dans l’émergence de ce facteur décisif.

 

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