A la veille de la nouvelle journée d'action du 28 avril, le rejet de la loi Travail, dans la jeunesse et le salariat, n’est plus à démontrer. D’après les sondages, 70 % de la population s’oppose à cette loi réactionnaire. Le 31 mars, plus d’un million de personnes manifestaient pour exiger son retrait. Le soir même se tenait la première Nuit Debout. Les lycéens et étudiants sont descendus dans les rues à de nombreuses reprises, malgré les violences et provocations policières.

864410 prodlibe manif 31Cependant, le gouvernement a répondu en réaffirmant son soutien sans faille à la loi El Khomri. Ce n’est pas étonnant. Cette contre-réforme correspond aux besoins objectifs de la classe dirigeante française. Si elle est adoptée, les capitalistes pourront accroître sensiblement l’exploitation des salariés, diminuer leurs salaires et les licencier plus facilement. L’enjeu est de taille pour le grand patronat – et donc pour ses laquais Hollande, Valls et Macron.

En elles-mêmes, les grandes « journées d’action », comme celle du 31 mars ou du 28 avril, ne peuvent pas faire reculer le gouvernement. Beaucoup de travailleurs l’ont compris sur la base de leur expérience. Le mouvement contre la casse des retraites, à l’automne 2010, a échoué malgré plusieurs journées d’action mobilisant plus de 3 millions de personnes. Et pourtant, les directions syndicales n’en tirent aucune leçon.

L’attitude du gouvernement

Dans son communiqué publié le soir du 31 mars, la direction de la CGT affirmait : « Le gouvernement doit retirer son texte. Inutile de s’entêter plusieurs semaines (…). Les recettes qu’il propose avec le Medef sont toujours ringardes, cela fait plus de 30 ans en France comme en Europe que s’applique une baisse des droits des salariés, du coût du travail avec pour seules conséquences une montée du chômage et une augmentation des dividendes versés aux actionnaires (+25 % en 2015). » Qui les dirigeants de la CGT essayent-ils de convaincre, ici ? Ce n’est pas clair. Ils demandent au gouvernement de ne pas « s’entêter », puis développent l’idée que sa politique favorise « une augmentation des dividendes versés aux actionnaires ». Mais c’est précisément l’objectif de la loi Travail et de toute la politique du gouvernement ! C’est à cela qu’il « s’entête » depuis 2012.

« Inutile de s’entêter plusieurs semaines », disent les dirigeants de la CGT au gouvernement. Mais la loi Travail n’est pas un caprice d’enfant. C’est une contre-réforme taillée sur mesure pour les intérêts fondamentaux de la classe dirigeante. Le gouvernement est donc déterminé à tenir « plusieurs semaines », et même plusieurs mois, surtout s’il n’a affaire qu’à des « journées d’action », fussent-elles massives.

Le congrès de la CGT et la grève « reconductible »

Beaucoup de militants syndicaux ont conscience des limites des « journées d’action ». En avril, le congrès de la CGT a été dominé par des interventions réclamant la préparation d’une grève reconductible. De fait, seul un mouvement de grève reconductible embrassant un nombre croissant de secteurs économiques est susceptible de faire reculer le gouvernement. C’est une évidence.

Cependant, la direction confédérale de la CGT refuse d’admettre cette évidence et d’en tirer les conclusions pratiques. Pourquoi ? Parce qu’un mouvement de grève reconductible peut rapidement acquérir une dynamique propre, échapper au contrôle des dirigeants syndicaux et déboucher – comme en Mai 68 – sur une grève générale illimitée aux dimensions révolutionnaires. C’est précisément cette possibilité qui ferait reculer le gouvernement : la classe dirigeante ne fait des concessions que lorsqu’elle a peur de tout perdre. Mais rien n’est plus éloigné des intentions et de la psychologie des dirigeants syndicaux. Ils aspirent au calme et à la stabilité.

Sous la forte pression des délégués, lors du congrès de la CGT, la direction y a fait adopter une résolution appelant à « la tenue d’assemblées générales dans les entreprises et les services publics pour que les salariés décident, sur la base de leurs revendications et dans l’unité, de la grève et de sa reconduction pour gagner retrait et ouverture de véritables négociations de progrès social. » Dans une interview à La Provence, le 21 avril, Philippe Martinez précisait : « on est disponible sur l’ensemble des formes de lutte, y compris une grève reconductible, mais ce sont les salariés en assemblée générale qui doivent décider et la première des choses, c’est d’organiser des assemblées générales ».

Ainsi, Philippe Martinez est « disponible » pour différentes formes de luttes, « y compris »… la seule qui puisse arracher la victoire ! Mais voilà précisément ce que Martinez ne veut pas dire, car il devrait alors l’expliquer à l’ensemble des travailleurs et mobiliser toutes les forces de la CGT pour préparer la grève reconductible. Aussi se défausse-t-il sur les « assemblées générales » : à elles de décider si elles préfèrent la grève reconductible ou, par exemple, un pique-nique de protestation.

L’expérience de 2010

Cette rhétorique n’est pas nouvelle. Bernard Thibault (CGT) développait la même à l’automne 2010, lorsqu’un mouvement de grève reconductible s’était développé chez les travailleurs des ports et des raffineries, les cheminots, les transporteurs routiers et les éboueurs, entre autres. Les dirigeants confédéraux n’étaient pas à l’initiative de ces grèves reconductibles et n’appelaient pas à les étendre à d’autres secteurs. Lorsque Bernard Thibault était interrogé sur ce sujet, dans les médias, il renvoyait le « choix des formes de lutte » à la décision des « assemblées générales ». Martinez n’a rien inventé.

Malgré la résistance des dirigeants confédéraux, le mouvement de grève reconductible de 2010 s’est développé – jusqu’à un certain point. Des « Assemblées Générales interprofessionnelles » avaient surgi, dans plusieurs villes, qui réunissaient des syndicalistes, des travailleurs, des jeunes et des chômeurs engagés dans la lutte. L’embryon d’une coordination nationale de ces AG avait même vu le jour. Le mouvement a reflué avant que cette coordination nationale ne puisse réellement jouer un rôle. Mais cette expérience soulignait la grande créativité des jeunes et des salariés, leur capacité à organiser la lutte sur des bases militantes et démocratiques.

Il faut s’appuyer sur ces traditions de 2010. Le développement d’une grève reconductible est la seule chance d’obtenir le retrait de la loi Travail. La jeunesse apporterait son soutien enthousiaste à un tel mouvement.

La question du programme

Enfin, le mouvement ne devrait pas se contenter de réclamer le retrait de la loi Travail. Après tout, même si le gouvernement reculait sur ce point, le capitalisme en crise poursuivrait son œuvre destructrice : croissance du chômage, de la précarité et de toutes les formes de misère ; plans sociaux, destruction des services publics, pénurie de logements...

La plupart des travailleurs comprennent que la loi Travail est une attaque majeure. Mais pour nombre d’entre eux, en particulier dans le secteur privé, la grève est un sacrifice très important. Non seulement ils perdent des journées de salaire, mais ils s’exposent aux mesures punitives de leur employeur. Ils seraient peut-être prêts à se lancer dans un mouvement de grève reconductible, mais à condition que son objectif soit à la hauteur des risques et des sacrifices consentis. Or le seul retrait de la loi Travail risque de leur apparaitre comme insuffisant, car il écarterait une attaque, certes, mais ne règlerait aucun des problèmes qui, aujourd’hui, accablent la vie quotidienne des travailleurs. D’ailleurs, nombre d’entre eux subissent déjà les dispositions prévues par la loi Travail.

Comme cela s’exprime clairement dans les Nuits Debout, le problème n’est pas seulement la loi Travail, mais le système économique et social dans son ensemble. Dans tous les domaines, la classe dirigeante impose la régression. Comment inverser cette tendance ? Il faut lutter pied à pied contre toutes les attaques, bien sûr. Mais il faut aussi passer à l’offensive sur la base d’un programme audacieux, qui relie un ensemble de revendications (emploi, conditions de travail, salaires, etc.) à l’objectif d’exproprier la classe dirigeante et de placer l’économie sous le contrôle démocratique des salariés eux-mêmes. Il faut expliquer qu’il n’y aura pas de solution à tous les problèmes des jeunes et des travailleurs tant qu’ils n’auront pas pris le pouvoir et commencé à réorganiser la société sur des bases nouvelles, des bases socialistes. Un nombre croissant de travailleurs le comprendront et seront prêts à s’engager dans cette voie, car c’est la seule façon d’en finir une fois pour toutes avec la régression sociale.

Notre revue

Révolution 49 layout 2 page 001 
 

 

Facebook