L'Europe est malade du capitalisme. En 2003, la croissance moyenne de l'ensemble des pays de la zone euro n'a été que de 0,2 %. En France, en Italie, en Allemagne, et dans presque tous les autres pays de l'Union Européenne, les économies nationales stagnent. La seule perspective qui s'ouvre aux peuples européens est celle de la régression sociale et du chômage de masse.

L'Europe est malade du capitalisme. En 2003, la croissance moyenne de l'ensemble des pays de la zone euro n'a été que de 0,2 %. En France, en Italie, en Allemagne, et dans presque tous les autres pays de l'Union Européenne, les économies nationales stagnent. La seule perspective qui s'ouvre aux peuples européens est celle de la régression sociale et du chômage de masse.

Quand on examine la politique et les méthodes des différentes classes dirigeantes et gouvernements européens, on est immédiatement frappé par leur similitude dans de nombreux domaines, parfois jusque dans les détails. On démolit les systèmes de retraite par répartition, on saccage les secteurs publics, on privatise à tour de bras. On s'attaque aussi bien aux travailleurs – qui voient leurs salaires, leurs conditions de travail et la sécurité de leur emploi se dégrader constamment – qu'aux couches sociales les plus vulnérables : aux chômeurs, aux pauvres, aux infirmes, et aux personnes âgées.

La santé et l'éducation publiques, qui figuraient parmi les grandes conquêtes du mouvement ouvrier européen, sont en train d'être rongées et amputées par tous les moyens possibles. Si l'on considère n'importe quel indice de l'évolution sociale – que ce soit le nombre de médecins, de lits hospitaliers, de chercheurs, de logements sociaux, ou encore le niveau d'alphabétisation, de malnutrition, de consommation de drogues, de prostitution ou de criminalité – on constate que, sans aucune exception, à travers tout le continent européen, on fait face à une seule et même vérité : le capitalisme est en train de refouler la société en arrière.

Le fait que cette régression sociale se soit poursuivie même pendant les phases de croissance du PIB, comme celle de 1997-2001 en France, atteste de l'impasse dans laquelle le capitalisme a entraîné la société. Or, aucun système social imposant une dégradation constante des conditions d'existence de la vaste majorité de la population ne peut survivre indéfiniment. Il sera inévitablement contesté et, finalement, son renversement se posera au salariat comme une tâche pratique incontournable. Le salariat est en effet aujourd'hui la seule classe directement intéressée au maintien et au développement des moyens de production, à la défense des acquis sociaux et à la culture en général.

En Espagne, en Italie, en Grèce, en Grande-Bretagne, en Allemagne, en France et même en Autriche, ces dernières années ont été l'arène d'une longue série de mobilisations sociales de très grande ampleur, qui ont pris la forme de puissantes grèves générales et de manifestations massives. A Londres, par exemple, la manifestation du 15 février 2003, contre la guerre en Irak, a été la plus grande manifestation de toute l'histoire du pays. L'ampleur de cette manifestation ne s'expliquait pas seulement par l'opposition à la guerre. Elle traduisait un sentiment de révolte nourri par 25 ans d'attaques contre les travailleurs. Le même constat prévaut dans les autres pays européens. En France, la courbe du nombre de jours de grève a progressé chaque année depuis 1997.

Ceci dit, pour l'heure, malgré la montée incontestable de la combativité des travailleurs européens, la vaste majorité d'entre eux n'a pas encore pris la mesure de la crise actuelle et n'a pas encore tiré les conclusions politiques qui en découlent. L'expérience des années à venir ne pourra que modifier en profondeur la psychologie de cette énorme force potentielle qu'est le salariat européen, véritable géant qui commence à peine à se réveiller. Sous les chocs successifs des événements, il perdra cette forme de mollesse et d'esprit de compromis que lui a inculqué la longue phase de croissance économique d'après-guerre (les « trente glorieuses »). Sa conscience sera façonnée par la réalité implacable d'une époque faite de crises, de régression sociale et de luttes. L'insatiable soif de profits des capitalistes se dresse comme un mur infranchissable devant tout espoir de croissance économique durable et bénéfique à la collectivité. Pour ouvrir un avenir digne à nous-mêmes et aux générations futures, c'est ce mur qu'il va falloir abattre.

Le déclin de L'Europe

La propagande capitaliste au sujet de l'Union Européenne a habitué ses populations à l'idée que l'Europe est une force montante dans les affaires du monde. La réalité est toute autre. Face aux Etats-Unis, l'Europe est en déclin depuis plus de cent ans. C'est même précisément cette faiblesse qui a forcé les puissances européennes à construire l'Union Européenne. Et malgré cela, l'écart entre les puissances européennes et les Etats-Unis n'a jamais été si grand, et continue de grandir, que ce soit sur le plan économique, diplomatique ou militaire. Dans ce dernier domaine, par exemple, les dépenses militaires américaines ont progressé, entre 1980 et 2003, de 138 à 384 milliards de dollars. Sur la même période, celles des 15 pays qui composaient l'Union Européenne avant son récent élargissement n'ont progressé que de 112 à 200 milliards de dollars. Les dépenses militaires de la France ne représentent plus que 7 % des dépenses militaires américaines.

L'idée selon laquelle l'UE évoluera, par le biais de traités successifs et de textes constitutionnels, vers la consolidation d'un « Etat européen » – cette idée n'est sérieusement soutenue que par un certain nombre de « souverainistes » surexcités. L'Europe n'est pas unie, et ne le sera jamais sur la base du capitalisme. Au contraire, elle est traversée par des rivalités de plus en plus aiguës entre les différentes puissances capitalistes. A chaque fois que les intérêts nationaux de l'une des grandes puissances européennes ont été en jeu, ils ont toujours primé sur les « accords » communautaires. Par exemple, au début des années 90, lorsque l'Allemagne avait besoin d'attirer davantage de capitaux étrangers pour financer la réunification du pays, elle a augmenté ses taux d'intérêt sans se soucier de l'avis du gouvernement français ou britannique. L'Allemagne a également poussé la Croatie à se déclarer indépendante (non sans lui fournir, au passage, une importante quantité d'armes), malgré l'opposition de la France. La France, pour sa part, a armé et appuyé la Serbie contre la Croatie. Les puissances européennes n'ont jamais pu se mettre d'accord en matière de politique internationale, que ce soit sur la guerre en Yougoslavie, sur la guerre en Irak, sur la Libye, sur l'Iran, sur la question palestinienne, ou encore sur les relations avec la Russie et la Chine. Ceci s'explique par les intérêts nationaux divergents des puissances européennes, qui sont en lutte les unes contre les autres pour la domination des marchés à l'intérieur comme à l'extérieur de l'Europe. Dans le cadre du capitalisme, il en sera toujours ainsi. Comme l'expliquait déjà Lénine, l'unification de l'Europe sur des bases capitalistes n'est rien d'autre qu'une « utopie réactionnaire ».

Une série de conflits a opposé la France et son « partenaire » allemand, qui est en train de ronger les parts de marché de la France non seulement au sein de l'Union Européenne, mais également sur les marchés extérieurs – et notamment dans les pays du Maghreb, en Afrique Centrale, en Asie et dans les Balkans. De même, la réforme de la PAC s'effectue au détriment de la France. L'affaiblissement de la position mondiale de la France, amplement démontré par son élimination de l'échiquier politique au Moyen Orient, s'accompagne d'une perte d'influence au sein de l'Union Européenne. L'inclusion récente de dix pays de l'Est de l'Europe ne fera qu'accentuer l'écart entre le poids de la France et celui de l'Allemagne. La Pologne, la Hongrie, la République Tchèque, et l'Europe centrale en général, sont en train de devenir « l'arrière cour » économique de l'Allemagne.

De manière générale, la stagnation des économies européennes accentuera les rivalités entre les classes capitalistes nationales. En outre, la baisse du dollar, qui pénalise lourdement les exportations européennes et favorise, du même coup, la compétitivité des produits américains sur les marchés internationaux, aggrave les tensions au sein de l'Union Européenne, puisque ce qui n'est pas vendu à l'extérieur se retrouve sur le marché intérieur de l'Europe. Derrière les sourires forcés, dans les banquets et les réceptions de la « grande famille » européenne, les couteaux de la rivalité capitaliste sont tirés. En fin de compte, les classes capitalistes européennes ne sont pleinement d'accord que sur un seul point : l'emploi, les salaires, la sécurité sociale, les services publics et tous les autres acquis sociaux doivent être démantelés. Là-dessus, il n'existe en effet pas l'ombre d'une divergence !

Dès le départ, le « marché commun » était au fond une tentative, de la part des capitalistes, de surmonter les contraintes des Etats et des marchés nationaux. Comme Marx et Engels l'ont expliqué, l'Etat-nation est né de l'émergence du système capitaliste et a joué un rôle très important dans le développement de ce système. A l'époque, les Etat-nations permettaient de consolider des marchés nationaux et de créer un environnement « national » propice au développement du mode de production capitaliste. Cependant, l'évolution ultérieure de la technique et de la productivité du travail s'est heurtée aux limites des marchés nationaux, de même qu'elle s'est heurtée à la propriété privée des moyens de production. De facteurs de progrès économique, ceux-ci en sont devenus des entraves. La division de travail devenait de plus en plus internationale, en contradiction avec le caractère national des Etats capitalistes. Les marchés nationaux étaient trop étroits par rapport à la capacité productive des grands groupes capitalistes qui ont émergé en conséquence de la concentration du capital. Cette contradiction fondamentale du capitalisme s'est exprimée par d'innombrables guerres pour le contrôle des marchés et des ressources, et notamment par deux guerres mondiales. Dans ce contexte, la création du « marché commun » répondait au besoin des grands groupes capitalistes d'accéder à des marchés plus vastes, sans tarifs douaniers et sans barrières protectionnistes.

Aujourd'hui, l'Union Européenne est une zone de plus en plus vaste de libre-échange, peuplée de 450 millions d'habitants, et dont une partie est parvenue à se doter d'une monnaie commune. Cette zone et cette monnaie ont été mises en place pour créer un environnement dans lequel les grands groupes des secteurs industriel, agroalimentaire et bancaire peuvent mieux assurer leur domination des marchés, à l'abri des risques liés à la fluctuation des monnaies nationales. Mais ce n'est pas seulement une zone de libre échange. C'est également un immense bloc protectionniste essentiellement dirigé contre les Etats-Unis et le Japon. Et c'est enfin une tentative de renforcer la position des puissances européennes dans la course à l'exploitation, au pillage et à la spoliation des pays sous-développés.

Pourquoi Maastricht ?

Le Traité de Maastricht était une tentative – qui, en l'occurrence, a lamentablement échoué – de contraindre les Etats à réduire leurs dépenses et leur niveau d'endettement en dessous de certaines limites. Cette précaution se justifiait, aux yeux des capitalistes, par la nécessité de ne pas miner la monnaie européenne par un dérapage des déficits publics. Concrètement, ceci ne pouvait se traduire que par une politique draconienne de restrictions budgétaires, de privatisations et de « casse sociale » dans tous les pays concernés. Le pacte dit « de stabilité et de croissance » n'était en réalité qu'un programme pour instaurer la croissance des profits capitalistes sur la base d'une instabilité permanente dans la vie des travailleurs.

A l'époque, les gouvernements de l'Union – avec, en première ligne, ceux de l'Allemagne et de la France – ont assorti les contraintes stipulées par le Traité de la menace de lourdes amendes pour les pays qui ne les respecteraient pas. Aujourd'hui, et depuis 2001, l'Allemagne et la France sont toutes les deux en infraction par rapport aux dispositions du Traité. Le déficit budgétaire annuel de la France se situe aux alentours de 4,1 %, alors que le Traité n'autorise que 3 %. L'endettement total de l'Etat s'élève désormais à plus de 1000 milliards d'euros ! Cependant, la France et l'Allemagne refusent catégoriquement de payer les amendes. Du coup, Bruxelles ne peut guère infliger d'amende aux autres pays qui sont dans la même situation – tels les Pays-Bas, l'Italie, le Portugal ou encore la Grèce. De ce point de vue, le Traité de Maastricht est dores et déjà caduc.

Le refus de payer les amendes, de la part de la France et de l'Allemagne, en dit long sur les véritables relations qui existent entre les classes capitalistes nationales et la bureaucratie bruxelloise. C'est la seconde qui est aux ordres des premières, et notamment des plus puissantes d'entre elles. Certes, de telles bureaucraties ont tendance à acquérir une certaine indépendance vis-à-vis des classes qu'elles sont censées servir. Mais il est significatif que, dès lors que la France et l'Allemagne ont fait comprendre qu'elles ne payeraient pas les amendes, le Conseil Européen a trouvé le moyen de ne rien leur demander ! Il est totalement inconcevable, par exemple, que « Bruxelles » parvienne à imposer une quelconque « directive » que les capitalistes des puissances les plus importantes jugeraient contraire à leurs intérêts.

Il s'agit là d'un aspect important de la question européenne du point de vue du mouvement ouvrier. Il existe en effet, à gauche comme à droite, un certain nombre de courants qui se qualifient de « souverainistes » et qui formulent leur opposition à l'Europe capitaliste en terme de défense du soi-disant « intérêt national » face à « l'Europe ». Cette approche ne correspond pas à la réalité du problème qui se pose et ne peut que favoriser des réflexes nationalistes chez les travailleurs.

Certes, le caractère réactionnaire et antisocial de l'appareil bureaucratique européen ne fait pas de doute. Pratiquement tous les communiqués des différentes officines de cet appareil en témoignent. Prenons, par exemple, une déclaration que Monsieur Pedro Solbès, ancien Commissaire européen aux affaires économiques, faisait récemment à l'intention des pays de l'Europe centrale et orientale. Il a fustigé un certain nombre de pays pour leur lenteur dans la privatisation des entreprises publiques, notamment dans les secteurs de l'électricité, du gaz et des télécommunications. Il a mis directement en cause « les pressions qui s'exercent pour limiter les traumatismes sociaux » et les « procédures de consultation avec les partenaires sociaux ». Selon Solbès, en Pologne, le fait d'attribuer trop d'importance aux conséquences sociales qu'entraîne le démantèlement des services publics « réduit considérablement l'attrait des entreprises qui restent à privatiser » et laisse « les investisseurs potentiels souvent découragés ». En ce qui concerne la Hongrie, le Commissaire a insisté pour qu'elle « améliore la compétitivité de ses coûts par des politiques favorisant la modération salariale ». Notons au passage que Pedro Solbès est aujourd'hui Ministre des Finances dans le nouveau gouvernement « socialiste » espagnol.

Ce qu'il faut comprendre, c'est que l'impact qu'ont ces injonctions européennes ne provient pas vraiment des pouvoirs investis dans les pitoyables bureaucrates à la Solbès, mais plutôt du fait qu'elles s'accordent avec les intérêts de toutes les classes capitalistes d'Europe, y compris, bien évidemment, celle de la France. Notre but ne doit pas être de défendre « l'intérêt national » de la France face à Bruxelles, mais de défendre l'intérêt de tous les travailleurs en Europe, indépendamment de leur nationalité, contre le système capitaliste.

Du point de vue du mouvement ouvrier, des slogans tels que « sortir de Maastricht ! » et « sortir de l'UE ! » n'ont absolument aucun contenu progressiste. Ils reviennent à promouvoir l'idée que le capitalisme français serait plus progressiste, c'est-à-dire plus « social », s'il se tenait à l'écart de l'UE et de ses structures. Or, il s'agit là d'une idée parfaitement fausse. A l'intérieur comme en dehors de l'Europe, les classes capitalistes du monde entier procèdent à la même politique de « rigueur » budgétaire, autrement dit à des attaques systématiques contre les services publics et les conditions de vie des salariés. La Grande Bretagne, par exemple, n'a pas attendu le Traité de Maastricht pour mettre en œuvre cette politique de casse sociale. La raison fondamentale en est que le système capitaliste est devenu un obstacle à l'amélioration des conditions de vie de la grande majorité de la population.

Le Traité de Maastricht avait pour objectif de créer les conditions d'une monnaie unique stable. Mais il était également utilisé par les classes capitalistes européennes comme un prétexte à la remise en cause des acquis sociaux. Les capitalistes français, loin de « subir » les critères de Maastricht, en ont été les promoteurs. Le fond du problème, c'est que la crise du système capitaliste pousse les classes dirigeantes européennes à tenter de restaurer un certain équilibre économique, et notamment à résorber les énormes dettes publiques de leurs Etats. Or, dans le cadre d'un capitalisme en crise, cela ne peut être accompli qu'au moyen d'attaques systématiques contre la jeunesse et les travailleurs – que ce soit dans le cadre de l'UE ou en dehors de celle-ci.

En fin de compte, des mots d'ordre sur le thème de l'intérêt national ou de la « souveraineté nationale » font abstraction du caractère inconciliable des intérêts des capitalistes et des travailleurs dans chaque pays, et reviennent à inviter les travailleurs à s'aligner derrière leur « propre » Etat et leur « propre » classe capitaliste face à un ennemi prétendument extérieur. Cette démarche est en contradiction complète avec la stratégie socialiste et internationaliste qui s'impose. Comme l'écrivaient Marx et Engels dans le Manifeste du Parti Communiste , les travailleurs n'ont pas de patrie. Le mouvement ouvrier, en France et dans l'ensemble de l'Europe, doit rejeter toutes les formes de nationalisme et inscrire sur ses bannières le seul mot d'ordre qui puisse les unir dans une lutte commune et véritablement porteuse d'avenir : pour une Fédération Socialiste des Etats d'Europe.

L'élargissement de l'Union Européenne

L'élargissement de l'Union Européenne ne contribuera en rien à la résolution des problèmes économiques et sociaux qui pèsent sur les travailleurs des anciens pays membres comme des nouveaux. Il ne provoquera pas non plus les effondrements économiques que certains prédisent. En France et dans la plupart des anciens pays membres, les répercussions économiques de l'adhésion des « dix » seront sans doute relativement limitées. On évoque souvent les risques de délocalisations. Ce risque est réel, mais, du moins en ce qui concerne la France, il sera probablement de faible ampleur. Certes, les capitalistes sont toujours à l'affût de main d'œuvre mois chère, mais la plupart des délocalisations – en Chine ou en Amérique latine, par exemple – ont pour objectif de conquérir un meilleur accès aux marchés lointains. En dehors de cet avantage, les coûts supplémentaires liés à l'insuffisance des infrastructures, à la faible productivité du travail et aux distances à couvrir pour conserver les marchés obtenus dans le pays d'origine, pèsent souvent plus lourds que les gains escomptés en termes de masse salariale. Toutefois, ceci n'empêchera pas les patrons de brandir la menace d'un possible transfert d'activités à l'étranger pour intimider les salariés. Mais globalement, encore une fois, l'impact sur l'économie française de l'adhésion des « dix » sera faible. En économie comme en toute chose, il faut garder le sens des proportions. Or, le fait est que la somme des PIB des dix nouveaux membres ne représente que 5% de la somme des PIB des « quinze ».

A l'exception de la Pologne, la France n'exporte que très peu vers les pays d'Europe centrale et orientale. Pour l'ensemble de cette région, en 2003, la valeur des exportations françaises ne s'élevait qu'à 12 milliards d'euros, à comparer aux 18 milliards pour la seule lander de Westphalie, en Allemagne. L'Allemagne profitera de l'adhésion des « dix » pour y conforter sa position déjà dominante dans le domaine des investissements directs. Mais là encore, il faut garder le sens des proportions. Selon la DREE (Direction des relations économiques extérieures), les investissements directs dans les « dix » en provenance d'entreprises des « quinze » ne représentaient, en 2002, que 2% de la masse totale des capitaux qu'elles ont investi à l'étranger.

Par contre, pour la Pologne, la République Tchèque, la Hongrie, la Slovénie et la Slovaquie, l'entrée dans l'Union Européenne signifie surtout une exposition encore plus grande à la pression des puissances de l'Europe de l'Ouest, ce qui risque d'augmenter encore le taux de chômage – qui se situe déjà, en Pologne, à 19,8 %. Plus de la moitié des chômeurs polonais n'ont pas travaillé depuis plus d'un an. De manière générale, l'adhésion à l'UE se traduira par un renforcement considérable de la dépendance des pays concernés envers les capitaux étrangers. Dans le cas de la Hongrie, dès avant son adhésion, 70 % de ses exportations étaient le fait d'entreprises étrangères implantées dans le pays ou d'entreprises « hongroises » qui ont été achetées par des capitalistes étrangers. Cette « colonisation » des secteurs clés de l'économie hongroise ne peut désormais que s'accentuer.

Les habitants de ces pays qui imaginent qu'ils profiteront des « aides » européennes seront déçus. L'enveloppe qui a été prévue pour « financer l'élargissement » ne dépasse pas 22 milliards d'euros pour l'ensemble des pays concernés. Cette somme a été « verrouillée » pour les trois années à venir. Les grandes puissances occidentales ont pris des dispositions pour que leurs propres intérêts passent avant ceux des nouveaux membres de la « famille européenne ». Dans le contexte actuel de stagnation économique, il est impossible de maintenir les subventions accordées aux capitalistes des « quinze » – notamment, mais pas seulement, dans le cadre de la Politique Agricole Commune – et d'étendre en même temps leur attribution aux nouveaux membres de l'UE. La France et l'Allemagne ont déjà obtenu que le montant de leur part de la « manne de Bruxelles », qui équivaut à environ 1 % du PIB des « quinze », ne diminuera pas d'ici 2013. Ceci veut dire, concrètement, qu'il ne restera presque rien de cette manne pour les nouveaux adhérents de l'UE.

La Constitution européenne

La « Constitution européenne » présentée par Giscard d'Estaing pourrait très bien ne jamais voir le jour. Même si le nouveau gouvernement espagnol fait moins obstacle à son adoption que le précédant – ce qui nous paraît probable –, et même si la Pologne finit par céder, la Constitution devra ensuite être ratifiée séparément par chacun des membres. Il suffit qu'un seul pays la rejette pour qu'elle tombe irrémédiablement à l'eau. Or, en Grande-Bretagne, le gouvernement Blair a dû donner son accord à l'organisation d'un referendum sur la Constitution, qui a par conséquent à peu près les mêmes chances de survivre à cette épreuve qu'une boule de neige condamnée à un séjour en enfer. Il y a également fort à parier que si jamais Chirac organisait un référendum sur cette question, le « non » l'emporterait. Cette Constitution ne promet rien de bon pour les travailleurs de France et du reste de l'Europe, et dans le cas d'une consultation par référendum, le devoir du mouvement syndical, socialiste et communiste serait de mener campagne en faveur du « non ».

Cependant, si la « Constitution européenne » tombe à l'eau, cela ne changera rien du point de vue de la jeunesse et des travailleurs du continent. Avec ou sans la Constitution, le capitalisme leur réserve le même sort. Il est inutile de décortiquer dans le détail, comme le font certains éditorialistes de L'Humanité ou des représentants de la « gauche » du Parti Socialiste, les différents paragraphes du texte de Giscard. « Il faut qu'ils revoient leur copie ! » disent-ils. « Il faut qu'ils disent que l'Europe aura une vocation sociale ! ». Le summum de l'absurdité, dans ce domaine, a été atteint par Pascal Cherki, maire adjoint de Paris. Dans un article paru il y a quelques mois dans la revue Démocratie et Socialisme , il explique que si la Constitution était conforme aux valeurs que défend la revue, on pourrait envisager de donner l'arme nucléaire française au Conseil Européen ! « Dessines-moi un mouton, et je t'offre une bombe atomique ! »

En fait, malgré tout le tintamarre qu'elle suscite, la Constitution n'est pas le problème. Certes, il faut s'opposer à ce projet de constitution, puisqu'il s'agit d'une constitution capitaliste. Mais le vrai problème est celui de la maîtrise – et donc la propriété – des grands groupes industriels et financiers qui dominent l'économie européenne. Le paradoxe, c'est qu'au moment même où les dirigeants du PCF et de la « gauche » du PS font feu sur les clauses écrites du projet de Giscard, lequel formule le caractère capitaliste de l'économie européenne, ils confirment leur propre ralliement à « l'économie de marché » dans les faits , en évacuant de leurs programmes respectifs les objectifs spécifiquement socialistes, tels que la nationalisation des banques et des grandes entreprises capitalistes. Or, tant que celles-ci resteront entre les mains des capitalistes, la plus belle des constitutions – et même celle dont la prose mériterait d'être récompensée par l'octroi d'une bombe atomique – ne vaudra pas même le papier sur lequel elle sera écrite. La tâche qui nous attend est de faire comprendre à chaque travailleur, à chaque jeune, en France et en Europe, que les problèmes concrets auxquels ils font face – le chômage, les bas salaires, les mauvaises conditions de travail et de logement – ne peuvent que s'aggraver sous la domination des capitalistes, et ce indépendamment du contenu des textes officiels que ces derniers rédigent.

Il faut œuvrer dans le sens de la préparation politique du mouvement ouvrier pour faire face aux offensives répétées des capitalistes. En France, il faut se mobiliser massivement autour des listes communistes et socialistes pour infliger une nouvelle défaite électorale à la droite lors des élections européennes, et exiger la convocation d'élections législatives anticipées pour chasser au plus vite Raffarin et son équipe. Le retour d'un gouvernement de gauche, en France, serait un pas en avant, dans la mesure où les représentants directs de la classe capitaliste ne seraient plus au pouvoir. Mais il est clair qu'un gouvernement composé de gens comme Hollande, Fabius et Strauss-Kahn, fera tout pour ne pas nuire aux intérêts des capitalistes. De son côté, la direction du PCF ne propose pas non plus d'alternative crédible au programme des dirigeants socialistes. Le programme actuel du PCF est composé d'une série de réformes particulièrement timides et totalement inadéquates face à la gravité de la crise du capitalisme.

Nous devons lutter pour défendre nos acquis sociaux et pour en obtenir d'autres. Mais il est également nécessaire de voir la réalité en face, et de présenter aux jeunes et aux travailleurs un programme capable de s'attaquer à la racine du mal. Concrètement, cela signifie la nationalisation (ou la « socialisation ») de toutes les banques et compagnies d'assurance, ainsi que de tous les grands groupes industriels. Sans cela, l'« Europe sociale » ne sera jamais qu'une phrase creuse. Il faut placer les gigantesques ressources productives de la France et de l'Europe sous le contrôle et la gestion démocratique des travailleurs, à tous les niveaux. Seul un programme socialiste articulé autour de cet objectif central pourra mettre un terme définitif à la régression sociale, au chômage de masse, à la pauvreté grandissante et à toutes les autres conséquences de la crise du capitalisme.