L’élection triomphale de Jérémy Corbyn à la tête du Parti travailliste (Labour), le 12 septembre dernier, est un séisme politique majeur qui bouleverse en profondeur le paysage politique britannique. C’est un coup sévère porté aux dirigeants « blairistes » qui, ces dernières décennies, ont poussé le Labour toujours plus loin vers la droite, au point que son discours officiel ne se distinguait pratiquement plus de celui des Conservateurs. Cette dérive droitière fut la cause fondamentale de la victoire par défaut de David Cameron aux élections législatives de mai dernier, mais aussi de l’ascension du SNP en Ecosse, où presque tous les députés travaillistes ont été battus.

downloadLa victoire de Corbyn est une nouvelle illustration du tournant qui est en train de s’opérer dans la conscience de millions de jeunes et de travailleurs en Europe et au-delà. Après l’ascension de Syriza en Grèce, puis de Podemos en Espagne, l’énorme enthousiasme suscité par la campagne de Jérémy Corbyn est une réaction politique massive à la crise du capitalisme et aux politiques d’austérité qui frappent la grande majorité de la population. Les masses ne veulent plus payer pour une crise dont les responsables sont les milliardaires qui contrôlent les banques et les multinationales. Le caractère international de ce phénomène – qui touche aussi les Etats-Unis, à travers la campagne de Bernie Sanders – est évident. Cela représente un changement fondamental. Les conséquences à court et long terme en seront colossales.

La classe dirigeante britannique est terrorisée par les répercussions politiques de l’élection de Jérémy Corbyn. Par l’intermédiaire de ses grands médias et de ses agents au sein du Labour (les blairistes), elle a d’abord tout fait pour empêcher Corbyn de remporter le scrutin. Pour salir et discréditer le député travailliste, la soi-disant « presse libre » de Grande-Bretagne a lancé les accusations et les mensonges les plus grotesques, dont certains ont naturellement trouvé refuge dans les colonnes de la « presse libre » belge. Ce travail de sape se poursuit inlassablement depuis le 12 septembre. Chaque mot, geste, silence de Jérémy Corbyn est analysé par une armée de réactionnaires stipendiés, dans le but d’y puiser de nouvelles sources d’accusations et de calomnies.

Il est intéressant de noter que cette campagne hystérique n’a pas le moins du monde empêché la victoire de Corbyn, qui est le dirigeant travailliste le mieux élu de toute l’histoire du parti. Les grands médias bourgeois, comme l’ensemble des institutions capitalistes, ont perdu beaucoup de leur crédibilité, ces dernières décennies. Les mensonges visant Corbyn ont fait l’objet de nombreux détournements satiriques sur les réseaux sociaux, mais aussi de réfutations documentées. Les médias bourgeois en sortent encore plus discrédités qu’ils ne l’étaient déjà : c’est tout ce qu’ils y ont gagné. Et c’est là un symptôme, parmi d’autres, de la crise révolutionnaire qui mûrit lentement, mais sûrement, dans les profondeurs de la société britannique, comme d’ailleurs dans toute l’Europe.

Après avoir participé au chœur des calomnies et songé à organiser un putsch contre Corbyn, la plupart des « blairistes » du Labour ont changé de tactique. L’ampleur de la victoire du député londonien – près de 60 % des voix, dont 50 % des militants et 84 % des électeurs « sympathisants » – les y a obligés. Dans le groupe parlementaire et les sphères dirigeantes du Labour, la majorité des adversaires de Corbyn tablent désormais sur une modération croissante du discours du nouveau dirigeant travailliste. Ils espèrent qu’il va renier ses prises de positions les plus radicales, notamment contre l’OTAN et l’UE. Ils ont également en ligne de mire les déclarations de Corbyn en faveur d’une renationalisation du système ferroviaire et la nationalisation du secteur énergétique. Ils espèrent que Corbyn se reniera, sous la pression de la société officielle, qu’il acceptera la prétendue « fatalité » des politiques d’austérité et qu’il se discréditera alors auprès de sa propre base.

Pendant ce temps, la droite et les médias bourgeois continuent de se déchaîner contre lui. Par exemple, ils l’ont vilipendé parce qu’il n’a pas chanté God Save The Queen (« Que Dieu protège la Reine »), l’hymne du Royaume-Uni, lors d’une cérémonie publique sur la Deuxième Guerre mondiale. En vain ! Un sondage publié par le Daily Mirror rapporte que 78 % de ses lecteurs approuvent l’attitude de Corbyn à cette occasion. De plus en plus de Britanniques sont hostiles à la monarchie, dont le faste parasitaire, au milieu d’une misère croissante, est vécu comme une provocation.

Hier, dimanche 20 septembre, le Sunday Times a publié les déclarations anonymes d’un Général de l’armée britannique. Il menace : si Corbyn remportait les prochaines élections législatives, il y aurait une « mutinerie » au sein de l’armée, qui passerait à « l’action directe » contre le gouvernement démocratiquement élu. Telle est l’ambiance qui règne actuellement dans les sommets de la société britannique. Au passage, les propos de ce militaire anonyme prouvent que la « démocratie » bourgeoise n’est que le masque temporaire de la dictature du Capital. Comme marxistes, nous le savions déjà. Mais cela apparaît désormais plus clairement aux yeux de millions de jeunes et de travailleurs.

Ce que la classe dirigeante britannique redoute par-dessus tout, c’est le mouvement politique de masse que la campagne et la victoire de Corbyn ont mis en marche – et qui pourrait aller encore plus loin vers la gauche que ne l’est l’actuel programme du nouveau dirigeant travailliste. Depuis l’élection de ce dernier, plus de 30 000 jeunes et travailleurs ont rejoint le Labour. Tant que Corbyn restera ferme sur ses positions, cette tendance se poursuivra. Parmi tous ceux qui soutiennent Corbyn, il y a beaucoup de jeunes, ces mêmes jeunes dont tant de journalistes et politiciens déploraient (ou faisaient mine de déplorer) le prétendu « apolitisme ». Le capitalisme en crise prive ces jeunes d’avenir ; ils n’ont aucun respect pour la monarchie, la Chambre des Lords et autres institutions vermoulues de la « démocratie » britannique. Ils n’en ont pas davantage pour la sacro-sainte « économie de marché » que ces institutions protègent et qui jette tant de travailleurs dans la misère. Ils peuvent rapidement tirer des conclusions révolutionnaires de leur expérience.

L’offensive contre Corbyn se poursuivra sur différents fronts, inlassablement. L’objectif de la classe dirigeante est clair : reprendre le contrôle du Labour. Le devoir élémentaire du mouvement ouvrier français et international est de soutenir le nouveau dirigeant travailliste et le mouvement de masse qui se tient derrière lui, face aux attaques de la réaction. Sur place, nos camarades de Socialist Appeal, section britannique de la Tendance Marxiste Internationale, participent pleinement au mouvement. Ils appellent les électeurs « sympathisants » de Corbyn à rejoindre le parti et à défendre la volonté démocratique exprimée le 12 septembre. Ils appellent également à refonder la Jeunesse Socialiste du Labour sur les mêmes bases politiques. Enfin, ils soulignent la nécessité de renouer avec les idées et les valeurs historiques du Labour : la défense de la classe ouvrière et la lutte pour la transformation socialiste de la société.

Tony Blair se félicitait d’avoir éliminé la fameuse « Clause IV » des statuts du Parti travailliste. Cette clause affirmait que le Labour lutte pour la nationalisation des grands moyens de production, sous le contrôle démocratique des travailleurs. Il est grand temps de renouer avec ce programme et cette perspective, en Grande-Bretagne comme ailleurs.

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