« Moi Daniel Blake », le dernier film du réalisateur britannique Ken Loach, est un cri : un cri contre l'injustice, un cri de la misère silencieuse qui nous donne envie de hurler.

Blake est un homme dont le cœur est fatigué par le travail manuel de ses quarante dernières années, un homme à qui les médecins disent formellement de ne pas travailler au risque d'épuiser son cœur pour de bon. Blake pense alors que cette Angleterre puissante, démocratique et civilisée lui fournira les aides sociales nécessaires. Que le système subviendra à ses besoins, le temps que son cœur et son corps se remettent de tant d'années de labeur.

Mais il n'en est rien. Dans une hypocrisie cynique, il passe des heures à remplir des dossiers, faire des tests, mener un combat administratif dont un de ses voisins lui rappelle qu’« ils rendent les choses si compliquées pour que tu laisses tomber ». L’aide sociale et l’institution qui la fournit (National Health Service), privatisées en Angleterre - et bientôt en France selon l'agenda des capitalistes et de leurs représentants politiques - font pourtant partie depuis longtemps du système de l’Etat. Elles sont la variable de maintien de la « paix sociale », c'est-à-dire le silence de tous ceux qu'il faut garder dans l’espoir de toucher une misère qui leur permettra de survivre.

Cet espoir est souvent vain. Aucune aide ne sera versée, car chaque fois l’administration trouvera une astuce. Mais Blake n'arrive pas à croire qu'il s'agit d'un faux espoir et continue sa « lutte administrative ». Dans son combat, il rencontrera une mère et ses enfants, dont la situation est plus absurde encore. Son histoire est celle d’une famille qui a faim et vit dans la misère la plus totale. Pour ne pas être arrivée à l’heure à un rendez-vous, elle ne peut toucher les aides auxquelles elle a droit.

« Moi Daniel Blake » retourne nos corps, nos tripes, nos larmes et nos âmes. Il nous rappelle simplement, sans fioriture que le système est pourri, qu’il est là pour nous écraser, qu’il n’existe que pour nous pressuriser toujours plus. Tant pis pour notre dignité et pour notre existence, que l’on ait faim, que nos enfants deviennent fous et malades dans des logements insalubres, que les mères se prostituent quand il n’y a plus d’autre choix, que les souvenirs d’une vie passée soient vendus pour une bouchée de pain si vite elle-même oubliée. Il nous rappelle que la misère est juste là, partout, des pays exploités aux pays exploitants, elle est partout, dans la classe ouvrière du monde tout entier. Quelle que soit sa forme, elle est toujours la même. Grise, pourrie, triste, absurde.

Et si Ken Loach nous laisse comme toujours, un espoir bien faible pour la suite, rappelons-nous toujours, n’oublions jamais, que sans nous, la lumière ne s’allumerait pas, le pain ne se ferait pas. Reprenons donc ce qui nous revient, réveillons-nous et luttons pour que jamais il n’y ait plus d’homme et de femme qui puissent projeter sa propre histoire dans celles de Daniel Blake, de Katie Morgan, de Daisy et de Dylan