Le début du mouvement des Gilets Jaunes a été intense et assez mal perçu.

Par les médias bien sûr, mais également par une partie de la population et même par une certaine partie de la gauche qui a vu dans ce mouvement spontané et hétérogène quelque chose d’inédit, d’inorganisé, d’imprévu, quelque chose qu’elle ne comprenait pas. Nous nous rappelons tous les premiers qualificatifs qui ont décrit ce mouvement : fasciste, raciste, gangréné par l’extrême-droite, anti-écolo etc. C’est ce qui a poussé Gilles Perret et François Ruffin à prendre la caméra pour vérifier ce qui l’en est, dans un road-movie mettant en lumière des participants à ce mouvement qui a fait couler beaucoup d’encre.

De ronds-points en sites de blocage, Ruffin illustre par des témoignages très forts que les Gilets Jaunes ne sont pas des fachos, des militants d’extrême droite ou des réactionnaires, mais qu’ils constituent plutôt un groupe hétérogène qui porte des idées tantôt progressistes, tantôt révolutionnaires. Tout comme Ruffin, un des Gilets Jaunes interviewés (Khaled) explique avoir d’abord voulu se faire une opinion sur le mouvement : même dans les soirées les plus arrosées, il n’a jamais rien entendu de raciste. Si certains ont la langue qui fourche, le reste du groupe les recadre.

Au-delà de cette première réhabilitation, il y a une chose qui frappe le spectateur. Les Gilets Jaunes partagent de nombreux points communs. Ils font partie d’un salariat ou sont de petits indépendants appauvris, parfois à l’extrême pour certains - les témoignages des gens faisant les poubelles ou avouant qu’ils ne mangent pas tous les jours sont nombreux. Cette population a été complètement invisibilisée par l’Etat, les médias et le système en général ; petit à petit, ils n’ont plus eu aucun porte-parole pour faire entendre leur réalité. La plupart ne sont pas syndiqués ou le sont sans réellement être engagés. Désintéressée par la politique en laquelle elle ne croit plus, cette partie de la population a décidé d’enfiler un gilet jaune, sortant par la même occasion du no man’s land dans lequel on l’avait forcée à vivre. Au-delà de l’émotion apportée par les témoignages, la réalité des gilets jaunes s’incarne également dans le paysage. Des constructions « do it yourself » donnent à des bords de routes des allures de ZAD, et les ronds-points ressemblent à des piquets de grèves, comme si les sites de fermetures d’usines débordaient dans le paysage quotidien.

C’est une des forces du film de Ruffin que d’illustrer le côté social et humain du mouvement. Les gens retournent sur les ronds-points car ils sont désireux de lutter jusqu’au bout mais aussi parce que le lien social, qu’ils avaient perdu, est renoué. « C’est un besoin presque addictif », explique ainsi un gilet jaune. Le cœur du film se trouve dans cette phrase, dans ce lien social renoué ; tout le mouvement part de là. Les gens se côtoient, parlent de leur situation de vie, de choses parfois très intimes, et surtout, ils osent montrer et partager leur honte. Mais une fois la boîte de Pandore ouverte, la honte n’est pas la seule chose qui s’en échappe. Très vite, elle est remplacée par la colère.

La finesse du film réside dans le fait qu’il ne se focalise pas sur la misère. Ruffin ne nous livre pas un reportage sur l’injustice et ne présente pas les gens comme étant des « pauvres » ou des « défavorisés ». C’est un film qui parle du rapport à la honte et comment celle-ci, lorsqu’elle est assumée collectivement, se transforme en colère et en énergie combative. Ce que l’on voit à travers ce film, c’est comment les gilets jaunes se sont réapproprié collectivement ce qu’ils avaient perdu individuellement : l’estime de soi.

Malgré les témoignages parfois insoutenables. , « J’veux du soleil », à l’instar de « Merci Patron », est un film très positif car on ressort de la salle avec l’envie de combattre et pas avec l’envie de jeter l’éponge. En funambule, Ruffin marche sur la ligne de crête qui sépare le film revigorant (faisant la lumière sur la combativité des travailleurs) du film démotivant (se contentant de montrer la misère des gens).

Il y a des siècles, les alchimistes ont cherché en vain à créer la pierre philosophale, la pierre rêvée qui change le plomb en or et qui offre richesse et longévité à son porteur. Bien sûr, cette pierre est irréelle et tient du conte pour enfants, mais avec son film, Ruffin nous montre que ces alchimistes existent toujours parmi la classe ouvrière : s’ils sont incapables de changer le plomb en or, ils ont bien trouvé la formule qui change la honte en colère.