Lundi 23 novembre, le tribunal correctionnel de Liège a condamné 17 syndicalistes à des peines de prison avec sursis et des amendes allant de 600 à 4800 euros. Parmi ces syndicalistes se trouve aussi Thierry Bodson, le tout nouveau président fédéral de la FGTB, qui écope d’un mois de prison avec sursis.

Le tribunal leur reproche une « entrave méchante à la circulation ». Lors de la grève générale de 2015, des militants grévistes de la FGTB ont en effet bloqué le pont de Cheratte à partir de 5 heures du matin. Ce pont est un endroit stratégique dans la circulation autoroutière en Belgique. Cet échangeur entre la E40 et la E25 est un des plus fréquentés de Belgique. Une action de blocage sur ce rond-point était donc nécessaire pour amplifier l’effet de la grève. Beaucoup de travailleurs de petites et moyennes entreprises se trouvent en effet souvent dans l’impossibilité d’exercer leur droit de grève : un blocage de ce type est donc un coup de pouce important pour le succès d’une grève générale.

 « L’entrave méchante à la circulation » est reprise dans l’article 406 du droit pénal belge, approuvé par le parlement après la grève du siècle de 1960-61. Lors des débats parlementaires qui ont précédé ce vote, il a été clairement dit que cet article ne s’appliquait pas aux mouvements sociaux. Mais l’expérience récente -la condamnation du président de la FGTB d’Anvers et l’actuel jugement à Liège - montre qu’il n’en est rien. Des lois qui prétendent ne pas être dirigées contre la protestation sociale, sont tôt ou tard mises au service de la répression antisyndicale et tournées contre des mouvements sociaux.

Ce ne sont pas tellement des syndicalistes individuels qui sont visés, mais tout un mouvement, c'est-à-dire les actions menées lors de la grève générale en 2015. La condamnation du président fédéral de la FGTB, Thierry Bodson, est loin d’être anodine. C’est le plus haut responsable syndical qui est ici visé et, avec lui, toute la FGTB et le mouvement syndical tout entier. Dans ce sens, le jugement du tribunal liégeois doit être vu comme un acte d’intimidation du mouvement ouvrier.

En soi, ce n’est pas tellement le droit de grève qui est menacé mais le type d’actions qui rendent l’exercice de ce droit plus efficace : un blocage surprise d’une autoroute, le blocage de l’accès à des terrains industriels, un piquet massif devant l’entrée d’un port... Ce qui irrite la « justice », la police, les patrons et la droite en général, c’est que ces actions ne soient pas « annoncées » à l’avance, et que les organisations syndicales ne demandent pas l’autorisation de les accomplir. On se doute bien de la réaction de la police si une organisation syndicale déposait une demande d’autorisation pour bloquer un des plus grands échangeurs du pays…

Le PTB a émis une proposition de loi visant à modifier l’article 406, visant à en exclure les actions collectives et les actions sociales. L’adoption de cette modification sera certainement un pas en avant. Le PS, par sa fédération liégeoise (comme s’il s’agissait d’une affaire locale), s’est montré solidaire avec les 17 syndicalistes. C’est bien, car il faut être le plus nombreux possible à condamner cette attaque contre la liberté d’action. Mais si le PS veut être conséquent il devrait aussi soutenir l’adoption au parlement de cette proposition de loi du PTB. Pour l’instant, silence radio sur cette question au Boulevard de l’Empereur.

Toute l’histoire de la lutte des classes montre que les patrons, la police et l’appareil judiciaire sont très « créatifs » dans l’interprétation des lois existantes. S’ils ne peuvent plus faire usage de l’article 406 du Code Pénal, ils en trouveront d’autres. En fin de compte, ce qui détermine l’espace dont peut faire usage ou non le mouvement ouvrier pour exercer son droit de grève, c’est le rapport de force. Ce rapport de force se mesure au nombre de grévistes, à leur motivation, à la durée des grèves, à la capacité à désarticuler l’économie capitaliste, à la popularisation des revendications, au soutien plus large de l’opinion publique et à la détermination des dirigeants du mouvement à aller jusqu’au bout. Et s’il faut piétiner des lois pour cela, tant pis.

Il est important aussi que cette situation soit analysée comme la conséquence des mouvements de grèves de 2015. Les organisations syndicales n’auraient jamais eu à affaire à une attaque aussi dure si le mouvement de 2015 ne s’était pas soldé par un échec cuisant. La défaite syndicale face au gouvernement MR-NVA a donné confiance de la droite pour continuer ses offensives, avec une opinion publique pourtant initialement favorable aux revendications des travailleurs.

La FGTB a décidé d’interjeter appel à ce jugement. Le syndicat appelle aussi à une journée d’action nationale et interprofessionnelle dans les entreprises partout dans le pays pour protester contre cette condamnation. C’est une initiative juste. Toute hésitation serait perçue comme un acte de faiblesse. Si le mouvement ouvrier subissait une défaite sur ceci, les syndicats belges, souvent peu enclins à bousculer l’ordre les jours de manifestation, risqueraient d’entrer dans une dynamique tout aussi craintive et conciliante avec la police et le patronat quand il s’agit de bloquer l’économie. Nous pensons que le CSC devrait rejoindre ces interruptions de travail. L’heure n’est pas à la division mais à l’unité dans l’action. Ces condamnations visent tous les syndicalistes, quelle que soit la couleur de leur drapeau. Ce ne sont pas seulement des syndicalistes qui sont visés, mais tous ceux et toutes celles qui mènent des actions collectives. Une attaque contre un est une attaque contre tous.