Le principe de l’égalité des sexes a finalement été inscrit dans la constitution belge en 2002, assez tardivement en comparaison des pays voisins. Malgré cela, discrimination salariale et sexisme sont toujours un lot quotidien pour la majorité des femmes. Comment mettre fin à l’oppression des femmes ?

À cause de multiples contraintes, comme le travail salarié, le travail ménager et l’éducation des enfants,  le temps et la force de s’engager dans des organisations politiques manquent à beaucoup de femmes. Celles qui y arrivent malgré tout demeurent, à cause de leur socialisation, souvent plus timides. Les grands discours sont habituellement tenus par les hommes, pendant que les femmes font le travail de soutien. 

Dans les organisations de gauche, des outils de contrôle comme le « Genderwatch » se sont imposés, et la revendication d’une discrimination positive se renforce. Le premier vise à rendre visible le sexisme caché, tandis que la seconde vise à hisser des femmes dans des positions dirigeantes, en ayant souvent recours à des systèmes de quotas.

Nous marxistes, n’élisons en aucun cas une personne sur la base de son sexe. Pour nous, les positions politiques de la candidate ou du candidat sont primordiales.

Aux moyens techniques, nous opposons des mesures politiques. C’est pour cette raison qu’il nous faut, en tant qu’organisation socialiste, des responsables qui veillent à faciliter et renforcer l’intégration de femmes dans les activités, l’organisation et les instances de notre parti.

Critique aux féminismes

Les féministes nous reprochent de négliger la question de genre, que nous verrions comme une contradiction secondaire, mise à l’écart de la contradiction principale, qui serait la lutte de classes. Pour des marxistes, cette division entre deux contradictions présupposées isolées est absurde. La libération des femmes est inséparable de la lutte des classes et de la perspective révolutionnaire.

Dans certains courants féministes, c’est précisément cette théorie de « deux systèmes » qui est très répandue. Celle-ci stipule que les deux systèmes d’oppression (le capitalisme et le patriarcat) existeraient en n’étant aucunement liés entre eux. Ils partent du constat que les femmes unies doivent mener la lutte contre le patriarcat. Des féministes voient un conflit insurmontable entre les intérêts des femmes et des hommes, ce qui demande une lutte des sexes. Parmi le mouvement féministe des années septante, des féministes radicales ont préparé la lutte contre les hommes en groupes non-mixtes, dans lesquels les femmes pouvaient discuter librement de la tutelle masculine.

D’un mouvement de masse, le féminisme s’est ensuite transformé en un style de vie individuel. Ceci est repris par la théorie de « l’intersectionnalité ». Cette théorie analyse les chevauchements entre différentes formes de discrimination à l’égard d’une personne. Une migrante homosexuelle serait ainsi plus oppressée qu’un travailleur blanc hétérosexuel. Ainsi, l’oppression est situé fortement envers la personne isolée, de sorte que chaque individu vit l’oppression d’une façon différente. C’est pourquoi seule la personne en elle-même peut connaître le chemin de sa propre libération.

Tant l’affirmation d’intérêts contradictoires entre les genres que l’appel à la lutte entre les sexes et l’individualisme propagé par certains courants féministes, jouent dans les mains des capitalistes. On fait ainsi obstacle à notre moyen de lutte le plus puissant : l’unité de la classe travailleuse dans un mouvement de masse révolutionnaire.

L’être détermine la conscience

Les féministes reconnaissent l’impact des idées sur notre société. Malheureusement, ils/elles se limitent au fait que seule la pensée doit être changée. En tant que marxistes, nous analysons comment la pensée se forme et comment les idées de la société se créent et sont influencées. Les féministes estiment qu’une fois ces idées modifiées, notre comportement changera à son tour, suivi ensuite de la société. On atteindrait ainsi l’égalité et abolirait l’oppression de la femme. Nous considérons que ce sont les conditions de vie extérieures, la production économique et reproduction sociale qui influencent la manière dont nous pensons et opérons. Les circonstances selon lesquelles la société dans laquelle nous vivons est organisée, comment elle produit et son rapport à la propriété, sont tout autant de facteurs ayant une influence primordiale sur la pensée. Les idées dominantes sont les idées de la classe dominante. Elles sont diffusées dans la société et servent au maintien des rapports dominants. Notre comportement est le reflet des conditions dans lesquelles nous vivons et avons vécu. L’idée que la femme ait sa place dans la cuisine, par exemple, s’est uniquement formée avec la naissance du capitalisme. Sous le féodalisme, la femme partageait le travail à la ferme avec son mari. La montée de l’industrialisation a ensuite prolétarisé la paysannerie. De nombreuses  femmes n’ont pas trouvé de place sur le marché de travail, ce qui a posé les bases matérielles de la dégradation des conditions de vie des femmes et du développement du travail reproductif, non-rémunéré (1). Ce ne fut pas une décision consciente des hommes. Et l’introduction de l’oppression des femmes n’a pas été non plus dans leur intérêt. Celle-ci a surgi des conditions matérielles historiques.

En résumé : « Ce n’est donc pas la conscience des hommes [et femmes] qui détermine leur être ; c’est, inversement, leur être social qui détermine leur conscience » (Marx, Préface de la contribution à la critique de l’économie politique)

Le genre socialement construit

Le sexisme fait partie de notre quotidien. Il s’appuie sur l’État, les entreprises, l’école, la médecine, etc., et il est profondément ancré dans la vision que nous avons de la définition des genres.

Des études montrent que, inconsciemment, nous éduquons différemment nos enfants en fonction de leur sexe – Ceci est un résultat du sexisme latent qui s’exprime dans l’imaginaire des rôles de genre.

Le genre contient des visions stéréotypées, que nous rencontrons aussi sur le marché du travail. Grâce à la science, la différence physique ne devrait aujourd’hui plus faire obstacle à l’occupation de certains métiers. Malgré ceci, nous rencontrons une division claire de métiers dits typiquement « féminins » ou « masculins ». Depuis le début de la société de classes, la division du genre du travail a eu un effet retardateur sur le progrès de l’humanité. Dans la mesure où le comportement doit correspondre au sexe, les gens ne peuvent pas s’épanouir librement.

Le rôle des femmes dans le capitalisme

Le capitalisme profite aujourd’hui du sexisme pour mettre les salaires des femmes sous pression et pour diviser la classe travailleuse.

Le capitalisme dépend du travail reproductif qu’il ne rémunère pas. Le salaire du/de la travailleur-se correspond au coût nécessaire à sa reproduction. Nous avons besoin de nourriture (qui doit être préparée), de sommeil, d’un toit et nous concevons des nouveaux-elles travailleurs-ses. Par conséquent, l’éducation et les soins sont des travaux reproductifs.

Selon l’idéal bourgeois, le mari est la principale source de revenus du ménage. Le salaire de la femme est vu comme un substitut pour une partie du travail salarié. Selon cette logique, le salaire des femmes est plus bas. Cet imaginaire présente un avantage pour l’économie capitaliste. Les femmes, comme aussi les migrant-e-s et les jeunes, sont utilisées pour faire du « dumping salarial ».

Le capitalisme a modifié à certaines époques la position sociale des femmes. :périodiquement il les « libère » de l’isolation de la sphère privée (du ménage, de l’éducation des enfants, du soin des aîné-e-s). Mais cela n’a pas été fait dans l’intérêt désintéressé du capitalisme. Le système dépendait à certains moments, au cours de l’intensification de l’industrialisation, pendant des guerres ou pendant la forte croissance économique, de cette main-d’œuvre supplémentaire.

Pendant les temps de crise, cette force de travail devient superflue. Pour cette raison, nous sommes aujourd’hui davantage confrontés à des points de vue réactionnaires de la part de la bourgeoisie. Les voix qui considèrent que l’éducation des enfants relève de la sphère privée deviennent plus courantes.

Semer la division

Les capitalistes tirent un avantage supplémentaire du sexisme : la division des salariés. En feuilletant actuellement les journaux, les protestations de masse et des grèves générales sont très courantes. Ceci ne peut pas laisser insensibles les capitalistes. Ils ont peur de perdre leur pouvoir. La question de leur pouvoir se pose chaque fois que les travailleurs-ses sortent dans la rue et s’organisent. Des opinions sexistes et racistes sont alors fomentées pour affaiblir leur unité. Les capitalistes veulent empêcher la riposte commune des travailleurs-ses et les distraire des problèmes centraux comme le mode de production capitaliste. Pour les marxistes, l’unité de la classe laborieuse est primordiale, parce qu’ensemble elle a la force de renverser le capital. La question des femmes ne doit ni être perçue comme une question au-delà des classes ni en tant que thématique isolée. La division des salarié-e-s amène à des luttes séparées et le refus mutuel, au lieu du combat commun contre l’oppression selon le genre ou la race et contre l’exploitation de tous les salariés.

Lutter ensemble

La position des femmes dans la société n’est rien de fixe. Elle se modifie avec le rapport de pouvoir entre le travail et le capital. Elle se transforme selon la pression que les travailleurs-ses émettent sur le capital. L’objectif continuel des capitalistes est la défense de leur propre pouvoir. Ceci présuppose la division de la classe travailleuse. Pour les marxistes, l’unité est clé, parce que c’est en elle que réside notre force. Il n’est pas possible de lutter contre le capitalisme sans lutter contre l’oppression des femmes, parce que celle-ci est une composante fondamentale du capitalisme. La famille nucléaire bourgeoise est nécessaire à la réalisation de tout le travail ménager non-salarié et pour élever des nouveaux travailleurs. Le travail reproductif est indispensable à la survie du capitalisme – mais il refuse de le payer. Ainsi l’oppression ne peut pas disparaître entièrement dans le système économique régnant. Cela ne veut pas dire que la lutte pour l’égalité n’est pas indispensable sous le capitalisme. Sinon nous n’aurions pas écrit cet article, n’organiserions pas régulièrement des conférences sur ce thème et ne lutterions pas pour des améliorations concrètes au sein du présent système. Ce faisant, nous sommes conscient-e-s des limites des réformes qui sont définies par le capitalisme. À travers la révolution, nous avons l’occasion de poser les conditions objectives à la réalisation de l’égalité. Nous pourrions par exemple organiser suffisamment de crèches, de cantines de quartier, de buanderies publiques, etc. Le travail ménager, l’éducation, la formation et les soins devront être organisés collectivement, car ceci est l’unique façon de faire le premier pas afin de briser l’imaginaire familial bourgeois et de terminer une fois pour toutes avec l’oppression des femmes.

 

1) Frédéric Engels fait la distinction entre travail productif (création de valeurs) et le travail reproductif,  travail destiné à refaire la capacité de travail de l’ouvrier, c’est-à-dire la travail dans le ménage (courses, soins, éducation des enfants, préparation des repas, nettoyage etc.).