« Ce qui augmente le plus ce sont les accidents de travail et les divorces ! »

A l’heure où la France se révolte à travers le mouvement populaire des gilets jaunes, voici la répercussion des lois Travail, adoptées ces dernières années par de nombreux pays européens, sur la vie des travailleurs et de leur famille.

Le témoignage de Juan, ouvrier dans le domaine de l’événementiel, nous ouvre les yeux sur la dure réalité du monde du travail en France.

ALR : Présente nous ton entreprise 

Juan : La firme s’occupe de l’impression de banderoles, de photos, … sur différents supports pour des salons professionnels, des foires, des congrès, des grands événements sportifs. Elle se divise en 2 secteurs :

 

  1. L’atelier qui est composé de l’impression, du façonnage et du stockage. C’est là que nous trouvons les ouvriers. Pas de femmes parmi eux car c’est un travail assez physique et très pénible !
  2. Le bureau d’études et les graphistes. C’est le pôle administratif qui est composé à 80% d’employées.

Elle emploie une quarantaine de travailleurs évitant ainsi une délégation syndicale car nous sommes moins de 50.

ALR : Depuis combien de temps y travailles-tu ?

Juan : Embauché depuis 7 ans en CDI (contrat à durée indéterminée), j’y travaille en réalité depuis 18 ans dont 14 passés en tant qu’intérimaire. J’avais un contrat reconductible de semaine en semaine. Légalement en France si tu as un contrat intérimaire de 6 mois consécutif tu dois être engagé par l’entreprise. Sauf qu’en réalité on peut te faire bosser 5 mois et 3 semaines, te signifier ta fin de mission et te laisser par exemple 1 mois sans travail. Du coup ça annule tout ce que tu as cumulé et tu redémarres à zéro. Et donc tu peux travailler pendant de nombreuses années en tant qu’intérimaire dans la même entreprise.

ALR : Parle-nous de tes conditions de travail

Juan : Je preste 35 heures par semaine et pas de week-end. Ça c’est en théorie ! Rarement nous terminons à l’heure ! C’est l’activité du moment qui gère l’emploi du temps. Je m’explique : la loi prévoit que tu reçois ton planning 2 semaines à l’avance sauf que dans l’événementiel n’y a pas de planning. Nous sommes en permanence dans l’improvisation. En moment « d’activité intense » tu es à leur disposition. Concrètement, en fin de journée ton chef peux te dire «Tu dois rester car nous avons, par ex, un dossier qui vient de tomber ». Dernièrement, profitant qu’un client demandait une charte, la direction a modifié la convention collective unilatéralement en introduisant la flexibilité aux points exigés par ce dernier. Elle peut donc maintenant, à tout instant, nous faire prester les week-ends et les nuits sous prétexte «d’événement inattendu » ou « d’activité soudaine », concepts qu’elle définit elle-même ! Maintenant elle peut te faire travailler toute la semaine et recommencer une nouvelle sans interruption.

ALR : Et vous avez accepté de signer cette convention ?

Juan : Nous les ouvriers, nous ne voulions pas et nous étions prêt à nous mettre en grève car nous savions ce que ça signifiait pour nous : une surcharge de travail très importante car il n’y avait pas de recrutement prévu. Comme ça n’a pas marché collectivement, la direction a changé de stratégie. Après son passage, le délégué du personnel s’est adressé à chaque travailleur. A ceux qui avaient peur ou qui se la jouaient 'individuel', ils leur ont promis des compensations. Diviser pour mieux régner ! Et ça a fonctionné !

ALR : Que faites-vous de toutes ces heures accumulées ?

Juan : Les heures excédentaires sont stockées sur un compteur qui est soldé une fois par an. Si ce n’est pas fait, la direction doit les payer, ce qu’elle veut éviter à tout prix. Avant nous avions des périodes d’accalmie dans le secteur ce qui permettait de récupérer ces heures. C’est terminé car par peur de la concurrence et pour augmenter les profits le patron accepte toutes les commandes. Nous sommes en permanence sous pression et il n’est pas rare de voir des travailleurs avec 200 heures supplémentaires. Si tu acceptes sans trop te révolter, la direction te paie une cinquantaine d’heures. Les plus pauvres d’entre nous n’ont pas d’autres alternatives que d’accepter et de se soumettre à tous leurs caprices.

ALR : Ces conditions de travail n’engendrent elles pas un taux absentéisme important ?

Juan : Evidemment ! En plus lorsqu’il y a des malades la charge de travail est répartie sur les autres travailleurs, qui à leur tour tombent malades car ils sont épuisés. C’est un cercle vicieux. Mais ce qui augmente le plus ce sont les accidents de travail ! 

ALR : Tu peux expliquer ?

Juan : La fatigue due à la surcharge de travail diminue fortement la concentration. Et nous bossons quotidiennement avec des cutters … Je peux te dire que les doigts en prennent un coup ! Nous avons un collègue qui en se coupant à toucher un nerf. Il ne peut plus le bouger. Résultat : un handicap de 25% ! Et pour remplacer les travailleurs en incapacité de travail ils utilisent des intérimaires qui ne sont pas formés pour le job.

ALR : Depuis quand cet absentéisme a augmenté ?

Juan : Je ne sais pas exactement! Tout simplement parce que nous commençons à trouver cela normal, à cohabiter avec ça. Tu t’es coupé le doigt, pas grave, essaye de ne pas tâcher la bâche sur laquelle tu travailles. Il y a quelques jours un intérimaire s’est coupé et est toujours en arrêt de travail ! C’était prévisible ! Un intérimaire non formé sur une table inadaptée et des normes de sécurité non respectées.

ALR : Comment organise-t-on dans ces conditions sa vie privée ?

Juan : C’est très simple : il n’y a pas de vie privée tout court. Chez nous le nombre de divorces est impressionnant ! C’est très difficile pour les familles monoparentales de concilier ce travail et vie familiale. En plus si tu ne fais pas d’heures supplémentaires, tu es très mal vu de tes collègues qui perçoivent ce refus comme une trahison car c’est eux qui écopent de la charge de travail supplémentaire engendrée par ton départ.

ALR : Comment vois-tu l’avenir ?

Juan : Ce qui est sûr c’est que nous ne pourrons plus tenir de telle cadence longtemps. Nous allons droit dans le mur. Il faut absolument conscientiser les travailleurs sur le bien-être au travail et les inciter à s’unir pour créer un rapport de force indispensable. Je ne vois pas d’autre solution que de renverser ce système capitaliste qui aliénie de plus en plus l’être humain à son travail.