Le 10 octobre 1918, un accord international est conclu afin de pouvoir commencer les négociations de paix ; l’occupation allemande entre alors dans ses dernières heures. Pourtant, de nouveaux problèmes se posent : le peuple belge craint le comportement arbitraire des soldats mutins.

Les troupes vaincues et frustrées ne sont pas connues pour leur discipline et l’autorité de la tête de l’armée diminue. Des temps incertains se profilent : La solde des soldats sera-t-elle toujours payée ? A quoi ressemblera la vie de retour à la maison ? Au final, ces craintes de pillage et de violence contre les civils se sont révélées infondées et l’appareil militaire allemand a été déchiré par des aspirations révolutionnaires.

Un repli ambigu

La 6ème armée allemande commence immédiatement le retrait des troupes qui se trouvent sur le front dans le nord de la France, et les stationne à Bruxelles. Le commandement de l’armée allemande pense alors user des menaces de mutinerie et de pillage de la capitale comme ultime moyen de pression lors des négociations de paix à Versailles. L’état-major perd très vite le contrôle de la situation : des milliers de réfugiés, qui souhaitent retourner chez eux, envahissent les chemins de fer. Une vague de désertion due à la fatigue de la guerre se propage au sein de l’armée allemande et rend la situation complètement imprévisible. Le plan du commandement militaire s’effrite et l’autorité du corps des officiers diminue de jour en jour.

Le déclenchement de la révolution allemande, le 3 novembre, précipite la suite des événements . La nouvelle parvient au commandement allemand à Bruxelles le 8 novembre, et se répand parmi les soldats grâce aux soldats-télégraphistes socialistes. L’empereur démissionne le lendemain.

Mise en place du Conseil des Soldats

Ce même 9 novembre, les rues de Bruxelles sont très agitées. Plusieurs cas de violences de soldats allemands envers leurs officiers sont rapportés. Maintenant que l’empereur a démissionné, les soldats, ainsi que la population, s’attendent à recevoir la nouvelle du cessez-le-feu final.

Le soir même, à la suite du mouvement en Allemagne, un Conseil des Soldats (CS) est improvisé dans les locaux syndicaux de la gare du Nord. Six orateurs y prennent la parole, avant que la nuit mette fin à leur réunion. Le lendemain matin, la session du CS reprend. Les réunions se déroulent de façon assez chaotique.

Le médecin de l’armée, Hugo Freund, en profite pour réunir un groupe de socialistes allemands modérés afin d’établir un ensemble de revendications en marge du CS. Bien que Freund soit un militant depuis des années, il ne porte clairement pas - en tant qu’officier et membre de l’USPD (une division de gauche du parti socialiste allemand qui fait partie du nouveau gouvernement) - la voix la plus militante. Plus tard dans la journée, le programme de Freund est accepté et il est élu président par les représentants du CS, sans vote à l’assemblée générale de la gare du Nord. Cette astuce bureaucratique restreint l’initiative des soldats et l’accent est mis sur le repli ordonné plutôt que sur des revendications politiques ou sociales. Cette dynamique est en fait caractéristique du début d’une révolution. Les couches qui n’ont pas été politisées auparavant ont tendance à soutenir d’abord les forces de gauches traditionnelles – et donc,t, pas les Spartakistes révolutionnaires de Rosa Luxemburg.

Pendant ce temps, le chef de l’armée, l’aristocratique prince Ruprecht de Bavière, semble avoir pris ses jambes à son cou après le refus d’un détachement de sa région natale de le protéger, sans l’approbation du CS. Le CS semble dès lors, la seule autorité valide.

La Belgique libérée

Le même jour, les soldats allemands vont chercher des drapeaux allemands dans toute la capitale et les remplacent par des drapeaux rouges. Un rassemblement de plus de 6000 soldats s’organise et mène le conseil des soldats de la gare du Nord jusqu’au palais de justice en passant par le centre. Les soldats allemands fraternisent avec la population et sont accueillis comme des libérateurs. Des témoins oculaires décrivent alors des scènes de carnaval d’euphorie.

. Arrivés au Palais de Justice, Freund fait ensuite part des revendications du CS.

Ce sont les soldats qui organiseront le retour. Ils ne font plus confiance aux officiers, dont ils n’acceptent plus les privilèges de logement et d’alimentation. Pendant ce temps, le CS balaie les restes de la brutale occupation militaire : les prisonniers politiques de la prison de Saint-Gilles sont libérés et les droits de la population, ainsi que sa sécurité, sont garantis. Le lendemain, le CS insistera encore sur sa volonté de poursuivre en justice les responsables qui ont décidé de déporter des travailleurs belges et d’exécuter Edith Cavell. Ils décident aussi d’enquêter sur les responsables de cette misérable guerre.

Le POB refuse toute coopération

Peu de temps après le discours, les représentants du CS se rendent dans la maison du peuple voisine, où se trouve la direction du Parti Ouvrier Belge. Les soldats veulent créer des gardes mixtes afin de garantir l’ordre. Ils veulent céder le pouvoir aux dirigeants socialistes afin de propager la révolution allemande en Belgique. Mais la direction du POB refuse de coopérer avec les « soldats allemands ». Cette attitude anti-allemande était typique de la direction du POB, qui comptait parmi les membres les plus belligérants de l’internationale socialiste. Dans un effort afin d’étouffer la sympathie envers les soldats révolutionnaires, le POB proclamera même l’introduction du suffrage universel unique pour les hommes… dès que les soldats allemands auront quitté le pays.

À la suite de ce refus, le CS prend la direction des affaires civiles pour se concentrer sur la démobilisation rapide et ordonnée. Il se déplace symboliquement dans le Palais de la nation. où un millier de soldats se réunissent chaque jour à 17h00 et représentent tous les CS qui se sont établis à Anvers, Liège, Namur, Louvain et Hassel. Le 16 novembre, les soldats allemands quittent la Belgiquepour rejoindre les masses révolutionnaires de leur pays d’origine. Leur révolta aura mis fin à l’occupation militaire et aura, en même temps, entraîné l’instauration du suffrage universel pour les hommes.

(Cet article est basé sur Gotovitch, José, 2001. Révolution à Bruxelles : le Zentral-Soldaten-Rat in Brüssel. In : BAUMANN Roland, ROLAND Hubert (ed.), Carl-Einstein Kolloquium 1998. Carl Einstein in Brüssel : Dialogue über Grenzen / Carl Einstein à Bruxelles: dialogue par-dessus les frontières. Frankfurt am Main : Peter Lang, 2001, pp.237-253.)