Que ce soit le Forem pour la Wallonie, Actiris pour Bruxelles ou VDAB en Flandre, les doctrines d'activation des chômeurs sont les mêmes partout en Belgique. Il s'agit toujours de participer à l'utopie méritocratique consistant à opposer le bon chômeur actif au mauvais chômeur fainéant, en construisant un imaginaire carriériste et entrepreneurial parmi les prolétaires et en les persuadant d'embrasser inconsciemment, mais totalement, l'idéalisme bourgeois dont le mode de production capitaliste est la base matérielle.

Médiateur, pacificateur

Une énième réforme n'arrangera rien à l'affaire, car la logique reste la même. L’Etat organise la production et la formation en série de travailleurs sans emploi conformément aux desiderata de la bourgeoisie, ce qui lui permet de faire d’une pierre plusieurs coups : adapter le travailleur aux nouvelles exigences de la production, devenir le médiateur « pacifiant » de ces nouvelles relations, occuper le travailleur sans emploi pour éviter qu'il prenne conscience de son rôle de pièces de rechange dans la captation de survaleur et le préparer idéologiquement à sa docilité managériale. Bref, lui faire accepter l'idéologie nécessaire à son exploitation. De l'autre côté, les capitalistes belges sont ravis, car, par ce tour de passe-passe, ils ont réussi à externaliser la charge de formation, ainsi que la fabrication du consentement des exploités, en la faisant passer de la responsabilité de l’entreprise à celle de l'État et de la société civile tout entière. Ils se débarrassent donc aussi du coût de ces charges. La bourgeoisie est donc fidèle à sa maxime : externaliser les pertes, internaliser les profits. « Pour faire une force de travail en un sens spécial [i.e. pour produire cette marchandise si particulière, productrice de survaleur], il faut une certaine éducation qui coûte elle-même une somme plus ou moins grande d’équivalent en marchandise [somme qui] varie selon le caractère plus ou moins complexe du travail. »(1)

Mise en compétition

Penchons-nous maintenant sur le contenu de cette mise en compétition des travailleurs sans emploi et arrêtons-nous un instant sur l'un des nombreux sites internet d'Actiris. Voici ce que l'on peut lire :
« Retrouver du travail, 5 conseils pour réussir :
• Je balaie d’un revers de la main mes croyances limitantes
• J’arrête de ne parler que de moi
• Je cesse de revenir toujours sur le passé
• Je suis positif
• Je fais attention à mon langage corporel : ne pas oublier de sourire, savoir-faire une poignée de main, avoir le bon regard, avoir la bonne posture. » (2)

La simple lecture de ces cinq conseils nous permet déjà de remarquer qu'aucun d'eux ne concerne des savoir-faire, mais tous des savoir-être. Il ne s'agit donc pas d'augmenter les compétences opérationnelles du travailleur, mais seulement son savoir-paraître. Au fond, et c'est d'ailleurs ce qu'on entend beaucoup de la bouche d'agents d'Actiris eux-mêmes, si le travailleur sans emploi ne trouve pas de travail ce n'est pas parce qu'il y aurait une pénurie d'emploi, mais seulement parce qu’il ne sait pas « se vendre ». On retrouve ici les deux présupposés bourgeois du début de notre article, la méritocratie et la responsabilité individuelle (ainsi que le fait que le travailleur est bien une marchandise particulière). Pire, se trouve listé dans ces conseils un concept issu du nouveau management New Age, les croyances limitantes. Cette terminologie correspond à une formation que l'on peut suivre lorsqu'on est inscrit chez Actiris, mais c'est aussi et surtout l'un des piliers doctrinaux de l'activation des demandeurs d'emploi en Belgique comme dans le reste de l'Europe.

« Penser positivement »

Pour Actiris, lutter contre les croyances limitantes est indispensable. En effet, il faut lutter contre la tentation du travailleur sans emploi d'expliquer sa situation au travers des conditions matérielles qui l'entourent (la pénurie d'emploi) en ramenant toutes les difficultés qu'il rencontre à une psychologisation de sa situation. C'est le « think positive » néolibéral. Tu ne trouves pas d'emploi, c'est parce que tu n'y crois pas vraiment ! Tu parles de ton passé, mais c'est dans le futur que tu dois te projeter ! Tout est fait pour que le travailleur sans emploi soit maintenu dans une immédiateté positive l'empêchant d'analyser grâce aux expériences professionnelles passées les conditions de son non-emploi et les possibilités d'en sortir. Pour Actiris, il ne s'agit pas de lutter contre toute forme de croyances, mais seulement contre celles qui empêchent d'embrasser totalement l'adaptabilité nécessaire à l'exploitation du travailleur. 

Alors, il est vrai qu'une part significative des prolétaires à une fâcheuse tendance à rêver en petit, à s'accommoder de pas-grand-chose, à « vivre simplement ». Mais c'est justement cette tendance qui est la base d'une analyse matérialiste de leur situation. C'est cette analyse concrète de leur situation concrète qui leur permet de ne pas tomber dans un idéalisme forcené. Il n'y a que la bourgeoisie qui a les moyens de croire à ses rêves. Dans le régime capitaliste, le prolétariat n'est là que pour les concrétiser. L'aveuglement permanent de la bourgeoisie sur la situation matérielle des prolétaires est le prix à payer pour ses rêves abstraits, et le cauchemar concret du prolétariat. Les prolétaires n'ont rien à perdre que leurs chaînes. Ils ont un monde à gagner. Prolétaires de tous les pays, unissez-vous !

  • Le Capital, Premier Volume, Chapitre VI, page 73. Karl Marx.
  • actiris.brussels/fr/article/retrouver-du-travail-5-conseils-pour-reussir